Gouvernement de boucs émissaires
Par Synda Tajine
La réunion du 13 mars, aujourd’hui donc, sera décisive. Ou pas. Si elle vient de commencer à l’heure de l’écriture de ces lignes, les bruits de couloir font qu’on en connait déjà les contours. Un Youssef Chahed sur la sellette. Si son bilan n’est pas très glorieux – ce n’est pas sa faute, dit-il mais celle des autres - serait-il opportun de jeter un autre chef de gouvernement aux loups ?
La solution semble s’imposer d’elle-même tellement elle est facile. Amateurs de solutions faciles et temporaires, on préfère jeter le bébé avec l’eau du bain et recommencer sur les mêmes bases erronées, dépassées et malsaines. Comme l’a dit Youssef Chahed, on a un nouveau gouvernement tous les 18 mois et on recommence l’opération têtes neuves afin d’avoir, à chaque fois, de nouveaux visages à utiliser comme boucs émissaires.
Ceci n’est pas faux, ou presque. En effet, quelques mois à peine suffisent pour juger un gouvernement « défaillant », le jeter aux ordures et en choisir un autre pour prendre sa place. Béji Caïd Essebsi, Hamadi Jebali, Ali Laârayedh, Mehdi Jomâa, Habib Essid et Youssef Chahed se sont succédé entre 2011 et 2018. Aucun d’eux n’a brillé par son bilan mais très peu d’entre eux ont eu la chance de prouver de quoi ils étaient réellement capables.
Gouvernement d’union nationale, gouvernement de compétences, gouvernement de consensus, gouvernement de rafistolage…gouvernement de boucs émissaires. Les noms changent mais la tâche reste indubitablement la même. Ne s’agit-il pas de dénicher des compétences, qui feront le consensus politique et qui se chargeront de rafistoler ce que d’autres ont foiré avant d’être utilisés comme boucs émissaires ? Faute de temps, de compétences, de volonté politique, ou même de volonté tout court à bien accomplir sa tâche, les gouvernements précédents ont échoué. Certains étaient trop occupés à se servir eux-mêmes, d’autres à servir ceux qui étaient derrière et d’autres encore à se sortir la tête du guidon.
Le gouvernement de Youssef Chahed, ou plutôt Youssef Chahed lui-même en premier lieu, pourrait bien quitter le pouvoir dans les jours à venir. Ceci est une éventualité non négligeable. Il devra lui aussi subir la honte de voir ses actions scrutées, décortiquées, analysées, critiquées et réprimées par un Parlement qui ne lui a pourtant pas rendu la tâche facile.
Si Youssef Chahed a plutôt bien démarré son mandat, il est clair qu’aujourd’hui il n’a plus la force de le finir. Et il ne fait rien pour le cacher. Dossiers incomplets, opérations non finies, discours chancelant et une multitude de promesses non tenues dans les temps. Il est aisé de critiquer, certes. Il est encore plus aisé de se jeter la balle et de dire « ce n’est pas moi c’est les autres ». C’est en effet les autres et non seulement une personne qu’il faudra pointer du doigt aujourd’hui. Tenir une réunion dans laquelle une seule personne en prend pour les incompétences, les ratés, la malhonnêteté et la mauvaise-foi des autres, est quand même assez malhonnête.
Voilà de quoi nous rappeler la débandade à laquelle a eu droit Habib Essid, jeté à la meute de loups du Parlement. Ou encore, Chedly Ayari, lui aussi dénigré pour des faits pour lesquels il n’est pas l’unique responsable. Avant lui, Lamia Zribi, dont on a vite fait de se débarrasser sans crier gare. Les personnes sont jetables, remplaçables à souhait mais ce ne sont pas elles qui font un pays, un pouvoir et un gouvernement. C’est une multitude de responsables, aussi responsables les uns que les autres. Parfois malhonnêtes, parfois impuissants, parfois tout seulement dépassés par la lourdeur de la tâche qui leur a été léguée et par les nombreuses années de désordre et de laisser-aller dont ils ont hérité.
Quand Youssef Chahed dit « ce n’est pas moi, c’est les autres », il n’a pas tout à fait tort. Si le gouvernement Chahed n’a pas été à la hauteur, il n’est certes pas le seul. Serait-il juste de le sacrifier alors qu’une multitude d’autres noms sont responsables des erreurs dont on le juge ?
On annonce une réunion « à bâtons rompus », « franche et honnête », des décisions qui « privilégieront l’intérêt national » et des « solutions d’urgence pour une sortie de crise ». Des mots tellement rabâchés qu’ils sont vidés de tout sens. Pourquoi voulez-vous que les choses s’améliorent si les noms changent mais que ceux qui les nomment et les dirigent restent les mêmes ?