
Les vacances judiciaires se terminent dans trois jours. Rien sur le mouvement dans le corps des magistrats ne semble, pourtant, décidé. Le président de la République, Kaïs Saïed, serait à l’origine du blocage. C’est ce qu’a laissé entendre le professeur de droit, Amine Mahfoudh. Selon les informations que l’enseignant a pioché auprès de sources proches du pouvoir, le locataire de Carthage ne s’est toujours pas prononcé sur l’affaire car la liste que le Conseil supérieur provisoire de la magistrature lui a remise incluait les noms de certains juges qu’il avait lui-même révoqué en juin.
Plusieurs ont eu gain de cause mais cela ne semble pas réjouir le président de la République. Très vite après l’annonce de la suspension de la décision de révocation, le ministère de la Justice a, rappelons-le, réagi en s’opposant au jugement du Tribunal administratif expliquant que certains juges faisaient l’objet de poursuites judiciaires.
L’affaire demeure en suspens pour le moment. Les juges qui ont eu la suspension de leur révocation n’ont pas réintégré leurs postes et ceux qui attendent leur promotion, affectation ou encore mutation peuvent encore patienter. Personne ne sait, par ailleurs, si le Conseil supérieur provisoire de la magistrature a vraiment présenté sa liste au président de la République. La dernière rencontre entre Kaïs Saïed et le président du Conseil supérieur provisoire de la magistrature Moncef Kchaou – chargé de remettre la liste du mouvement – date du 8 juillet 2022. M. Kchaou avait, alors, présenté au président de la République le rapport d’activité du conseil relatif au premier trimestre de l’année en cours.
Le chef de l’Etat s’est, rappelons-le, arrogé le pouvoir de nommer les magistrats sur la base des propositions du Conseil supérieur de la magistrature. Cela est, d’ailleurs, inscrit noir sur blanc et dans l’article 21 de la nouvelle constitution et dans le décret-loi n° 2022-11 du 12 février 2022, relatif à la création du Conseil supérieur provisoire de la magistrature. Celui-ci « est chargé de la préparation du mouvement annuel des magistrats à savoir la nomination, l’affectation, la promotion, la mutation et le licenciement, ainsi que les demandes de levée de l'immunité et de démission », selon l’article 15 dudit décret-loi. Une fois la liste du mouvement de la magistrature judiciaire, administrative et financière transmise au Président de la République, celui-ci « signe le mouvement des magistrats relevant de chaque ordre dans un délai de vingt et un (21) jours », selon l’article 19 dudit décret. Or, « Le Président de la République peut, dans le délai prévu au premier alinéa du présent article, s'opposer à la nomination, l’affection, la promotion et la mutation de tout magistrat, sur la base d’un rapport motivé du Chef du Gouvernement ou du ministre de la Justice. Dans ce cas, chaque conseil doit réexaminer l’opposition par le remplacement de la nomination, l’affection, la promotion et la mutation dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de réception de l’opposition », lit-on dans le même article.
En dépit des répercussions de ce retard sur le quotidien des magistrats et leurs carrières, ni le président de la République, ni les structures syndicales ne semblent y prêter l’intérêt nécessaire. Le député d’Attayar, Nabil Hajji, est revenu sur cette affaire dénonçant le mutisme des syndicats et organisations de la magistrature. Aucun ne s’est manifesté pour dénoncer ou condamner ce retard.
Le mouvement dans le corps des magistrats aurait dû être rendu public depuis le mois d’août, car, notons-le, pour certains cela implique, entre autres, de déménager dans un autre gouvernorat et de placer les enfants dans une nouvelle école, pour ceux qui ont des enfants à charge. La situation, déjà préoccupante, risque d’être bien plus compliquée à quelques jours de la rentrée scolaire. Le président de la République continue, toutefois, à peaufiner son œuvre à son rythme sous l’étendard de sa guerre sainte contre la corruption et la nécessité d’assainir la justice.
Nadya Jennene


