
« La vérité passe souvent au second plan ; ce qui importe, c’est d’avoir raison […] Il ne s’agit pas de savoir si ce que nous avançons est vrai, mais si nous parvenons à faire en sorte que cela paraisse vrai », écrivait Schopenhauer dans L’Art d’avoir toujours raison. Cette réflexion n’a jamais été aussi pertinente qu’à l’ère des faits alternatifs… et du complotisme à outrance.
S’il y a bien une leçon à tirer de l’affaire de complot, c’est que la vérité pèse peu face à ce que les gens veulent absolument croire. Les faits, aussi nets, précis et logiques soient-ils, n’ont aucune valeur lorsqu’ils s’opposent à une réalité que l’on cherche à confirmer coûte que coûte.
Prenez un dossier complexe et embrouillé, transformez-le en la plus grande affaire du moment. Peu crédible, incohérent, impliquant des personnes sans lien les unes avec les autres, réunissant treize dossiers distincts et une liste interminable de noms. Ajoutez-y des détails inquiétants, de quoi attiser les foules et les conforter dans l’idée d’un ennemi commun à abattre – un bouc émissaire idéal sur lequel faire peser tous les maux. Il n’en faut pas plus pour que la vérité soit reléguée aux oubliettes.
Qui la leur dira, d’ailleurs ? Quand un silence total a enveloppé cette affaire pendant des mois, quand aucun média n’a eu le droit de la couvrir ou même de la commenter au nom de l’intouchable « interdiction de traitement médiatique ».
Peu importe que certains accusés, censés avoir conspiré ensemble, ne se soient jamais rencontrés. Peu importe que la liste des inculpés comporte des personnes emprisonnées avant les faits, voire décédées avant même que leur complot ne se concrétise. Peu importe que la délation à l’origine de tout cela émane d’un inconnu. L’important, ce n’est pas la vérité. L’important, c’est d’imposer une version des faits.
Quand la vérité devient une menace
Si cette affaire est un véritable scandale, juridiquement solide, si les détenus sont si dangereux qu’ils ne méritent même pas de comparaître physiquement devant un juge, s’ils représentent une menace telle qu’ils doivent rester emprisonnés depuis deux ans en totale violation des droits fondamentaux… alors pourquoi ne pas exposer la vérité au grand jour ? Pourquoi ne pas laisser les faits parler d’eux-mêmes et faire taire les plus sceptiques ?
Pourquoi, au contraire, faut-il s’en remettre à l’un des propagandistes en chef du régime pour en livrer une version « officielle »…faites de faits alternatifs et de contre-vérités ?
Cette affaire a été nourrie, des mois durant, par des accusations difficiles à prouver, des figures politiques honnies et une chape de plomb médiatique. Personne, jusqu’à aujourd’hui, n’a pu dénoncer l’absurdité de ce procès pour complot.
Le complotisme, idéologie d’État
L’affaire de complot, lorsqu’on la regarde avec recul, n’est qu’une énième tentative de masquer échecs, couacs et incompétences en désignant des conspirateurs à abattre. Des coupables soigneusement choisis parmi ceux que l’opinion publique exècre le plus.
« La période qui vient de s’écouler est sombre et pleine de terreurs. Tous ceux qui en sont responsables seront enterrés avec elle. Un nouveau chapitre s’écrit, et l’avenir sera brillant et radieux », nous dit-on en somme. Un récit dichotomique, simpliste, parfaitement rodé.
Il est difficile de ne pas voir dans cette affaire un modus operandi du régime : écarter tous ceux qui pourraient remettre en doute un verdict déjà écrit et enterrer ceux qui oseraient s’élever contre la parole officielle. La sombre et opaque affaire Instalingo, l’exclusion du tribunal administratif de la lecture des résultats de la présidentielle, l’éviction des observateurs internationaux, l’emprisonnement des opposants… Tout cela ne vous dit rien ? Cela devrait pourtant.
Si ces faits sont limpides, qu’ils éclatent au grand jour et fassent taire à jamais les voix critiques !
Une mécanique bien rodée
L’actualité nous rappelle qu’un climat de haine et de doute permet aux dirigeants de faire passer des « faits alternatifs » pour une vérité absolue. Prenez l’exemple de Donald Trump. Rien n’a jamais été de sa faute. Tous les travers actuels de l’Amérique sont imputés à Joe Biden, aux immigrants ou à l’État profond. Il aurait multiplié les déclarations les plus absurdes durant sa campagne, cela ne l’a pourtant pas empêché d’être réélu confortablement.
L’image ne diffère pas beaucoup de celle que nous vivons sous nos cieux.
« L’important n’est pas de chercher la vérité, mais de triompher de son adversaire », disait encore ce bon vieux Schopenhauer. Cynique ? Assurément. Mais tellement vrai. Surtout lorsque tous les moyens sont bons pour y parvenir.

Et comment, ils peuvent manipuler et jouer avec tout un pays et tout un peuple.
Comme d'habitude en Tunisie la parole derrange, la vérité derrange et même respirer dans une prison derrange.
Une partie du livre discute de différents types de principautés ou comment des princes montent au pouvoir. Deux types sont particulièrement intéressants pour nous:
* Les princes qui se retrouvent au pouvoir par la fortune (la chance). Ils se transforment de sujets en princes très rapidement et sans effort. De tels pouvoirs disparaissent aussi rapidement, puisque le prince inexpérimenté ne saura faire face aux premières difficultés. Certains arrivent à se maintenir un peu plus longtemps au pouvoir, mais leur règne est pénible (pour ces princes). Ce second mandat sera un enfer pour lui, et ne nous sommes qu'en début de mandat. KS bundle up, these are just the appetisers, the main course is coming.
* Certains princes sont propulsés au pouvoir par des grands (lire Ennahdha, Al Azlems, certaines personnes peu fréquentable mais riches... ). Dans ce cas le prince a intérêt de se ranger auprès des sujets nombreux que du côté d'une minorité de grands.
Dans tout le livre, Machiavel encourage le prince à être ferme, voire même cruel, met le met souvent en garde pour qu'il ne s'attire pas la haine du peuple. Je me demande si les ballades dans les rues de la capitale seraient suffisantes pour se faire aimer et surtout faire oublier tout le reste. L'avenir très proche nous le dira.

