Faut-il revenir à la politique contractuelle de Nouira ?
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, empruntera-t-il la même voie que ses prédécesseurs en distribuant des revenus qu’il n’a pas afin de garantir la paix sociale dans le pays ? Autrement dit, acheter – s’acheter ! - la paix sociale, derrière laquelle ont couru éperdument les gouvernements successifs depuis 2011 sans avoir pu l’obtenir, chacun n’hésitant pas à signer des chèques en blanc, laissant soin au suivant de les honorer.
Il faut bien se rendre à l’évidence, la paix sociale ne s’achète pas, tout comme un retour à la normalité de l’activité minière du pays ne résoudra nullement à lui seul le dangereux déséquilibre des finances publiques et extérieurs, ni ne boostera la croissance. La paix sociale et son corollaire, la confiance, ne s’achètent pas, elle se gagne à la faveur d’un argumentaire convaincant, qui se fonde sur un projet de développement cohérent, qui rassure en dépit des efforts et des sacrifices qu’il présuppose sinon exige.
Le gouvernement semble vouloir éviter de tirer les enseignements de l’histoire économique immédiate du pays, des choix qui l’ont émaillé et de l’impasse à laquelle ils ont mené. Tout comme d’ailleurs, il a évité, au départ, d’établir un état des lieux de la situation économique et financière du pays et de signaler l’impossibilité de satisfaire les objectifs fixés par le Document de Carthage I en raison du caractère antinomique de certaines d’entre elles. Tout comme également il n’a pas tenté, dès sa prise de fonction, d’engager une renégociation avec le FMI visant un recadrage du Mémorandum de politique économique et financière, sur la base duquel le pays a obtenu le soutien financier de l’institution de Bretton Woods, afin qu’il mette davantage en perspective le caractère contractuel de la politique et économique et sociale du gouvernement.
Aujourd’hui, le sentiment à l’égard du gouvernement est qu’il se préoccupe plus de la situation des chefs d’entreprise et des désidératas des investisseurs que des conditions de vie des salariés, alors que l’inflation n’épargne ni les uns, ni les autres. Aux premiers, on a annoncé une baisse de la fiscalité grevant les bénéfices à partir de 2021, tandis qu’aux seconds, il n’y a eu aucune promesse alors que l’occasion était opportune d’annoncer la remise au goût du jour de la politique contractuelle et la réactivation du processus inauguré il y a près de 50 ans, d’un round triennal, ou autre, de renégociations des conventions collectives, cadre et sectorielles. Cela aurait peut être eu l’heur de réfréner les ardeurs syndicales actuelles et de tempérer les revendications sociales.
En tout cas, il n’est jamais trop tard pour entreprendre une telle initiative tout autant qu’il serait judicieux, à un moment qui coïncide avec le 26e anniversaire du décès de Hédi Nouira, le 25 janvier, d’inviter à une relecture des expériences engagées par ce grand commis et réel homme d’Etat, ministre des finances en 1955, à 44 ans, chargé de la création de ce ministère, puis fondateur de la Banque centrale de Tunisie en 1958 et enfin Chef de gouvernement durant près d’une décennie, au cours de laquelle sont nés non seulement les conventions collectives, mais aussi les premières lois sur l’investissement et la Caisse générale de compensation. Une décennie qui a permis l’émergence d’une classe moyenne instruite et ouverte sur le monde. Une décennie au cours de laquelle, il a tenté de mettre en pratique à l’instar de la Corée du Sud, la fameuse théorie du développement en 5 étapes de Walt Rostow, reflétant le passage d’une société traditionnelle, rurale et rétive au progrès à une société de consommation de masse. Cette stratégie ne sera pas menée à son terme en raison des choix adoptés par son successeur qui mettra un coup d’arrêt au processus au niveau de l’étape la plus délicate et décisive, celui du décollage de l’économie du pays, au profit d’une politique aussi dispendieuse que celle qui a curieusement cours aujourd’hui et qui aboutira à la crise économique et financière du milieu des années 1980. Pendant ce temps, la Corée du Sud a continué son bonhomme de chemin.