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Chroniques
Gouvernement de boucs émissaires
13/03/2018 | 16:00
4 min

Par Synda Tajine

 

La réunion du 13 mars, aujourd’hui donc, sera décisive. Ou pas. Si elle vient de commencer à l’heure de l’écriture de ces lignes, les bruits de couloir font qu’on en connait déjà les contours. Un Youssef Chahed sur la sellette. Si son bilan n’est pas très glorieux – ce n’est pas sa faute, dit-il mais celle des autres - serait-il opportun de jeter un autre chef de gouvernement aux loups ?

La solution semble s’imposer d’elle-même tellement elle est facile. Amateurs de solutions faciles et temporaires, on préfère jeter le bébé avec l’eau du bain et recommencer sur les mêmes bases erronées, dépassées et malsaines. Comme l’a dit Youssef Chahed, on a un nouveau gouvernement tous les 18 mois et on recommence l’opération têtes neuves afin d’avoir, à chaque fois, de nouveaux visages à utiliser comme boucs émissaires.

Ceci n’est pas faux, ou presque. En effet, quelques mois à peine suffisent pour juger un gouvernement « défaillant », le jeter aux ordures et en choisir un autre pour prendre sa place. Béji Caïd Essebsi, Hamadi Jebali, Ali Laârayedh, Mehdi Jomâa, Habib Essid et Youssef Chahed se sont succédé entre 2011 et 2018. Aucun d’eux n’a brillé par son bilan mais très peu d’entre eux ont eu la chance de prouver de quoi ils étaient réellement capables.

Gouvernement d’union nationale, gouvernement de compétences, gouvernement de consensus, gouvernement de rafistolage…gouvernement de boucs émissaires. Les noms changent mais la tâche reste indubitablement la même. Ne s’agit-il pas de dénicher des compétences, qui feront le consensus politique et qui se chargeront de rafistoler ce que d’autres ont foiré avant d’être utilisés comme boucs émissaires ? Faute de temps, de compétences, de volonté politique, ou même de volonté tout court à bien accomplir sa tâche, les gouvernements précédents ont échoué. Certains étaient trop occupés à se servir eux-mêmes, d’autres à servir ceux qui étaient derrière et d’autres encore à se sortir la tête du guidon.

 

Le gouvernement de Youssef Chahed, ou plutôt Youssef Chahed lui-même en premier lieu, pourrait bien quitter le pouvoir dans les jours à venir. Ceci est une éventualité non négligeable. Il devra lui aussi subir la honte de voir ses actions scrutées, décortiquées, analysées, critiquées et réprimées par un Parlement qui ne lui a pourtant pas rendu la tâche facile.

Si Youssef Chahed a plutôt bien démarré son mandat, il est clair qu’aujourd’hui il n’a plus la force de le finir. Et il ne fait rien pour le cacher. Dossiers incomplets, opérations non finies, discours chancelant et une multitude de promesses non tenues dans les temps. Il est aisé de critiquer, certes. Il est encore plus aisé de se jeter la balle et de dire « ce n’est pas moi c’est les autres ». C’est en effet les autres et non seulement une personne qu’il faudra pointer du doigt aujourd’hui. Tenir une réunion dans laquelle une seule personne en prend pour les incompétences, les ratés, la malhonnêteté et la mauvaise-foi des autres, est quand même assez malhonnête.

 

Voilà de quoi nous rappeler la débandade à laquelle a eu droit Habib Essid, jeté à la meute de loups du Parlement. Ou encore, Chedly Ayari, lui aussi dénigré pour des faits pour lesquels il n’est pas l’unique responsable. Avant lui, Lamia Zribi, dont on a vite fait de se débarrasser sans crier gare. Les personnes sont jetables, remplaçables à souhait mais ce ne sont pas elles qui font un pays, un pouvoir et un gouvernement. C’est une multitude de responsables, aussi responsables les uns que les autres. Parfois malhonnêtes, parfois impuissants, parfois tout seulement dépassés par la lourdeur de la tâche qui leur a été léguée et par les nombreuses années de désordre et de laisser-aller dont ils ont hérité.

Quand Youssef Chahed dit « ce n’est pas moi, c’est les autres », il n’a pas tout à fait tort. Si le gouvernement Chahed n’a pas été à la hauteur, il n’est certes pas le seul. Serait-il juste de le sacrifier alors qu’une multitude d’autres noms sont responsables des erreurs dont on le juge ?

 

On annonce une réunion « à bâtons rompus », « franche et honnête », des décisions qui « privilégieront l’intérêt national » et des  « solutions d’urgence pour une sortie de crise ». Des mots tellement rabâchés qu’ils sont vidés de tout sens. Pourquoi voulez-vous que les choses s’améliorent si les noms changent mais que ceux qui les nomment et les dirigent restent les mêmes ?

 

13/03/2018 | 16:00
4 min
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Commentaires (11)

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observator
| 14-03-2018 12:17
Mr Chahed doit sa nomination au système corrompu qui dirige le pays et donc quelque soit sa bonne volonté de s'en affranchir, il ne le pourra pas. Et c'est le cas.
On ne peut travailler comme on veut si on a les mains ligotés et tributaire d'autrui.
Comme vous dites indirectement, le système corrompu utilise des gens pour garder sa mainmise sur le pays qu'ils les jettent dés-qu'ils ne sont plus utiles pour les remplacer avec d'autres et ainsi gagner du temps..
Les "chômeurs" ne manquent pas dans ce domaine.
C'est pourquoi nous voyons des ministres ou députés par exemple dont on se demande pourquoi ils sont là.

kameleon78
| 14-03-2018 11:19
Donc d'après vous, Monsieur le Professeur de Droit, la faute incombe à Youssef Chaed.

Lisez mon commentaire précédent et vous comprendrez que ce n'est pas une question de personne, Monsieur Youssef Chaed est un homme politique de valeur mais pour des raisons politiques chacun à ses raisons pour "lui faire la peau."

Que ce soit Youssef Chaed ou un autre, il subira le même sort à cause de ce système parlementaire bâtard , ce système Berlusconien voulu par Ghannouchi en 2011 afin d'être au centre de tout débat politique, donc si un Chef de Gouvernement prend trop de l'importance, le Gourou lui envoie ses "missiles" politiques afin de le détruire et dans cette mission, il est aidé par le secrétaire général de l'UGTT le "fameux" Taboubi (plus royaliste que le Roi) qui a des ambitions politiques et également par BCE qui se débarrasserait d'un rival à moindre frais.(perspective 2019).

En résumé, quelque soit le Chef de Gouvernement, quelque soient ses origines politiques, quelque soient ses compétences, il subira la "malédiction" de Chef de Gouvernement à savoir "exploser en vol" dans les 18 mois qui suivent sa nomination.

Les précédents Chef de Gouvernement ont subi le même sort, souvenez-vous de Habib Essid (été 2016) qui devait passer à l'ARP pour être révoqué en place publique, il a dit amer :" J'ai subi une Fatwa de Sidi-Cheikh".

Monsieur le Professeur de Droit, continuez à enseigner le Droit, en matière politique, vous êtes un amateur.

Professeur de droit
| 14-03-2018 01:50
1) Le chef du gouvernement est, effectivement, LE SEUL responsable de l'échec de son équipe. C'est l'esprit des institutions, et c'est le job qu'il avait accepté (pour notre malheur) de prendre. tous les blocages, réels ou imaginaires, étaient aussi dans le job. Nous devons devenir adultes.
2) Mr Ben Hassine a raison, c'est une évidence que le job était trop grand pour YC. la faute historique (et non l'erreur) est à BCE, homme d'expérience qui ne veut personne d'expérience à ses cotés !!!
3) Non, tous les anciens premiers ministres ne se valent pas. Vous remarquerez que les plus qualifiés ont produit des résultats, meme partiels :
-BCE a réussi des élections correctes
-Jomaa a réussi des élections correctes, en un temps record.
-Essid a éliminé le terrorisme de nos villes, en quelques mois, en rappelant les pros (et ce n'est pas rien, on l'oublie souvent).
Les autres n'avaient pas le profil, et il n'y a rien dans leur bilan. Ce n'est pas un hasard.
Ne confondons pas tout.

kameleon78
| 13-03-2018 20:46
On disait en 2011 avec d'autres observateurs politiques comme l'analyste politique Sofiane Ben Farhat, si mes souvenirs sont bons, il a travaillé dans votre journal. Il a dit comme je le pense aussi que ce système politique à la proportionnelle, ce régime parlementaire allait créer des problèmes comme en Italie, il appelait cela le système Berlusconien.

En effet ce régime parlementaire ne permet pas de sortir des majorités très claires et on procédait à ce qu'on appelle la Combinazione (Combinaison de partis) qui consistait à faire des alliances parfois bizarres comme actuellement en Tunisie avec cette Union contre nature Nidaa Tounès - Nahda pour avoir un semblant de majorité.

En effet, les intérêts politiques sont souvent assez divergents mais on fait semblant qu'on gouverne ensemble mais chaque partie (féminin) a des objectifs diamétralement opposés.

1. Partant de ce constat pas très reluisant d'une alliance qui ma rappelle les mariages de raison (et non d'amour) entre Nidaa Tounès et la Nahda, pour simplifier entre BCE et Ghannouchi, le Chef de Gouvernement doit passer devant une ARP au moins hostile dans sa moitié, il ne peut pas faire l'unanimité et s'il passe ce test de l'assemblée nationale, cela ne veut pas dire qu'il aura la vie facile, au contraire, on essaiera de lui mettre des bâtons dans les roues, n'oublions pas que Youssef Chaed est membre de Nidaa Tounès donc un concurrent des islamistes (Nahda) pour le pouvoir.

2. Partant de ces principes clairs, Youssef Chaed n'est pas toujours le bienvenu en tant que Chef de Gouvernement même au sein de son propre camp puisque on sait que BCE rêverait d'un second mandat en 2019, le président ne se gênerait pas d'écarter un dangereux concurrent dans cette perspective de 2019..

3. Reste le troisième larron (fable de La Fontaine), le fameux Taboubi plus royaliste que le Roi, qui lui aussi a des griefs contre Youssef Chaed et il ne se prive pas de le montrer en public.

Résumons-nous, le Chef de Gouvernement est encerclé par trois forces qui ont le même intérêt de le "descendre" mais pour des raisons différentes. Je fais le pari que le prochain Chef de Gouvernement connaîtra le même sort que Youssef Chaed et pour les mêmes raisons. Tant que persistera ce régime Berlusconien, on l'appellera le régime Ghannouchien, le Chef de Gouvernement quel qu'il soit sautera dans les 18 mois et rebelote.

Abir
| 13-03-2018 19:35
Je vous donne raison,quand on entend les dire de Béji on a l'attention qu'on cause à un sourd !!!!

takilas
| 13-03-2018 19:25
L'expression utilisée couramment en singulier :
- "Ce n'est pas moi, c'est l'autre "
Et en fantaisiste de style, "c'est les autres"pour ne pas déformer l'expression.
En dialectal :
Walla khatini, en singulier.houma en pluriel.

Zohra
| 13-03-2018 17:43
Un jour, je me suis intéressée à la cause palestinienne, j'ai failli devenir dingue, du coup j'avais arrêté illico presto. J'ai l'impression de revivre la même chose avec la Tunisie aujourd'hui.

Allah ykhader elkhir

TATA
| 13-03-2018 17:35
Oui, je suis de votre avis: "Pourquoi voulez-vous que les choses s'améliorent si les noms [les Premiers Ministres] changent mais que ceux qui les nomment et les dirigent restent les mêmes ?"

Zohra
| 13-03-2018 17:10
Masmoudi allah yarhmou doit se retourner dans sa tombe, son livre les arabes dans tempête s'applique exactement à son pays aujourd'hui.

Ils sont devenus fous, d'une déception à une autre, et entre temps le pays est perdu. Au lieu de faire un tour de table avec des experts même venus d'ailleurs et voir où se trouvent les failles et corriger et améliorer et ben non on efface et on recommence. Dawahi ha mbarka
Yatikom doukha

Maryem
| 13-03-2018 16:08
Ya Madame Tajine ...Ce n'est pas moi, ce sont les autres !et non c est les autres....une faute d inattention surement.