Pour Béji Caïd Essebsi, la vengeance est un plat qui se mange froid
Par Marouen Achouri
Affaibli, isolé, critiqué, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, n’est certainement pas dans la meilleure période de son mandat. Il a commis l’erreur de descendre dans la mêlée politique et d’abandonner son rôle fédérateur. L’échec cuisant de la procédure de l’accord de Carthage 2, par laquelle il voulait évincer le chef du gouvernement Youssef Chahed, a montré qu’il était incontestablement dans les rangs de son fils Hafedh et qu’il était prêt à mettre tout son poids symbolique dans la balance.
Cet aspect a été largement analysé et discuté dans les colonnes des journaux et dans les plateaux télé ou radio. Toutefois, il faut toujours faire attention à l’eau qui dort. Béji Caïd Essebsi est un animal politique redoutable qui ne s’épanouit que dans l’adversité politique déclarée. Comme le fût Jacques Chirac en son époque, son efficacité en tant que président est contestable, mais en campagne il est redoutable. De ce fait, Béji Caïd Essebsi reprend du poil de la bête quand il se trouve devant un adversaire déclaré qu’il faut battre. Moncef Marzouki en sait quelque chose.
Aujourd’hui, son adversaire est Youssef Chahed et, derrière lui, le parti Ennahdha. Par trois manœuvres distinctes, le président de la République est en train de mettre en place un plan visant à battre en brèche l’allié principal de Youssef Chahed, à savoir Ennahdha. La première de ces manœuvres est l’adoption en conseil des ministres du projet de loi concernant l’égalité de l’héritage. Au-delà du fait que BCE inscrira son nom dans l’Histoire du pays par cette avancée, il accélère la présentation de ce projet de loi devant l’ARP. L’objectif est de montrer à l’opinion publique que le principal soutien de Youssef Chahed est un parti rétrograde opposé à toute avancée sociale, particulièrement concernant les droits de la femme. Il n’est un secret pour personne que Ennahdha est opposée à ce projet de loi et votera contre. L’impact de ce vote, en plus des débats qui le précéderont, mettront certainement le chef du gouvernement dans une posture délicate.
La deuxième de ces manœuvres est la prise en charge par la présidence de la République du fameux dossier de l’appareil sécuritaire secret d’Ennahdha. Selon les dernières informations, ce sujet sera à l’ordre du jour de la réunion du conseil de sécurité nationale demain 29 novembre. Autrement dit, les accusations qui visent Ennahdha depuis un certain temps prennent de l’ampleur avec l’intervention de la présidence de la République. Béji Caïd Essebsi donne de sa propre légitimité à ces accusations et fait mine de les adopter tout en restant prudent. Encore une fois, Béji Caïd Essebsi met en défaut le parti Ennahdha et l’oblige à publier des communiqués nocturnes et à faire la tournée des plateaux. Il s’agit là d’une autre attaque visant à remettre au goût du jour le passé criminel et parfois meurtrier du parti islamiste.
La troisième de ces manœuvres passe par le nouveau secrétaire général de Nidaa Tounes, Slim Riahi. Il est difficile de croire que la plainte déposée par ce dernier, visant Youssef Chahed en plus d’autres personnalités de son cercle, soit passée sans l’aval de Béji Caïd Essebsi. Indépendamment du bien fondé ou non de cette plainte, elle a déjà provoqué suffisamment de « bruit » médiatique. D’autre part, l’accusation est très grave et jette un doute sur la sincérité des intentions du chef du gouvernement. L’objectif est évidemment de lui porter atteinte et de le réduire à des intentions dictatoriales pour casser la rhétorique de « l’intérêt du pays ». Béji Caïd Essebsi, même s’il n’est peut-être pas à l’origine de la plainte, a certainement donné son accord.
Ce serait une erreur monumentale de sous-estimer la roublardise politique de Béji Caïd Essebsi. A cela s’ajoute un aspect personnel visant Youssef Chahed. Il ne lui pardonnera probablement jamais l’intervention télévisée durant laquelle il s’est attaqué frontalement et nommément à son fils Hafedh. Une intervention qui, selon certains échos, avait mis le président dans une colère noire.