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Daech - Le califat, un fantasme aux portes de la Tunisie
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Le fantasme de faire ressurgir le califat islamique n’a jamais été aussi réel. Avec pour argument de guerre la nostalgie d’un âge d’or où les Musulmans avaient le pouvoir, l’organisation de l’Etat islamique en Irak et au Levant, communément appelée Daech, ambitionne de remodeler les frontières du monde musulman, dont la Tunisie. Avec l’annonce d’un nouveau califat, proclamé le 29 juin dernier, le mouvement jihadiste le plus violent, qui a mainmise sur une grande majorité de la Syrie et près des deux tiers nord de l’Irak, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Le califat a un nouveau visage. Abou Bakr Al Baghdadi, proclamé calife et imam des Musulmans du monde entier, se trouve à la tête de Daech. Celui qu’on surnomme aujourd’hui « L’Atilla du Levant », se réserve le titre de successeur au prophète Mohamed. Une distinction disparue depuis 1923, avec l’empire ottoman. Dans un message qu’il adresse, la veille du mois saint de Ramadan, à l’ensemble des moujahidines et à la Oumma islamique, il appelle ses partisans à prendre leur revanche après les torts causés aux Musulmans à travers le monde. Un message dans lequel il pointe du doigt également la Tunisie où « une guerre est menée contre la chasteté et le port du hijab », où se pratique aussi la propagation de « l’infidélité, la prostitution et l’adultère ».
« La Oumma islamique regarde votre jihad avec espoir. Vos frères, dans nombreuses régions du monde, se voient infliger les pires formes de torture. Leur honneur est bafoué et leur sang est versé. Les prisonniers gémissent et crient à l'aide. Les orphelins et les veuves se plaignent de leur sort. Les femmes qui ont perdu leurs enfants pleurent. Les mosquées sont profanées et les sanctuaires, violés. Les droits des Musulmans sont saisis par la force en Chine, Inde, Palestine, Somalie, Péninsule Arabique, Caucase, Shām (le Levant), Egypte, Irak, Indonésie, Afghanistan, Philippines, Iran, Pakistan, Tunisie, Libye, Algérie et Maroc. À l'Est et dans l’Ouest », écrit Abou Bakr Al Baghdadi dans sa tirade.
Baghdadi est connu pour être un visionnaire. Celui qui a donné naissance au rêve d’Oussama Ben Laden, appâte ses disciples, non pas à coup de Paradis et de vierges, mais de butin de guerre et de terres conquises. Dans son discours du 29 juin, il annonce que son organisation portera désormais le nom d’Etat islamique, sans aucune limite géographique, et ce, afin de marquer ses ambitions de s’étendre au monde entier, au-delà des frontières. Et des disciples, nombreux, le rejoignent chaque jour.
En Tunisie, le discours ne semble pas être tombé dans l’oreille d’un sourd. En effet, Lotfi Ben Jeddou, ministère de l’Intérieur, a indiqué que près de 2.400 jihadistes tunisiens combattent aux côtés des rebelles syriens. 80% d’entre eux sont membres de Daech. L’institut national des études stratégiques a, par ailleurs, indiqué que 14 Tunisiens ont été impliqués dans des attentats suicide en Irak durant les mois de mars et d’avril derniers.
Dans une déclaration accordée à l’agence de presse allemande DW, en date du 27 juin dernier, Nasr Ben Soltana, président de l'Association tunisienne des stratégies et des politiques de sécurité globale, explique que les craintes de voir Daech contaminer le Maghreb, et donc, la Tunisie sont fondées. Les mouvements jihadistes locaux et leur homologue irakien étant ralliés à une cause commune, établir le califat islamique, d'où une certaine entraide et une coordination dans les efforts. Par ailleurs, de nombreux jihadistes tunisiens sont actifs à l’extérieur, en Irak ou en Afghanistan par exemple, et plus récemment en Syrie.
Ceci dit, le plus grand danger ne vient pas seulement de l’extérieur. La Tunisie post-révolutionnaire, secouée par l’insécurité et l’instabilité politique est une cible idéale pour accueillir ce mouvement jihadiste et son projet fantasmagorique.
En effet, le Dr Ben Soltana explique que le laxisme de l’Etat face à certaines activités de groupes intégristes, la mainmise sur les mosquées, mais aussi le mouvement d’amnistie présidentielle qui a libéré de nombreux prisonniers, dont des intégristes, sont également pour quelque chose dans cette brèche ouverte au terrorisme. S’ajoutent à cela, les armes à profusion, en provenance de Libye, les réseaux d’embrigadement des jeunes vers le jihad en Syrie aidés par la facilité de la propagande sur internet et alimentés par les discours politiques de certains dirigeants appelant ouvertement au jihad.
Aujourd’hui, la liste des groupes jihadistes armés qui annoncent officiellement leur allégeance à Daech s’allonge d’heure en heure. Le 26 juin dernier, Al Qaïda au Maghreb islamique est venue s’y ajouter. Ce mouvement, auquel appartient le réseau terroriste tunisien, Ansar Chariâa, a publié un message audio posté sur Youtube dans lequel il critique ouvertement Al Qaïda. Le dirigeant algérien d’AQMI, Abou Abdallah Othmane El Assimi, affirme dans cet enregistrement, qu’AQMI reconnait que Daech est sur la bonne voie « plaçant la parole d’Allah au-dessus de tous et en ne reconnaissant pas les frontières imposées par les Taghout », soit trois jours avant l’annonce faite par Al Baghdadi.
Al Baghdadi a déjà tué le père en 2013 en mettant fin à son mariage de raison avec Al Qaïda. Alors que le mouvement d’Al Baghdadi, bébé d’Al Qaïda, nait en 2007 sous l’appellation d’« Etat islamique en Irak », ce dernier attendra 2011 pour se refaire une santé. En effet, le départ des troupes américaines du sol irakien, la politique sectaire du Premier ministre chiite Nouri Al Maliki et la révolution qui éclate en Syrie feront le lit de Daech. Profitant de la porosité des frontières entre les deux pays voisins, des jihadistes irakiens rejoignent la Syrie pour combattre auprès de l’armée libre, accompagnés de jihadistes venant de partout dans le monde, Tunisie comprise. Après avoir soutenu le mouvement syrien, Jabhat Al Nosra, l’Etat islamique en Irak continue d’envoyer des hommes dans le nord de la Syrie sous la bannière de Daech. Le mouvement s’impose alors comme le mouvement jihadiste le plus violent. Même les rebelles syriens n’en veulent pas et les rejettent les accusant de leur avoir dérobé leur révolution. Revenant en force en Irak en 2013, Daech s’appropriera en 2014 la majorité des terres syriennes et près des deux tiers nord de l’Irak et franchit ainsi une nouvelle étape. Daech se veut, en effet, la tête de proue du jihadisme mondial à la place de la maison mère, Al Qaïda.
Suite à cette annonce officielle d’un califat islamique, en Tunisie dans certains milieux radicaux on jubile à l'idée à l'idée de voir ce rêve enfin prendre forme. Dans d'autres milieux, en revanche, à l'instar de Hizb Ettahrir qui prône le califat comme "but ultime", le scepticisme est de rigueur. « Tout mouvement souhaitant instaurer le califat devra suivre la voie du prophète Mohamed [...] cette annonce n'est que bavardage et n'avance en rien dans l'instauration du califat. Il s'agit d'une organisation armée qui n'a pas de réel pouvoir sur la Syrie ou l'Irak »
Cette annonce est aussi un message adressé par Daech à l’ensemble des dirigeants des pays musulmans. Pourtant, en Tunisie les avis divergent aujourd’hui quant à l’importance qu’il faudra accorder au phénomène du terrorisme. De nombreux attentats sont perpétrés dans le pays, dont les tristement célèbres explosions de mines dans les montagnes de Châambi, Selloum et Ouergha, faisant des dizaines de décès au rang de l’armée et de la Garde nationale et aussi, plus récemment, auprès des citoyens tunisiens. Et pourtant, aujourd’hui encore, on déplore l’absence d’une réelle stratégie globale de lutte contre le terrorisme. Au-delà des discours politiques édulcorés et de circonstance, l’appareil officiel n’a pas encore de vision claire pour faire face à cette menace, pourtant, plus que réelle.
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