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Recensement 2024 : les profondes mutations de la Tunisie
17/05/2025 | 20:45
11 min
Recensement 2024 : les profondes mutations de la Tunisie

 

L’Institut national de la statistique (INS) a publié les résultats officiels du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) 2024. Des données cruciales, non seulement pour la planification, mais aussi pour comprendre les mutations profondes qui ont marqué la population tunisienne ces dernières années. Tour d’horizon.


Définition et utilité

Le recensement est la plus vaste opération statistique menée à l’échelle nationale. Réalisé tous les dix ans, il consiste à dénombrer la population d’un pays. Il constitue une étape cruciale, fournissant une base de données complète et détaillée sur la population, les conditions de logement, la répartition géographique, ainsi que sur les caractéristiques démographiques, sociales et économiques.

Le recensement est la principale source de données fiables sur la population, les logements et les conditions de vie des ménages. Les résultats obtenus sont essentiels pour les décideurs, les chercheurs, ainsi que les structures publiques et privées, afin d’élaborer des politiques publiques, orienter les investissements et préparer des programmes de développement aux niveaux national, régional et local.

Le recensement 2024 s’est distingué par l’usage des technologies les plus récentes, garantissant une meilleure précision et qualité des données, un traitement plus rapide, et un haut niveau de transparence. Grâce à cela, les résultats ont été publiés quelques mois seulement après la fin des opérations, là où il fallait auparavant attendre plusieurs années.

Population

L’INS a recensé 11.972.169 habitants au 6 novembre 2024, dont 50,7 % de femmes et 49,3 % d’hommes. En 2014, la population s’élevait à 10,98 millions d’habitants.

Le taux d’accroissement annuel moyen a chuté à 0,87 % entre 2014 et 2024, contre 2,84 % entre 1984 et 1994. Il s’agit du rythme de croissance démographique le plus bas depuis l’indépendance. La population continue donc de croître, mais à un rythme nettement ralenti depuis 1994.

• Une population étrangère en légère hausse

Entre 2014 et 2024, la population étrangère est passée de 53.490 à 66.349 personnes. Leur part dans la population totale reste faible : 0,55 % en 2024. « Néanmoins, il faut souligner que cette augmentation, en apparence modeste, entraîne des répercussions considérables aux niveaux économique et social », souligne le rapport de l’INS.

• Suprématie féminine

La tendance à la féminisation de la population se confirme. Jusqu’en 2004, les hommes étaient plus nombreux. En 2014, la proportion s’est inversée avec 50,2 % de femmes. En 2024, les femmes représentent désormais 50,7 % de la population.

Parmi les facteurs expliquant ce basculement : un écart d’espérance de vie en faveur des femmes (plus de quatre ans en moyenne), la baisse de la fécondité (à 1,7 enfant par femme, en dessous du seuil de renouvellement des générations estimé à 2,2), ainsi que les migrations internationales, majoritairement masculines.
Cette prédominance féminine croissante soulève de nouveaux défis en matière de planification, notamment dans les domaines de la santé et de la sécurité sociale, qui devront intégrer cette réalité démographique.

• Une population vieillissante

Les données des recensements confirment une transformation progressive de la structure démographique. Si la population tunisienne reste relativement jeune, une tendance nette au vieillissement se dessine, portée par l’allongement de l’espérance de vie et l’amélioration des conditions de santé.

La pyramide des âges a évolué : triangulaire entre 1984 et 1994, elle adopte désormais une forme en cloche. Ce rétrécissement de la base traduit la forte baisse de la fécondité, et la montée en puissance de la population en âge d’activité.

Aujourd’hui, la tranche des 15 à 59 ans représente environ 60,3 % de la population (contre 65 % en 2014). Dans le même temps, la part des personnes âgées (60 ans et plus) est passée de 11,6 % en 2014 à 16,9 % en 2024. En revanche, les enfants de moins de cinq ans ne représentent plus que 5,9 % (contre 19 % en 1966), et ceux de 5 à 14 ans, 17 % (contre 28 % en 1966).

L’âge moyen est passé de 23,7 à 35,5 ans, et l’âge médian de 17,3 à 35 ans. À partir de 25 ans, les femmes deviennent plus nombreuses que les hommes.

Le taux de dépendance des personnes âgées (nombre de personnes âgées pour 100 personnes en âge de travailler) atteint 28 %, contre 18,1 % en 2014.
L’indice de vieillissement (nombre de personnes âgées pour 100 enfants de moins de 15 ans) est passé de 49,2 % à 73,9 % entre 2014 et 2024. À titre de comparaison, il avoisinait les 12 % en 1966.

Ces mutations imposent une adaptation urgente des politiques publiques, notamment en matière de retraites et de couverture sociale. Car si les pensions et les soins augmentent, la population active, elle, diminue, entraînant mécaniquement une baisse des cotisations sociales.

• Une disparité entre les régions du pays

Le recensement de 2024 montre que 59,1 % de la population réside dans le district 2 (qui regroupe les gouvernorats de Tunis, Ariana, Ben Arous, Manouba, Nabeul et Zaghouan, soit 33 % de la population, soit près de 3,95 millions de Tunisiens) et le district 3 (qui englobe les gouvernorats de Sousse, Monastir, Mahdia, Kairouan, Kasserine et Siliana), soit 26,1 % de la population, environ 3,12 millions de personnes.

Il met en lumière des dynamiques démographiques complexes et contrastées entre les différents gouvernorats et régions de la Tunisie. Les données démographiques par gouvernorat révèlent d’importantes disparités, principalement expliquées par l’évolution de la fécondité, les flux migratoires internes et internationaux, ainsi que par les transformations de la structure de la population.

Malgré une tendance globale similaire, les statistiques par district et par gouvernorat révèlent des contrastes démographiques notables :

  • Plus de femmes que d’hommes : Le rapport de masculinité est inversé ; les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes. En effet, dans la majorité des gouvernorats, le nombre de femmes dépasse celui des hommes, en particulier dans les tranches d’âge actives. Ce phénomène, souvent attribué à la migration masculine, est particulièrement marqué dans les régions à forte émigration internationale, comme Tataouine ou Mahdia. Ce déséquilibre démographique a des implications importantes sur le marché du travail et sur la structure familiale.

  • Importance de la migration interne : Certaines régions, et plus particulièrement certains gouvernorats comme Tunis ou Sousse, attirent davantage de population active, au détriment des régions et des gouvernorats de l’intérieur, instaurant ainsi des déséquilibres régionaux de plus en plus préoccupants.

• Forte concentration dans les grandes villes

La population tunisienne est de plus en plus concentrée dans les grandes villes, notamment dans les gouvernorats de Tunis, Sfax, Nabeul et Sousse. Cette concentration se traduit par une forte densité de population, en particulier dans le gouvernorat de Tunis, qui atteint une densité record de 3 734 habitants par km² en 2024, la plus élevée à l’échelle nationale. Cette situation engendre d’importants défis en matière de logement, de transport, de pollution, d’accès aux services publics et de cohésion sociale.

• Population par district

  • District 1 : Quatre gouvernorats regroupant 1 560 843 habitants (environ 13 % de la population totale), répartis comme suit : 39 % à Bizerte, 26 % à Jendouba, 20 % à Béja et 15 % au Kef.

  • District 2 : Six gouvernorats regroupant 3 949 277 habitants (environ 33 % du total), répartis entre : 27 % à Tunis, 22 % à Nabeul, 17 % à Ariana, 18 % à Ben Arous, 11 % à Manouba et 5 % à Zaghouan.

  • District 3 : Six gouvernorats regroupant 3 121 821 habitants (environ 26,1 % du total), répartis comme suit : 25 % à Sousse, 19 % à Monastir, 19 % à Kairouan, 14 % à Mahdia, 16 % à Kasserine et 7 % à Siliana.

  • District 4 : Quatre gouvernorats regroupant 2 046 271 habitants (environ 17,1 % du total), répartis entre : 51 % à Sfax, 24 % à Sidi Bouzid, 19 % à Gafsa et 6 % à Tozeur.

  • District 5 : Quatre gouvernorats regroupant 1 293 957 habitants (environ 11 % du total), répartis comme suit : 41 % à Médenine, 32 % à Gabès, 14 % à Kébili et 13 % à Tataouine.

Ménages

Les différents recensements montrent une augmentation constante du nombre de ménages en Tunisie. Entre 1975 et 2024, ce nombre est passé de 1,01 million à 3,47 millions. Le rythme de croissance des ménages s’est accéléré au fil du temps, passant de 527.135 ménages lors du recensement de 2014 à 759.214 en 2024. Parallèlement, la taille moyenne des ménages a diminué, passant de 5,5 en 1975 à 3,45 en 2024. Cette évolution témoigne d’une transition progressive vers des structures familiales nucléaires et d’un recul des familles élargies.

Logements et raccordement aux réseaux d’électricité, d’eau potable et d’assainissement

Les recensements successifs témoignent d’une nette progression du nombre de logements, qui a été multiplié par 4,9 entre 1966 et 2024, passant de 873.900 à 4,27 millions.
La part des logements rudimentaires a fortement diminué, selon l’INS, passant de 44 % en 1966 à 0,2 % en 2024, ce qui reflète une amélioration notable des conditions de logement de la population tunisienne.
Par ailleurs, la proportion des logements de type villa ou duplex est passée de 10,2 % en 1966 à 58,9 % en 2024, tandis que celle des appartements ou studios est passée de 4,3 % en 1975 à 24,66 % en 2024.
L’Institut note également une amélioration des indicateurs relatifs au raccordement des logements aux réseaux d’électricité, d’eau potable et d’assainissement, reflet d’un meilleur niveau de vie. Ainsi :

  • 97,6 % des logements habités sont raccordés au réseau électrique (STEG), contre 96,6 % en 2014 ;

  • 86,8 % au réseau d’eau potable (SONEDE), contre 84,6 % en 2014 ;

  • 61,5 % au réseau d’assainissement (ONAS), un taux resté stable par rapport à 2014.

Selon les districts, la répartition des logements occupés et vacants révèle des différences significatives, principalement liées à la taille de la population. Les districts les plus peuplés comptent logiquement plus de logements. La proportion de logements vacants est plus élevée dans les districts 5 et 3, connus à la fois pour leur activité touristique et une importante migration vers l’étranger.
Des disparités régionales apparaissent également en matière de raccordement aux réseaux d’assainissement, d’électricité, de gaz de ville et d’eau potable. Si le raccordement au réseau électrique est quasi généralisé, d’importants écarts subsistent pour les autres infrastructures. Le district le mieux doté est le district 2 (Tunis, Ariana, Ben Arous, La Manouba, Nabeul et Zaghouan), tandis que le moins favorisé est le district 4 (Sfax, Sidi Bouzid, Gafsa et Tozeur).

Analphabétisme

Le taux d’analphabétisme parmi la population âgée de dix ans et plus s’élève à 17,3 %, contre 19,3 % lors du recensement précédent. Il est de 22,4 % pour les femmes (contre 25,6 %) et de 12 % pour les hommes (contre 12,8 %).
Ce taux varie selon les régions : il atteint 22 % dans le district 1 (28,4 % pour les femmes et 15,5 % pour les hommes), et descend à 14 % dans le district 2 (17,5 % pour les femmes et seulement 10,4 % pour les hommes).
Le plus bas taux d’analphabétisme a été enregistré à Ben Arous (10,1 % : 13,2 % pour les femmes et 6,9 % pour les hommes), tandis que le plus élevé a été observé à Jendouba (28,5 % : 36,5 % pour les femmes et 20 % pour les hommes).

Scolarisation

S’agissant de la répartition de la population selon le niveau d’éducation, l’INS indique que :

  • 16,1 % ont un niveau universitaire (17,8 % pour les femmes et 14,3 % pour les hommes),

  • 37,1 % un niveau secondaire (33,1 % pour les femmes et 41,2 % pour les hommes),

  • 28,6 % un niveau primaire (26,4 % pour les femmes et 30,9 % pour les hommes),

  • 18,3 % aucun niveau d’étude.

Le taux de scolarisation des 6-24 ans s’élève à 79,2 %. Il atteint 98,2 % pour la tranche d’âge 6-11 ans, mais chute à 43 % pour la tranche 19-24 ans.

Couverture sociale et santé

Selon l’INS, le taux de couverture sociale est de 42,1 %, tandis que la couverture santé atteint 76 %. Ces taux varient d’un district à l’autre :

  • District 1 : couverture sociale 39,3 %, couverture santé 80,2 %

  • District 2 : 49,3 % et 72,6 %

  • District 3 : 40,3 % et 77 %

  • District 4 : 38 % et 77 %

  • District 5 : 33,8 % et 76,5 %

Le taux de couverture sociale le plus élevé est enregistré à Ben Arous (53,3 %), et le plus bas à Kasserine (24,6 %). Pour la couverture santé, le taux le plus élevé est à Siliana (87,3 %) et le plus bas à Sidi Bouzid (68 %).

Recensement : méthodologie et chiffres

10.000 agents ont été mobilisés pour ce recensement. Le taux de réponse a été de 96 % pour le questionnaire principal, et de 98 % pour le questionnaire synthétisé. Le taux de refus de répondre à certaines questions a été limité à 1 %.
La première réunion a eu lieu le 17 mai 2024. Un an plus tard, les résultats étaient communiqués : un exploit en soi, rendu possible grâce aux avancées technologiques.

Le recensement a été mené dans le respect des normes internationales et de manière participative, avec l’implication de diverses parties prenantes, notamment pour l’élaboration du questionnaire. Plusieurs audits ont été réalisés pour évaluer la qualité des données (notamment par le Fonds des Nations Unies pour la population – FNUAP) ainsi que la sécurité des informations.
Il s’est déroulé en plusieurs phases :

  1. Phase préparatoire

  2. Phase de décompte en amont

  3. Phase de décompte réel

  4. Phase de vérification en aval, sur un échantillon de 60.000 familles

  5. Phase de traitement et d’exploitation des données

Un budget de 89 millions de dinars a été prévu pour les exercices 2022, 2023 et 2024. À la fin de 2024, 74 millions avaient été dépensés, soit un taux d’exécution de 83,1 %, grâce à une bonne gestion, aux compétences nationales et à l’usage des technologies modernes.
Le budget final sera communiqué à la fin des travaux et publications, prévues pour septembre 2025. D’ici là, l’Institut continuera à publier les données détaillées, réparties en douze axes thématiques.

 

Imen NOUIRA

17/05/2025 | 20:45
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