Le Hezbollah terrorise la politique étrangère de la Tunisie
La Tunisie considère le Hezbollah comme une organisation terroriste. Ou du moins, son ministre de l’Intérieur le considère ainsi. Le ministre des Affaires étrangères, de son côté, a dit qu’il ne s’agit pas d’une décision engageante. Retour sur un cafouillage impopulaire et symptomatique d’un pouvoir étourdi.
Réuni à Tunis, le conseil des ministres arabes de l’Intérieur émet un communiqué dans lequel il classe le Hezbollah libanais comme organisation terroriste. L’Irak refuse la décision et son ministre quitte la salle. Le Liban émet des réserves, car qui dit classement en organisation terroriste dit obligation de la combattre. Les Algériens, via leur ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, expriment leur refus de s’ingérer dans les affaires d’un pays frère. La Tunisie, quant à elle, a accepté cette décision et condière donc, officiellement, le Hezbollah comme une organisation terroriste. Il est à noter que la réunion du conseil s’est tenue en Tunisie sous le haut patronage du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Etait-il au courant du contenu du communiqué final ? N’a-t-il pas pressenti les répercussions d’une telle déclaration ? Assume-t-il le fait de s’aligner de la sorte sur la position des pays du Golfe ?
"Il semble évident que la Tunisie a fait le choix du pragmatisme politique contre celui de l’honneur et des principes", a estimé un bon nombre de personnalités politiques tunisiennes à l'issue de la décision prise par le conseil des ministres arabes de l'Intérieur. En effet, les pays du Golfe sont plus susceptibles d’aider financièrement la Tunisie que les pays ou factions « chiites ». "Par conséquent, depuis quelques mois, la Tunisie s’aligne systématiquement sur les positions diplomatiques des monarchies du Golfe et particulièrement sur celles de l’Arabie Saoudite", estiment-ils. On se rappellera du fait que la Tunisie avait intégré une fantomatique coalition arabe contre le terrorisme ou encore de la condamnation unilatérale d’attentat dans la même monarchie. Entre le choix du cœur et des principes et celui de l’argent et des aides, la Tunisie semble avoir clairement fait son choix.
La décision de classer le Hezbollah comme une organisation terroriste a déclenché un flot tendu de réactions hostiles venant de plusieurs organisations de la société civile et de plusieurs partis politiques. L’UGTT, l’Ordre national des avocats, le Front populaire, Ettakatol…pour ne citer que ceux là, ont rendu publics des communiqués virulents contre cette décision. La centrale syndicale n’a pas hésité à déclarer que cette décision est une « soumission au chantage sioniste ». Elle appelle le gouvernement à revenir sur cette décision qui « ne sert ni les intérêts de l’Etat, ni ceux de la nation arabe ». Même Faouzi Ben Abderrahman et Samir Dilou, respectivement leaders d'Ennahdha et d'Afek Tounes, pourtant membres de la coalition au pouvoir, y sont allés de leurs mots concernant cette décision. Dans un post Facebook publié le 3 mars 2016, M. Ben Abderrahman qualifie la classification du Hezbollah en tant qu’organisation terroriste de « décision catastrophique ». Ensuite, il se demande : « Y a-t-il un leadership politique dans ce pays ? A-t-on décidé de nous joindre à l’alliance saoudienne dans la guerre sunnite-chiite ? Où sont les bases de notre politique étrangère ? ».
Toutefois, cette décision n’a pas déplu à tout le monde. Radwan Masmoudi, président du CSID, ONG islamiste financées par les Américains, qualifie le Hezbollah libanais de mouvement terroriste depuis qu’il a participé « au meurtre de Syriens par milliers, voire par dizaines de milliers… ». Béchir Ben Hassen, ancien imam de Msaken et proche de l'ancien président "révolutionnaire" Moncef Marzouki, salue la décision de classer le Hezbollah en tant qu’organisation terroriste. Il va plus loin en demandant au gouvernement tunisien de fermer et de poursuivre les responsables des pages de réseaux sociaux qui soutiennent le Hezbollah. Cette décision plait aussi à Hechmi Hamdi, chef du courant Al Mahabba, qui avait longtemps glosé sur l’imminence du danger chiite en Tunisie.
Devant le flot de réactions suscitées par cette décision, le ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui a été dépêché, le 3 mars 2016, sur le plateau de Myriam Belkadhi pour éteindre l’incendie. Ce ne sera pas la première fois que le ministre est envoyé au casse-pipe pour expliquer des décisions controversées.
Ainsi, il a déclaré que la classification du Hezbollah libanais en tant qu’organisation terroriste vient d’une simple déclaration collective et qu’elle n’a aucun caractère exécutoire. Le ministre ajoute que considérer le Hezbollah comme organisation terroriste n’est pas la position de la Tunisie et que si une position devait être prise, elle le serait par le président de la République en concertation avec le chef du gouvernement et qu’elle serait annoncée à travers un communiqué ou par le ministre concerné.
Khemaies Jhinaoui poursuit en pointant une « exagération dans les positions en Tunisie concernant cette affaire […] alors que le conseil des ministres arabes de l’Intérieur est administration et un conseil technique donc leurs réunions sont habituellement consacrées à des sujets techniques ». Le chef de la diplomatie tunisienne a également déclaré que si la Tunisie s’était abstenue ou avait exprimé des réserves, « 20 Etats au moins auraient quitté la Tunisie fâchés ».
Le ministère des Affaires étrangères a rendu public un communiqué le 4 mars 2016 reprenant pratiquement les mots du ministre la veille. Ainsi, selon le ministère, il n’y a pas eu de classification du Hezbollah en tant qu’organisation terroriste en rappelant que le communiqué du conseil des ministres arabes de l’Intérieur n’a pas de caractère obligatoire. Le ministère affirme que la position tunisienne entre dans le cadre de la position collective du conseil à la fin de ses travaux et que la Tunisie reste fidèle à l’un des fondements de sa diplomatie, la non-ingérence dans les affaires internes d’autres pays.
« L’adhésion de la Tunisie à cette position collective ne cache pas le rôle important que le Hezbollah a joué dans la libération d’une partie des terres libanaises occupées et ses positions favorables au soutien à la cause palestinienne » ajoute le communiqué. Enfin, la Tunisie insiste sur la nécessité que ce « mouvement » évite tout ce qui pourrait menacer la stabilité des pays de la région et leur sécurité intérieur.
Malgré toutes les justifications du ministre des Affaires étrangères, il est indéniable qu’il y a eu cafouillage dans cette affaire. En effet, le discret ministre tunisien de l’Intérieur a pris, au nom de la Tunisie, une position politique engageant la diplomatie tunisienne au niveau international. En plus, il s’agit d’une position qui vient en plein milieu d’un début de conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et ses alliés, dont le Hezbollah libanais. C’est cet alignement diplomatique sur les positions des monarchies du Golfe qui est principalement critiqué par les observateurs, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une première.
Par ailleurs, un petit regard sur l’Histoire s’impose. En 2008, le Hezbollah libanais avait permis de récupérer les dépouilles de combattants tunisiens lors d’un échange avec Israël. Certains évoquent ce fait en disant que la Tunisie a trahi le Hezbollah en consentant à le qualifier d’organisation terroriste.
Marouen Achouri