On dit que le Tunisien n'aime pas travailler…
A l’actualité cette semaine, les différends au sein de Nidaa Tounes. On est presque en bataille rangée. Le sujet n’ayant rien d’intéressant pour le Tunisien et son quotidien, il ne devrait pas prendre plus de place qu’un encart au bas d’une page d’un journal. Occupons-nous donc de ce qui intéresse le Tunisien.
L’autre actualité cette semaine, les différends au sein de Nidaa Tounes. Encore ? Au vu des unes des médias et de ce qui buzze sur les réseaux sociaux, aussi bien chez les Nidaïstes que l’opposition, Nidaa est l’occupation première des Tunisiens. Zappons et passons à ce qui est vraiment intéressant.
L’actualité de la semaine, disais-je, est… Nidaa Tounes ! Blague à part, on commence à en faire trop avec un parti âgé de trois ans dont les membres, toutes tendances confondues, sont en train de livrer une bataille rangée entre eux, comme les gamins de la « houma » se disputant un ballon. Il faudrait qu’il y ait un « kbir el houma » pour leur confisquer la balle, leur tirer les oreilles et leur ordonner ensuite de rentrer faire leurs devoirs immédiatement. Et des devoirs à faire, ils en ont !
La véritable actualité de la semaine aurait dû être les assassinats de citoyens par des terroristes. Ni plateaux télé, ni analyses, ni rien. Il est vrai que le berger assassiné ne s’appelle pas Ridha Charfeddine ou Moez Ben Gharbia, mais il est extrêmement dangereux que l’on banalise autant le sujet. La banalisation a atteint le point honteux qu’il n’y ait eu aucun officiel présent à l’enterrement. Cette seule absence aurait dû faire la une de tous les médias.
Si la semaine était vide d’actualité véritable, c’est à cause notamment de ces deux jours fériés consécutifs, mercredi et jeudi. On sort à peine des vacances estivales, suivies de celles de l’aïd que nous nous trouvons face à des congés prolongés. Entre la séance unique deux mois par an, le week-end prolongé qui commence concrètement vendredi à midi (on ne maudira jamais assez le responsable !), le mois de ramadan, le mois de congé annuel et les différents ponts et congés « volés » que les salariés s’autorisent, l’administration tunisienne et les entreprises qui respectent la législation n’ont plus vraiment de temps pour produire et créer de la valeur ajoutée.
J’étais ce matin avec le président de la République qui, après avoir exposé brièvement la situation calamiteuse par laquelle passe l’économie du pays, a conclu : « le Tunisien n’aime pas travailler ! ».
Ceci est vrai, mais la généralisation est exagérée, quand on voit de près.
La Tunisie est aujourd’hui divisée en deux, celle qui paie ses impôts et subvient aux besoins du reste de la population. Cette Tunisie là, pour différentes raisons (dont beaucoup d’objectives) n’aime pas travailler. Et il y a l’autre Tunisie, celle qui ne paie pas ses impôts et qui, elle, travaille, paradoxalement ! Je m’explique.
D’après les chiffres officiels et les déclarations de plusieurs hauts responsables et analystes, le commerce informel représente la moitié de l’économie tunisienne. Peut-être même davantage.
Or, regardons autour de nous. Durant les différents jours fériés, la séance unique et pendant que fonctionnaires et salariés jouissent du farniente, les « travailleurs » du commerce informel ne chôment pas. Ils bossent 6 jours, voire 7 jours par semaine, ne réclament rien, n’observent pas de grève et ne rouspètent jamais. Ils ne sont pas syndiqués, n’ont ni de congé annuel, ni de congé maladie et ne savent même pas ce qu’est une pointeuse. Les patrons de ces travailleurs (les commerçants informels, les chefs de gang, les contrebandiers…) ne subissent ni de grève, ni de négociations salariales. Ils n’entendent pas parler des prud’hommes, ne reçoivent pas les inspecteurs du fisc ou du travail, ne se soucient nullement de la déclaration CNSS et n’ont jamais rempli de feuille d’impôt.
Contrairement aux chefs d’entreprises légales et aux investisseurs légalistes, ces « patrons » ne subissent pas de double imposition la fin de l’année, n’ont pas d’avance sur l’IP à régler chaque trimestre et ne paient pas la TVA chaque mois. Ils ne paient pas non plus 1,5% de TFP pour des formations dont ils ne profitent jamais pour des raisons d’ordre bureaucratique.
Ces Tunisiens qui ne rouspètent pas - et ceux qui les emploient - représentent 50% du PIB national (le vrai, pas celui qu’on lit dans les journaux) et personne n’en parle jamais. Et pourtant, ils travaillent d’arrache-pied plus que tous les autres, ceux dont tout le monde parle.
En clair, et pour résumer la situation, on a d’un côté une Tunisie qui respecte la loi et paie ses impôts, mais ne travaille pas assez ; et d’un autre côté, une Tunisie qui ne respecte pas la loi et ne paie pas ses impôts, mais travaille un peu trop. Comment rétablir un équilibre entre ces deux Tunisie, de telle sorte que tout le monde paie ses impôts, respecte les lois et produise suffisamment pour que la machine économique fonctionne ? Pour que chacune des deux Tunisie accomplisse ses devoirs et obtienne ses droits ?
La solution est présentée dans une tribune d’opinion de Mohamed Ben M’Barek, publiée cette semaine par nos confrères de Leaders. Ingénieur de Polytechnique Paris, DEA en méthodes scientifiques de gestion et docteur en économie publique et régulation, M. Ben M’Barek appelle à une « révolution économique en Tunisie ». Un véritable pavé dans la mare cette analyse dont je recommande fortement la lecture (cliquer ici ) .
Cette tribune explique pourquoi nous en sommes là, pourquoi nous vivons dans un marasme, pourquoi la Tunisie (avec ses lois) empêche la naissance d’un Bill Gates ou d’un Mark Zuckerberg. « Si un yacht people rempli des plus grands entrepreneurs du monde (Zuckerberg & co) arrivait sur nos côtes, en demandant la nationalité et la résidence Tunisienne, ils n'auraient d'autres choix que de cesser toute activité professionnelle », dit-il avant de relater cette vérité très tunisienne : « Ou nous nous enrichissons ensemble ou personne ne s'enrichit. La valeur gauchiste et communiste de l'égalité sociale tire vers le bas et persécute les têtes qui dépassent. »
Et de citer ensuite le docteur en sciences économiques et ancien journaliste français Philippe Simonnot dans cette autre vérité : «La corruption peut être analysée comme une revanche de l'économie de marché sur l'étatisme. Elle permet à une économie étouffée par les règlementations et les impôts de fonctionner quand même. Sans marché noir, le régime soviétique se serait écroulé beaucoup plus vite. (...) Ce n'est pas la corruption qu'il faut combattre en premier lieu, mais l'État en ce qu'il est criminogène.»
Tout est dit ! Le hic c’est que ni Habib Essid, ni Slim Chaker (de purs produits de l’Etat) ne vont faire quoi que ce soit pour réformer l’Etat et son fonctionnement. Ils n’ont pas la mentalité adéquate.
Encore moins du côté de l’opposition qui ne jure que par le socialisme et le protectionnisme et fait de la « défense des pauvres » son fonds de commerce. Quant aux médias, ils préfèrent traiter les sujets générateurs d’audience, comme les différends de Nidaa, de l’article 230 et des querelles d’identité arabo-musulmane ou laïco-progressiste.
Appliquer les recommandations de l’analyse de Mohamed Ben M’Barek reviendrait à dire « laissez les riches entreprendre et vous sauverez les pauvres » ! En Tunisie, pareille phrase est pire qu’un blasphème. Et pourtant, c’est cette recette et uniquement cette recette qui crée la richesse. Facebook et Google en sont la preuve ; Bill Gates et Steve Jobs en sont les témoins.