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Chroniques
La majorité n'a pas toujours raison
Par Faten Kallel
16/03/2023 | 15:59
4 min
La majorité n'a pas toujours raison

 

Dans le monde merveilleux des réseaux sociaux, les excités, les "chmetards", les inconditionnels de la vengeance ont toujours donné l'air de dominer l'opinion publique. Aujourd'hui encore, ils exhibent sans complexe leur exaltation de cette Tunisie divisée et haineuse et semblent en être extrêmement satisfaits.

Sauf que dans la vraie vie, le son de cloche est quelque peu différent. Certes, les Tunisiens ne veulent pas de retour en arrière et aspirent à rompre avec les figures qu'ils associent à l'échec, mais ils ne s'attendaient certainement pas à vivre une situation aussi complexe et une crise aussi pesante, le jour où ils ont soutenu le coup d'Etat.

 

Les Tunisiens, pour leur majorité, commencent à se sentir désarmés face à cette atmosphère lourde et anxiogène. Crise économique, cherté de la vie, absence de perspectives d'avenir, isolement du monde développé, que des problèmes et peu de solutions rationnelles proposées. Ils se laissent encore bercer par l'espoir que cette crise ne soit que temporaire et qu'une fois les ennemis de la nation neutralisés, comme le promet le président, tout reviendrai dans l'ordre. Mais une petite voix intérieure commence à leur chuchoter à l'oreille que cela est invraisemblable et qu'il vaudrait mieux ne pas se faire d'illusions.

L'élite, quant à elle, vit sous la menace. Harcelée, paralysée par cette chape de plomb qu'est l'arbitraire du pouvoir actuel. Les initiatives politiques sont devenues dangereuses pour leurs initiateurs, tout projet social est devenu louche, et tout entrepreneur est estampillé du label "voleur/magouilleur". Accusée de traitrise, de manque de patriotisme, de collaboration avec l'ennemi, l'élite politique, économique et sociale se retrouve neutralisée, avec une marge de manœuvre quasi nulle. Nous sommes tous coupables jusqu'a preuve du contraire.

Seuls ceux qui adhèrent au projet du président sont libres, autorisés à dépasser toutes les limites de la décence et de l'acceptable, sans avoir à rendre des comptes ou à répondre du mal qu'ils profèrent. Apparemment la règle est simple et le passage vers la liberté et la paix ne demande qu'un seul petit pas, certes truffé de compromission pour ceux qui se veulent sincères, mais d'après certains, rien de bien grave pour le bénéfice escompté.

 

Adhérer... On ne demande que ça. Qui refuserait de vivre en paix dans le meilleur des mondes, débarrassé du poids des menaces. Mais réellement adhérer à quoi ? On a beau chercher, analyser, on n'arrive toujours pas à apprécier la teneur et les contours de ce projet, annoncé porteur d'espoir pour l'humanité entière. Comme si nous étions passés à une quatrième dimension et que seuls quelques "élus" ont eu droit à la pilule rouge.

Nous, tout ce que nous percevons de notre côté, c'est des actions aberrantes, défiant toutes les lois sociales, économiques et politiques connues à ce jour. Face à la rareté des produits de première nécessité, dont l'Etat défaillant tient le monopole, on applique une politique de la terreur et une destruction des chaines de distribution, rendant ces produits encore plus rares et leur commerce fuit comme la peste. On voudrait rendre le pays attractif pour l'investissement, mais on chasse l'étranger et on estampille toute collaboration avec lui de traitrise. On veut instaurer une société idéale, dynamique et contributive, mais on tue toute initiative contradictoire.

Quel est ce projet, qui prétend réinventer la roue, et qui veut faire table rase de tout ? Non seulement de décennies de construction, qui nous ont permis de nous hisser à des rangs respectables parmi nos voisins, mais aussi de siècles d'apprentissage et d'avancées humaines en matière de sociologie, d'économie et de politique.

Dans ce sens, il serait honnête de relativiser ce qu'on appelle échec de la transition démocratique que certains qualifient de noire. La décennie était tout sauf noire, elle était même arc en ciel, assez brouillon certes, mais suffisamment ouverte pour nous contenir tous. Contrairement à ce qui se passe actuellement, elle avait pour exigences de nous mettre tous à contribution, de donner chacun du sien, volontairement, consciemment, tout en sachant que tout le monde en bénéficiera, même ceux que nous n'apprécions pas.

Sauf que la majorité a décidé que ça n'en valait pas la peine. Si chacun attendait ardemment des résultats en sa faveur, peu d'entre nous s'y étaient investis et ont accepté de concéder les mêmes bénéfices aux autres. Dans son élan, la majorité a sacrifié les institutions qui permettaient à nos voix de porter. Par pure lassitude, juste pour un peu de tranquillité. Et surtout pour le plaisir de voir ses adversaires souffrir.

 

La majorité domine certes, mais elle n'a pas toujours raison. Elle a souvent été le véhicule de la peur, de la panique et des choix irréfléchis. Des sortes de mouvements de foule ou chacun pense à sa survie et aucun ne songe un instant à une issue commune. Voilà pourquoi la démocratie reste le seul modèle qui permette d'en atténuer les risques, en donnant à la minorité les mécanismes nécessaires à son expression et à la formation d'un contrepoids face aux dérives. En son absence, tout le monde perd, à commencer par cette majorité qui se gargarise de son hégémonie.

Par Faten Kallel
16/03/2023 | 15:59
4 min
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Commentaires
Lol
Arc-en-ciel gris
a posté le 17-03-2023 à 09:37
Quand la minorité domine, on appelle ça dictature.
Les élites autoproclamés devraient regarder les politiciens occidentaux et apprendre a convaincre.
Quant a la dernière décennie on voit bien qu'il s'agit du récit d'une personne qui ne connait pas les problèmes de la majorité.
Chômage, pauvreté croissante, agressions par les forces de l'ordre, mépris des soit disant élites.
Travail, liberté et fierté nationale. Qu'avez vous de ça ?
'Gardons un minimum d'honnêteté!
Chère Compatriote, Madame Faten Kallel
a posté le 16-03-2023 à 21:51
Chère Compatriote, Madame Faten Kallel,

ce n'est pas Carthage et ce n'est pas Mr. Kais Said qui sont responsables de la la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) qui fait trembler le monde des finances, ravivant le fantôme d'une crise bancaire et financière mondiale. --> non, la faute c'est plutôt à la hausse des taux d'intérêt, Le résultat du resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale (FED) depuis la fin de 2021. --> Les génies des finances ont apparemment (je dis bien apparemment) négligé le fait qu'il y a une corrélation négative entre la valeur des obligations en circulation et les taux d'intérêt.

L'humanité a ainsi deux problèmes que l'on ne pourrait pas résoudre simultanément:
- a) Pour arrêter l'inflation il faudrait maintenir la politique de remontée des taux d'intérêt
- b) pour ne pas causer la faillite du système bancaire internationale il faudrait arrêter la politique de remontée des taux d'intérêt (après une politique de taux zéro qui a durée plus qu'une décennie)

Et que fait la Tunisie dans toute cette charabia? Oui, nous subissons les conséquences des choix socio-économiques de certains incompétents génies de certains pays qui sont soi-disant développés. Ces derniers vont de nouveau injecter des centaines de milliards dans leur système bancaire (ce que l'on fait déjà avec Silicon Valley Bank) comme en 2008, alors qu'il y a déjà trop d'argent en circulation --> de ce fait l'inflation va de nouveau s'aggraver '?'

Chère Compatriote, Madame Kallel, vous voyez ainsi que nos problèmes socio-économiques sont à 80% importés. Et pourtant, il faudrait trouver des solutions pragmatiques afin de faire sortir la Tunisie de l'impasse socio-économique. --> Oui, Madame Kallel, il faudrait que l'on garantisse l'autosuffisance alimentaire pour tous les Tunisiens par nos propres moyens. Et pour savoir le comment, je vous propose de lire mes commentaires sur Business News TN.


Bonne soirée

Gg
D'accord avec le titre...
a posté le 16-03-2023 à 18:51
...mais la conclusion, "la démocratie reste le seul modèle qui permette d'en atténuer les risques, en donnant à la minorité les mécanismes nécessaires à son expression et à la formation d'un contrepoids face aux dérives", me semble un voeu pieu.
En 2012, je vivais à Tunis, j'avais donc suivi les travaux de l'assemblée constituante.
Il me souvient qu'un orateur était monté à la tribune, brandissant le Coran il criait "la constitution, la voilà!".
Ce type était comme les auteurs d'attentats que l'on juge régulièrement en France. Immanquablement, leurs premiers mots sont pour dire qu'ils ne reconnaissent pas la Loi de la République, qu'ils n' obéissent qu'à la loi de Dieu.
Ce dont ils se réclament n' est pas la démocratie, mais la théocratie.
Vous dites vous mêmes que la démocratie doit donner aux minorités (donc aussi aux autres religions et athées et agnostiques) la possibilité d'influer sur la vie publique. En clair: les mêmes droits et devoirs à tous.
Il y a donc là une antinomie fondamentale, et en fait la Tunisie n'est pas sortie de cette contradiction.
L'islamisme veut utiliser la démocratie comme cheval de Troie, pour la détruire. Il n' est évidemment pas question de séparation des pouvoirs, les contrevenants à la loi de Dieu sont haram et doivent être éliminés.
Le reste, corruption, oligarchie etc... n' est que contingence, annexe.
Bref, pour qu'une démocratie fonctionne, tous les acteurs politiques doivent la souhaiter. Ce n'est pas le cas en Tunisie, et on peut craindre que le pays ne surmonte pas ses problèmes tant que la contradiction fondatrice ne sera pas réglée.
La Tunisie a certes le droit de choisir la théocratie, mais cela entraînera forcément un isolement profond, très difficile à vivre dans un monde où l'interconnexion des économies est la règle. Voyez ce qu' est devenu le Liban sous la houlette du Hezbollah, voyez l'Iran dont les femmes se révoltent pour échapper à la chappe de plomb des religieux etc...
La démocratie est un beau système politique, lorsque et seulement lorsque tous ses acteurs la désirent!
DHEJ
Mais la majorite serait a sec!
a posté le 16-03-2023 à 18:33
L'eau de la majorite ou de la minorite?
Zarzoumia
Démocratie
a posté le 16-03-2023 à 18:04
La majorité a toujours raison mais la raison a bien rarement la majorité. Soyons indulgents et disons que la majorité se trompe comme tout le monde. Le point important c'est la protection des minorités car c'est l'essence de la démocratie, cela rejoint Albert Camus :"La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.'?'
La démocratie est le meilleur bouclier. Paul ricoeur disait :
"Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c'est-à-dire traversée par des contradictions d'intérêts, et qui se fixe comme modalité d'associer à parts égales chaque citoyen dans l'expression, l'analyse, la délibération et l'arbitrage de ces contradictions "
Quant aux imbéciles qui pullulent disons que La minorité a ceci de supérieur à la majorité qu'elle comprend un nombre inférieur d'imbéciles.
Merci pour l'article.

Riri
+10
a posté le à 20:24
+10 pour la meilleure réflexion suivant cet article (contrairement au relativisme de GG qui semble oublier comment et enfant combien de temps s est construit la démocratie ailleurs)
MFH
Guérir le mal par le mal.
a posté le 16-03-2023 à 17:51
Mille fois OUI quand on n'a à faire qu'à des sages. Mais les 11 années d'occupation ne peuvent disparaître que par la force.
Fares
Sagesse et argument circulaire
a posté le à 18:16
"Mais les 11 années d'occupation ne peuvent disparaître que par la force."

'?tes-vous un sage? Sinon, cette affirmation ne vaut même pas quelques glibettes.
Ben Hassen Mondher
Le bon sens
a posté le 16-03-2023 à 16:47
Le bon sens qui rassure. Ravis, qu'il continue à y avoir en Tunisie des personnes qui font preuve de sagesse. Merci. Vous constituez des rayons de lumière
Ahmed
Contradiction
a posté le 16-03-2023 à 16:32
L'auteur tombe dans une contraction et se prend les lacets. Puisque c'est la majorité, le débat est clos et c'est à l'Histoire animée par les mécanismes de la dialectique Hégélienne de séparer le vrai de l'ivraie, n'est ce pas?
Riri
B importe quii
a posté le à 20:26
Puisque c est la majorité le débat est clos

Ok
Donc historiquement;
Pas d abolition de l esclavage
Pas de vote des femmes
Et la liste est longue.

Historiquement vous avez a la foi tort et êtes dangereux sinon lache.