
Une bouffée d’espoir ? On serait tenté de le croire. Hier, la Cour de cassation a décidé de casser et de renvoyer la décision de la chambre d’accusation dans l’affaire Sonia Dahmani. Voilà une petite lueur dans ce tunnel judiciaire sans fin. Une victoire, nous dit-on ! Champagne ? Peut-être pas tout de suite.
Hourra ! se sont écriés les proches de l’avocate, s’accrochant à cette annonce comme un naufragé à une bouée. Après des mois de décisions absurdes et de traitements carcéraux douteux, toute bonne nouvelle, même microscopique, est bonne à prendre. Et ce, pas seulement pour Sonia, mais pour tous ces prisonniers d’opinion enfermés pour un mot de trop, une déclaration trop acide ou un post mal digéré par les autorités. Qu’ils soient journalistes, figures médiatiques ou simples citoyens qui ont eu le malheur – pauvre d’eux - de croire que Facebook était encore un espace d’expression.
Un sursaut judiciaire, mais jusqu'où?
Mais faut-il crier victoire ? Pour l’instant, aussi tentant soit-il de voir dans cette décision un signe d’indépendance judiciaire et un assouplissement de l’étau liberticide, la prudence demeure de mise. Une décision juste ne suffit pas à rééquilibrer un système bancal. Une injustice corrigée ne signifie pas que les rouages qui l’ont produite vont cesser de tourner.
D’autant que cette décision ne signifie en rien la fin du pouvoir liberticide du décret 54. Rien ne garantit que les autres juridictions s’aligneront sur l’interprétation de la Cour de cassation, ni que ce revirement ne soit pas juste un léger coup de frein, une concession stratégique pour apaiser la grogne grandissante contre ce texte controversé.
Un contexte sous haute tension
Parce que oui, le contexte est brûlant. Entre une proposition de soixante députés pour modifier le décret, un Parlement qui traîne les pieds, et des avocats qui appellent au boycott des procès politiques et d’opinion, la pression monte. Chaque décision judiciaire devient un terrain miné où le droit semble peser moins lourd que les enjeux politiques.
Alors, cette cassation est-elle une lueur de réforme ou juste un petit geste pour la façade ? Une tentative de dire « regardez, la justice fonctionne » avant de reprendre les vieilles habitudes ?
On vantera sans doute le rôle historique de la Cour de cassation, son apport à la construction d’une jurisprudence cohérente, sa capacité à rectifier les erreurs du système. Soit. Mais à quoi bon si ses décisions restent lettres mortes, ballottées au gré des rapports de force et d’une justice à la souplesse… sélective ?
Faut-il crier victoire ?
L’histoire récente invite à la modestie. Rappelons-nous le Tribunal administratif en 2024 : il avait osé réintégrer des candidats à la présidentielle avant d’être superbement ignoré par l’instance électorale, puis carrément neutralisé par une loi expédiée en urgence par le Parlement. L’optimisme avait brièvement flotté dans l’air, avant de se fracasser sur le mur du réel.
Alors, avancée ou simple respiration dans un climat oppressant ? Il serait tentant d’y voir un tournant, une prise de conscience tardive, une timide réhabilitation du bon sens. Mais l’histoire nous a appris à nous méfier des sursauts isolés. Une décision, même juste, ne pèse pas bien lourd face à une mécanique bien huilée, où des jugements sont rendus à géométrie variable, où une simple opinion peut envoyer quelqu’un derrière les barreaux.
Car au fond, la vraie question est là : quel est le poids du droit face à une conviction bien ancrée selon laquelle une parole peut être un crime, une critique une offense suprême, et qu’il est parfaitement légitime de priver de liberté ceux qui osent sortir du rang ? Une Cour de cassation a beau rappeler l’évidence, encore faut-il que cette évidence soit entendue, et surtout, qu’elle s’impose.
Et pour ça, il faudra bien plus qu’un verdict, même limpide.


