
En France, après des mois de tractations, de mobilisation sociale, de débats sur la réforme des retraites, la tension a atteint son paroxysme jeudi. Le président et son gouvernement pensaient avoir une majorité au parlement pour passer le texte, mais ce n’était pas gagné. Ils décident de ne pas soumettre la réforme des retraites au vote et de recourir à l’article 49.3 de la Constitution. Un passage en force qui a cristallisé la colère des oppositions et des syndicats. Le spectacle au Parlement français valait le détour. Des motions de censure sont en préparation contre le gouvernement. Des manifestations sont au programme.
C’est la crise. On parle de mépris de la démocratie représentative, d’un déni de démocratie, du fait que l’exécutif n’ait pas permis au peuple de s’exprimer à travers ses élus, d’avoir confisqué sa volonté, d’avoir bafoué le Parlement. On évoque l’échec d’un exécutif sourd qui aurait dû aller au vote quitte à perdre. On assure qu’il s’agit d’une défaite morale et politique. On fustige un exécutif qui a choisi la rupture, l’affaissement démocratique…
En Tunisie, les fans du président Kaïs Saïed étaient aux anges du fait de cette histoire de passage en force sans vote du Parlement : « Vous voyez ? On exporte notre modèle ! », « Même la France comprend ce qu’il faut faire », « Notre président n’avait pas tort d’agir de la sorte » … et autres inepties inutiles à reproduire ici. Peu connaisseurs des rouages des institutions politiques françaises, les imbéciles heureux ont sauté sur l’occasion pour encenser les démarches de leur chef.
Pour un Tunisien qui suit à la fois l’actualité politique tunisienne et française, il n’y a pas moyen de comparer. Recourir au 49.3 n’est qu’une mesure on ne peut plus constitutionnelle. L’exécutif français n’a pas agi dans l’illégalité la plus totale et n’est pas sorti du cadre défini par les institutions et la constitution. Mais pourquoi donc tout ce raffut, pourquoi cette crise et ces condamnations ? se demanderaient nos imbéciles heureux. Arriveraient-ils à comprendre que le débat est ailleurs et à des années lumière de ce qui passe de notre côté ? C’est de la moralité de la chose dont il est question, du fondement même de ce qui fait l’essence de la démocratie.
De notre côté, la constitution a été piétinée par une personne qui se dit constitutionnaliste, le comble. On a vu l’article 80 dégainé sur une interprétation tirée par les cheveux. Une seule personne a fait en sorte de dézinguer les lois, dissoudre parlement et instances, accaparer les pouvoirs détruisant le principe de séparation, s’attaquer aux corps intermédiaires…
Les gens ont applaudi et continuent à le faire. C’est que les gens en avaient marre du paysage politique délétère d’avant 25-Juillet et personne ne dira (à moins d’être un imbécile heureux de l’autre camp) que c’était la perfection. Notre constitutionnaliste a profité de la débandade et s’est posé en sauveur de la nation. Mais il s’est avéré petit à petit qu’il était question du déploiement d’un projet ou vision personnelle dans laquelle il entraine cette nation vers l’inconnu. Que valent respect des lois et des institutions et même un semblant de démocratie embryonnaire face à une obsession alimentée par la cacophonie et l’exaltation populaires ?
Non, il n’y a pas de comparaison qui tienne. Ceux qui persistent à dégobiller leurs pseudo-analyses devraient plutôt s’intéresser aux milliards de milliards promis par le président via la conciliation pénale. Il y a quelques mois, il disait que cet argent tomberait du ciel (et des poches des corrompus) très rapidement. Aujourd’hui, il se trouve contraint à faire porter le chapeau du retard aux membres de la commission. C’est la faute aux autres ! Ainsi, il peut continuer à vendre du rêve ou plutôt des illusions et le peuple de s’y accrocher aveuglément.
Peut-être que cette histoire est beaucoup trop contraignante ? On suggérera à nos analystes de se pencher sur le débat platiste et nous prouver si vraiment la Terre est plate et si c’est bien le cas, de débusquer un lopin de terre pour le royaume de la nouvelle Atlantide afin de rendre service aux amis de la vice-présidente du Parlement des « fidèles ».
Bon week-end



Merci pour votre retour et les citations on ne peut plus claires et éclairantes. De Gaulle était un peu
"vieille France".
Je relève cependant une différence notable avec K.S. ; sa réaction au lendemain du rejet de son référendum relatif à la réforme des institutions. Conséquent, cohérent et pour ainsi dire honnête, dans un communiqué sec et laconique il a claqué la porte. et rendu son tablier.
Il n'en a jamais été question en Tunisie nonobstant les revers électoraux que vous savez même pas pour inciter à plus large participation avant les échéances. On s'est suffi de peu en le brandissant comme on le ferait d'un trophée arraché de haute lutte.
Un intellectuel de poids, pour qui j'ai beaucoup d'estime, me surprendra toujours par l'admiration qu'il a pour De Gaulle, Régis Debray.
C'est un autre débat.
Bien à vous.
A la faveur de la guerre d'Algérie et l'instabilité de la 4ème république, il a réussi à faire valoir ses idées. Il était antiparlement, anti partis. Il mettait l'action au dessus de la délibération( démocratie). Il voulait libérer l'exécutif de la tutelle du parlement. On parle de "parlementarisme rationnalisé". Il traduisait l'histoire française de l'alliance monarchique avec le peuple contre les féodaux, contre les factions et les partis. Pour KS, la profondeur historique est le califat. De Gaulle ne manquait pas de populisme à l'instar de KS. Voici quelques citations de De Gaulle où la similitude est frappante, d'ailleurs à l'époque on dénonçait la dictature et le Bonapartisme.
« Le Parlement devient de plus en plus odieux et bête. Les ministres ont littéralement toutes leurs journées prises par les séances de la Chambre, du Sénat, ou de leurs commissions, la préparation des réponses qu'ils vont avoir à faire, la lecture des requêtes ou des injonctions les plus saugrenues du premier marchand de vins venu que la politique a changé en député. ['?'] Nous serons vainqueurs, dès que nous aurons balayé cette racaille, et il n'y a pas un Français qui n'en hurlerait de joie, les combattants en particulier. »'?'
« Certes, les abus du régime parlementaire, devenus intolérables, avaient eu pour conséquence un grave fléchissement de l'autorité de l'?tat et dans les administrations. ['?'] Mais de telles moisissures étaient superficielles »
« Une démocratie réelle, où ni jeux de professionnels, ni marécage d'intrigants ne troublent le fonctionnement de la représentation nationale, où, en même temps, le pouvoir qui aura reçu du peuple la charge de le gouverner, dispose organiquement d'assez de force et de durée pour s'acquitter de ses devoirs d'une manière digne de la France, voilà d'abord ce que [le peuple français] veut se donner »
« ['?'] le régime des partis ressemble fort à la monarchie décadente. On ne s'entend plus dans cette tour de Babel des partis, où les volontés des maîtres se contredisent, s'annulent ou s'entremêlent dans d'étranges compromis »
« L'esprit de la Constitution nouvelle consiste, tout en gardant un Parlement législatif, à faire en sorte que le pouvoir ne soit plus la chose des partisans mais qu'il procède du peuple, ce qui implique que le Chef de l'?tat, élu par la Nation, en soit la source et le détenteur. »
En France, du temps où il était dans l'opposition, F. Mitterrand n'avait pas de mots assez durs pour fustiger les institutions telles que dessinées par la Constitution du 4 octobre 1958.
"Coup d'Etat permanent" dont il s'est accomodé une fois au pouvoir.
La France est en Europe occidentale où règne la démocratie parlementaire, le seul pays où sévit ce régime surtout depuis la modification de la constitution instaurant l'élection du président de la République au suffrage universel.
Les voix ne sont pas rares qui appellent à tourner définitivement le dos à un système de monarchie républicaine où tout procède d'un seul homme et à qui tout remonte.
Les troubles et manifestations en cours ne sont autres que la rançon du déni de démocratie ressenti par le passage en force sans vote d'un texte qui touche au quotidien de tous, cadeau de l'art. 49-3.
De la même manière que Zemmour a sauté à pieds joints sur l'occasion fournie par les propos de K.S. au sujet des Subsahariens, les soutiens de ce dernier font de même au sujet du passage en force par Macron.
Toujours s'aligner par le bas, sur le moins-disant démocratique.
Discordance des faits, il est piquant d'observer que, dans le même moment où les autorités françaises, au moyen de procédés contestables et contestés, cherchent à allonger le temps de travail, améliorer la productivité, leurs homologues tunisiennes, pour cause de ramadan, les réduisent au profit d'une fonction publique et parapublique, de l'avis de tous, Tunisiens et étrangers, pléthorique, surnuméraire et ruineuse.
Entre le patriotisme économique et la stricte observance confessionnelle inscrite nulle part, nous avons fait le choix.
Allah a bon dos.
Incroyables ces bougnouls du bled.
C'est plutôt la Tunisie qui copie très mal la France et de Gaulle.
La parenthèse de Gaulle est finie avec une France plus forte. On verra comment la parenthèse KS finira.
Ceci et bien d'autres erreurs de Macron produisent la révolte actuelle.
Il n'en reste pas moins que cette réforme faisait partie du programme sur lequel Macron a été élu.
Celui-ci est donc tout à fait dans son rôle et en pleine légitimité en menant cette réforme à terme.
En réalité, la participation à l'élection n'a pas été assez forte pour que le Président puisse parler au nom de tous les français. Il fallait voter!
Et c'est la que cette histoire parle à la Tunisie, et pourquoi je me permets ce commentaire franco-français: abstentionnistes, après le vote c'est trop tard pour râler!
Voter est un devoir absolu.
A long terme, il n'est pas exclus que la Tunisie redevienne une démocratie plus efficace que la première parce que plus expérimentée.
Par contre, va falloir revoir la constitution, ne serait-ce que les fautes d'orthographes, la Tunisie mérite mieux.