La BCT et l’inflation ou le mythe de Sisyphe
Par Houcine Ben Achour
L’information est presque passée inaperçue, noyée dans un communiqué, laconique comme à l’accoutumée ; celui que publie le Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie à l’issue de sa réunion mensuelle pour informer, en conclusion, qu’il maintient, ou au contraire a décidé d’ajuster, le taux directeur de l’institut d’émission, à la hausse bien entendu.
La BCT va se doter d’un plan stratégique 2019-2021. « Le Conseil a pris connaissance des grandes lignes du projet de premier plan stratégique de la BCT 2019-2021 », indique le communiqué. Faut-il comprendre par là que l’autorité monétaire à décider d’élargir son périmètre d’action, ne se focalisant plus exclusivement sur le ciblage de l’inflation, en s’engageant dans un processus de réformes structurelles qui hissent le secteur bancaire et monétaire au diapason des standards internationaux et répondent dans le même temps aux exigences du développement économique du pays?
En termes de ciblage de l’inflation, l’autorité monétaire n’a pourtant pas chômé. La hausse coup sur coup en mars et en juin 2018 du taux directeur de la BCT le faisant passer de 5% à 6,75% avec un corridor de variation de 1% avait laissé entrevoir une volonté de reprise en main par l’institut d’émission des dérapages monétaires et des tensions inflationnistes qu’ils engendraient. La banque des banques inaugurait une politique plus rigoureuse en matière de distribution de crédit. La récente publication du Rapport annuel sur la supervision bancaire en 2017 fournit un éclairage sur les tenants de cette politique.
Cette année là, la BCT a été amenée par deux fois déjà à relever son taux directeur. Au bout du compte, rien n’y a fait, l’encours des crédits d’exploitation aux professionnels a augmenté de 21% et l’encours des crédits à la consommation aux particuliers a augmenté de 10%. Heureusement que le volume des impayés et des créances immobilisées est demeuré stable. Il atteint toutefois les 8,8 milliards de dinars, soit environ 12% du volume global des crédits octroyés par les banques de la place. Cette effervescence du crédit ne s’est pas estompée. A la fin du premier semestre 2018, l’encours des crédits à court terme aux professionnels a encore progressé de 7% et cela compte non tenu des facilités de trésorerie. Dans le même temps, l’encours des crédits à la consommation aux particuliers a augmenté de 3,5%. Qu’en est-il de l’encours des impayés ? Il faut craindre qu’il n’ait pris de l’ampleur.
En tout cas, la BCT est dans sa logique de ciblage de l’inflation. Elle l’est d’autant plus qu’en matière de maitrise de la liquidité bancaire, la banque des banques n’a pas hésité à rappeler aux établissements de crédits leur obligation en termes de ratio de liquidité et à émettre de nouvelles conditions dans sa politique de refinancement. Elle n’a pas hésité également à édicter de nouvelles normes en termes de risque de crédit (taux, marché et opérationnel). Tout cela va-t-il tempérer les ardeurs inflationnistes ? Pour celles d’origines monétaires, peut être. Mais pas celles émanant du secteur réel. Car, si l’inflation enregistre un certain tassement depuis trois mois autour de 7,4%, il n’est pas sûr que cette tendance s’inscrive dans la durée, a fortiori qu’elle ne s’inverse. Même le changement de base dans le calcul de l’indice des prix à la consommation, qui va entraîner une modification des poids des différents postes de l’indice, ne va pas changer grand-chose. En revanche, l’évolution constatée dans l’indice des prix de vente industriels n’est pas pour réjouir. Son rythme de hausse en glissement annuel atteignait les 8,8% au mois d’octobre 2018. Plus encore, l’indice des prix de vente des industries agroalimentaires a augmenté de 7,2% en octobre 2018, celui des matériaux de construction de la céramique et du verre de 7%, celui du textile de 5,5%, celui des industries chimiques de plus de 13%. Il convient d’imaginer l’impact de l’évolution de ces prix de gros sur les prix de détail.
Dans ce contexte, le plan stratégique de la BCT ne serait qu’un autre pendant à la politique de ciblage de l’inflation, une interface aux solutions techniques déjà utilisées. En tout cas, un de ses objectifs viserait à améliorer les ressources du système bancaire et financier du pays en y drainant une partie au moins de la masse de liquidités en circulation. La parution de la circulaire régissant l’activité et le fonctionnement des établissements de paiement, nouvelles structures s’apparentant à des guichets de banques – dépôts, retraits, virements et transferts – après celle relative aux établissements de change, éclaire sur les intentions de la BCT ; Mais est-ce suffisant pour réduire l’inflation?