Ces petits dérapages qui annoncent le chaos
Par Sofiene Ben Hamida
Contrairement aux idées reçues, la situation dans le pays n’est pas catastrophique. Ceux qui crient aujourd’hui à l’apocalypse construisent leurs avis sur des faits pas toujours confirmés, ou agissent dans le cadre d’une stratégie de pourrissement très prisée par les acteurs politiques dans notre pays. Mais force est de constater qu’il existe des indices préoccupants qui présagent un glissement dangereux vers des pratiques mafieuses qui, à la longue, pourraient saper les fondements de l’Etat de droit.
Cette semaine, la cour de cassation s’est prononcée dans le cadre de l’affaire Chafik Jarraya, qui traine depuis plus de quinze mois, et a décidé de renvoyer l’affaire devant la chambre d’accusation militaire prés de la cour d’appel de Tunis, sous une autre composition. Cet arrêt de la cour de cassation confirme ce qu’on savait déjà de cette affaire : c’est un dossier qui a été confectionné à la hâte pour des objectifs politiques évidents et qui présente beaucoup de lacunes procédurales qui justifient la décision de la cour de cassation. Bien entendu, il ne s’agit pas encore du fond de la question et des accusations portées contre Chafik Jarraya et ses présumés complices. Seule la justice, dans le cadre d’un procès équitable digne d’un Etat de droit, aura la lourde tâche de se prononcer et de faire la lumière sur la nature des actes commis par les accusés. Il ne s’agit pas non plus d’un quelconque plaidoyer en faveur de la corruption et des corrompus de tous bords, surtout de la part de ceux qui n’avaient pas hésité à faire face à ces magnats mafieux quand ils avaient les pieds dans l’étrier, alors que d’autres ne trouvaient pas de gêne à profiter de leurs largesses nauséabondes ou au mieux, faisaient semblant de rien savoir. Il s’agit au contraire de défendre la lutte nécessaire et salutaire pour le pays, contre la corruption et lui donner les moyens du succès, loin des tractations politiques qui peuvent dénaturer cette campagne, de la précipitation et de l’ingérence dans les affaires de la justice. Aux dernières nouvelles, l’arrêt de la cour de cassation n’a pu être transféré à temps à la cour d’appel, distante de seulement une centaine de mètres, faute d’un véhicule disponible. Cela s’appelle mettre les bâtons dans les roues et c’est un comportement digne d’une bande de voyous et non d’un Etat de droit.
Au même moment, ou presque, notre confrère Raouf Khalfallah a vu sa maison vandalisée, ses meubles saccagés, ses ordinateurs et ses documents volés. Il semble que c’est un acte mafieux qui vise à l’intimider. Plus grave encore, il semble que les clans mafieux ne rechignent plus à passer à l’acte. Ils se sont essayés avant, en vandalisant à plusieurs reprises les véhicules du bâtonnier Chawki Tabib, président de l’Inlucc. Ils continuent toujours d’ailleurs leur campagne d’intimidation contre lui et les membres de sa famille. Plus que le comportement de ces hordes mafieuses, c’est l’inaction des autorités publiques qui est rageante. Cela rappelle à biens des égards feu Abdelfettah Amor et les membres de sa commission au début de la révolution, laissés seuls face à leurs détracteurs. Mais l’histoire a fini par leur donner raison. Cela rappelle outrageusement l’attitude des pouvoirs publics aujourd’hui envers Bochra Belhaj Hmida et les membres de la Colibe.
Certains diront que le non-respect de quelques procédures, le retard prémédité dans l’exécution d’un arrêt de justice, l’intimidation de quelques personnes, ne sont que des faits isolés qui ne mettent pas en danger la pérennité de notre système. Pas pour le moment certes, mais ce sont là des signes inquiétants précurseurs d’un effritement de l’Etat, ouvrant la porte à un système mafieux porteur de tous les malheurs. D’autres pays ont connu ces dérapages et en ont payé le prix fort.