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Chroniques
De l’importance du drapeau
Par Marouen Achouri
11/09/2024 | 15:59
4 min
De l’importance du drapeau

 

 

En Tunisie, on ne rigole pas avec le drapeau national ! Les responsables de la natation en Tunisie en savent quelque chose. A cause de l’incident de la piscine de Radès, ils ont été condamnés à des peines de trois mois de prison ferme et d’autres à du sursis. Le président de la République s’était déplacé lui-même à la piscine, accompagné d’une fanfare et de l’ancien gouverneur de Ben Arous, pour saluer le drapeau national et verser quelques larmes sincères sans doute. Il s’était ensuite dirigé vers la Kasbah pour faire la leçon à quelques-uns de ses ministres en tenant le drapeau national entre ses mains. Des scènes qui avaient bouleversé d’émotion les fans du président Kaïs Saïed.

Un incident comparable s’est produit récemment avec un drapeau turc hissé sur un bâtiment appartenant à la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT). La société a déclaré qu’une « erreur » s’était glissée, apparemment jusqu’au toit d’un bâtiment public, et qu’un drapeau turc a été hissé par mégarde. Mais le fait que ce soit une erreur, selon le communiqué d’excuses de la SNCFT, n’a pas empêché l’ouverture d’une enquête pour déterminer les responsabilités. C’est vrai qu’il faudrait toute une enquête pour savoir comment un drapeau étranger a pu être hissé sur un bâtiment et surtout pour savoir qui parmi le personnel ne connait pas le drapeau de son pays. Dans certains commentaires, les internautes s’attendaient à des décisions de limogeage venant de Carthage et même à une visite présidentielle comme ce fut le cas à la piscine.

Toutefois, il manque à cet incident un ingrédient central pour permettre sa récupération politique : l’élément extérieur. Le drapeau caché à la piscine de Radès était une application d’une punition décidée par une instance internationale chargée de lutter contre le dopage. C’est de l’étranger que cette décision a été prise, et donc il était indiqué de se rebeller contre cette décision et de défendre théâtralement, fanfare à l’appui, l’intégrité du drapeau.

Dans le cas du bâtiment de la SNCFT, il y a eu atteinte au drapeau national, évidemment, mais c’était du pur jus national, de la bêtise bien de chez nous. Donc, ça ne vaut pas le coup d’en faire tout un tintouin. L’important n’est pas l’atteinte au drapeau, mais qui la commet. Si cela vient de l’étranger ou qu’on y voit la main des comploteurs d’au-delà des océans, on sortira le service 54 pièces de la souveraineté nationale, de l’indépendance de la décision, des martyrs de tout temps et autres. S’il s’agit d’une erreur tuniso-tunisienne, on tourne rapidement la page et on nous reprochera de trop en faire à propos d’un incident insignifiant.

Mais si nous étions réellement attachés à ce drapeau et à tout ce qu’il représente, nous ne permettrions pas qu’il soit profané, même à un niveau symbolique. Juste pour l’exemple, c’est ce même drapeau, auquel tous les Tunisiens sont viscéralement attachés, qui flotte au-dessus de nos tribunaux et de nos palais de justice.

C’est par amour de ce même drapeau, de ce même pays, que l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani a critiqué la situation du pays et a dit « heyla leblad ». C’est par amour de ce même drapeau que le journaliste Mourad Zeghidi était tellement méthodique dans son analyse de la situation de la Tunisie. Tous deux croupissent aujourd’hui en prison à cause de décisions prises dans ces mêmes tribunaux et palais de justice, qui arborent tous ce même drapeau.

N’est-ce pas une atteinte au drapeau et à ce qu’il représente que de jeter en prison ses fervents défenseurs ? Quand une accusée, qu’elle s’appelle Sonia Dahmani ou pas, est tout bonnement privée de son droit de se défendre, et que ses avocats ne peuvent même pas s’exprimer durant l’audience, n’est-ce pas là aussi une atteinte à la nation toute entière ? Quand une prisonnière est privée de vêtements et subit des fouilles corporelles poussées au sein même d’institutions portant ce même drapeau, n’est-ce pas là une insulte à tout le pays ? Quand une prisonnière doit multiplier les cris de détresse juste pour avoir accès aux soins dont elle a besoin et pour que son état de santé soit pris en considération pendant son incarcération, n’est-ce pas là une énième atteinte à notre pays ?

Au final, un drapeau est un symbole, autrement il ne s’agit que d’un simple bout de tissu. Ce que représente le drapeau national va bien au-delà de sa portée patriotique, c’est aussi le symbole qui nous réunit tous, aussi différents que nous puissions l’être. En tant que citoyens, nous devons être protégés par notre nation, nos institutions, nos lois et pourquoi pas dans un avenir pas très lointain, par notre démocratie. Il est clair que nous sommes loin du compte.

Par Marouen Achouri
11/09/2024 | 15:59
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