L’absence de réforme des caisses de sécurité sociale : un crime contre le citoyen
Par Dr Abdelmajid Mselmi*
La situation des hôpitaux et de la pharmacie centrale est catastrophique. Les créances de la pharmacie centrale sont arrivées à des taux faramineux : 500 milliards au profit du seul fournisseur étranger d’insuline et la pharmacie centrale risque d’être « blacklistée » à cause de ses impayés. Et pour cause, la CNAM n’a pas versé les 400 milliards dus à la pharmacie centrale. La situation est pire dans les hôpitaux publics qui doivent à la CNAM 1000 milliards. Ce trou budgétaire pèse très lourd sur les hôpitaux qui souffrent d’une pénurie de médicaments et de dispositifs médicaux dont les fournisseurs ne veulent plus approvisionner la Tunisie à cause des créances non honorées. Au total, La CNAM doit aux prestataires de soins environ 1600 milliards dont une centaine de milliards au profit des cliniques privées. En réalité, le déficit de la CNAM n’est que le caisson de résonnance de la crise profonde des caisses de sécurité sociale (CNRPS et CNSS) qui doivent à la CNAM environs 3000 milliards. Les caisses de sécurité ne versent pas les sommes dues à la CNAM, celle-ci n’honore pas ses engagements envers les hôpitaux et la pharmacie centrale, lesquels ne payent pas les fournisseurs qui à leur tour arrêtent de délivrer les médicaments et les dispositifs médicaux, et la boucle est bouclée.
Le gouvernement s’en fout du peuple
La déclaration du chef du gouvernement, Youssef Chahed, lors de la commémoration du 14 janvier 2017 (soit 4 mois après son investiture) résume la situation quand il a indiqué qu’il entend parler de la réforme des caisses de sécurité sociale depuis qu’il était élève. Et il a raison, car la réforme des caisses de sécurité sociale est à l’ordre du jour depuis environs 15 ans sans aboutir à une véritable réforme. Youssef Chahed à l’instar de ses prédécesseurs n’a pas tenu ses promesses. Pourtant, en juin 2015 et sous le gouvernement Habib Essid, Ammar Yanbaii, à l’époque ministre des Affaires sociales, a presque finalisé un accord sur une augmentation facultative de l’âge de la retraite de 2 ans accepté par tout le monde et qui permettrait l’adhésion d’environ 40% des candidats à la retraite. Malheureusement, avec l’arrivée du gouvernement de Youssef Chahed en septembre 2016 le processus a été avorté car on a voulu reprendre tous dés le début et remettre la pierre de Sisyphe au point de départ. Mais en vain. La situation est au point mort, les caisses sont toujours vides et les citoyens en souffrent le martyr.
Le Front populaire n’a pas vraiment tort quand il crie haut et fort que ce gouvernement est au service de la bourgeoisie et que les malheurs des classes populaires sont les derniers de ses soucis.
Quand il s’agit d’avantages à accorder aux hommes d’affaires, le gouvernement se plie en quatre et même en huit et pond illico presto les décrets pour les satisfaire (mesures qui concernent le 1er logement, facilités de l’investissement, décret sur le régime FCR..). Quand il s’agit de mesures qui touchent la santé des classes populaires, le gouvernement s’en fout. En tout cas les riches et les bourgeois que défend ce gouvernement ont les moyens de se faire soigner dans les cliniques privées et même à l’étranger. Le peuple n’a qu’à se débrouiller !
L’UGTT : une défaillance consternante !
La réforme des caisses de sécurité sociale est une revendication fondamentale de l’UGTT depuis une vingtaine d’années. Et pour cause : la santé et la retraite constituent des besoins fondamentaux pour les travailleurs. Malheureusement et mis à part les milliers de motions calquées les unes sur les autres au point de devenir un cliché et les discours de certains syndicalistes, la direction de l’UGTT n’a rien fait pour aboutir à des solutions à cette crise profonde qui touche de plein fouet les classes populaires. Laquelle direction se borne à s’opposer aux propositions du gouvernement qui lui se la coule douce et reporte les réformes aux calendes grecques sous prétexte de blocage de l’UGTT. Le statuquo semble devenir un sport national.
Plusieurs progressistes qui soutenaient la cause des travailleurs et qui défendaient l’UGTT observent avec amertume les multiples dérives de la direction syndicale qui s’enfonce de plus en plus dans le bourbier politique ( Accord de Carthage) et se lance dans des combats à la Don quichotte ( priver les élèves de leurs notes) se mettant à dos des milliers de citoyens et délaissant les questions syndicales fondamentales telles que la réforme de la sécurité sociale ou les utilise comme outil de marchandage politique avec le gouvernement.
La réforme : une urgence extrême
Pour faire face à cette crise profonde et sans précédent on ne va pas créer la roue. Tous les pays qui on été confrontés à ce sujet ont augmenté l’âge de la retraite. Cette mesure peut être facultative dans une première étape ou peut être obligatoire selon les négociations. Les cotisations sociales doivent être aussi augmentées sous forme de tranches étalées sur 3 ou 4 ans comme c’était le cas en 2008. D’autres mesures d’accompagnement sont nécessaires telles que l’acquittement des sommes dues à la CNNSS (4000 MD) une meilleure gouvernance des caisses et la lutte contre la corruption
Mais l’ambiance régnante ne présage que du pessimisme face à un gouvernement incapable aux mains tremblantes et à la déroute de la centrale syndicale. Et comme le dit bien le dicton tunisien « s’il était vraiment capable il l’aurait été depuis hier ». Hélas !
*Dirigeant au front populaire