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Export vers l’Afrique : Le financement, le maillon faible !
29/01/2018 | 20:00
5 min
Export vers l’Afrique : Le financement, le maillon faible !

Encourager l’export est devenu une priorité nationale en 2018. Tout été mis en œuvre à cet effet avec simplification des procédures et octroi d’avantages préférentiels. Mais tout ceci ne suffit pas, selon les PME, un maillon essentiel, et probablement le plus important, a été oublié… le financement. Focus.

 

Les exportations représentent 35% du PIB, les augmenter signifie une hausse de la croissance. Alors que le pays arrive à peine à boucler son budget chaque année depuis la révolution, les recettes fiscales couvrant à peine la masse salariale, encourager l’exportation devient la seule issue du gouvernement. C’est dans ce cadre que la première réunion du Conseil Supérieur de l'Exportation s’est tenue au début de l’année 2018, sous la présidence de Youssef Chahed, le but étant de faciliter le travail des exportateurs, avec comme objectif : atteindre un volume d’exportation de l’ordre de 50 milliards dinars en 2020, ce qui représente 5% de croissance.

A l’issue de cette réunion, plusieurs décisions importantes ont été prises concernant la simplification des procédures administratives ainsi que l’amélioration des délais de manutention et de dédouanement, particulièrement au port de Radés. Il a aussi été décidé d’augmenter le budget du FOPRODEX et l’octroi d’avantages préférentiels, en termes des frais de transport et d’assurance, pour l’exportation vers les marchés africains.

 

Selon les témoignages de professionnels recueillis par Business News, les décisions prises par le gouvernement sont louables et les exportateurs ou les entreprises désireuses d’exporter ont constaté une volonté politique claire. Mais dans les faits, les décisions prises par le chef du gouvernement n’auront aucun effet si les entreprises sont bloquées dès le départ.

Ainsi, on nous confie que plusieurs PME ont été coupées dans leur élan, à cause de problèmes de financement. En effet, certaines de nos entreprises ont réussi à décrocher des commandes mais n’ont pas trouvé les fonds nécessaires pour financer la matière première, surtout lorsqu’elle vient de l’étranger. La situation empire lorsqu’il s’agit de marché africain, le cycle d’exploitation étant dans les 8 à 10 mois, contre 3 mois pour l’Europe.

 

Les sociétés tunisiennes estiment que malgré le fait que nos banques soient un maillon important de la chaine, celles-ci ne sont pas outillées pour accompagner l'export des PME. La réglementation rigide de la Banque centrale étant pointée comme entrave majeure. La réglementation de l’autorité monétaire n’offrant pas d’outil pour le préfinancement alors que le payement des prêts standards CT doit se faire dans les 3 mois, pour des règlements qui interviennent au moins 8 mois après l’obtention du dit prêt, ce qui cause un défaut de paiement aux PME, les fragilisant davantage surtout lorsqu’elles sont sous capitalisées. Au bout de 60 jours, si l’entreprise n'honore pas une partie ou la totalité de ses engagements, elle se trouver classée et considérée comme un financement risqué, les banques devant les financer sur leurs fonds propres. Ainsi et pour éviter les tracas, les banques préfèrent financer les bons de trésors, une valeur sûre, au lieu de se risquer dans le financement d’une PME à l’export avec tous les désagréments et soucis qui peuvent survenir !

 

Karim Aouij, cofondateur de l’entreprise Soran Signaletique, une entreprise industrielle spécialisée dans la charpente métallique, enseignes lumineuses, mobilier métallique, qui fabrique et exporte des stations-service dans 11 pays africains, nous confie que les mécanismes de financement de marché n'ont pas été mis à jour depuis des lustres. Il explique que le cycle d’exploitation pour l'Afrique est de 8 à 10 mois (1 mois pour le financement, 2 mois pour l'approvisionnement en matière première, 3 mois pour la fabrication du produit, 2 mois pour le transport et 1 à 2 mois pour le dédouanement et le règlement client). Ainsi, il estime que les équipes qui étudient les dossiers de prêts bancaires ne sont pas formées pour accompagner les PME, et donc pour limiter les risques, elles ne financent pas les PME.

Etant lui-même un exportateur et ayant lui-même subi ces entraves, M. Aouij pense que si le gouvernement veut vraiment promouvoir l’export, notamment chez les PME. Plusieurs choses doivent changer. Ainsi, il recommande de classer autrement les sociétés exportatrices surtout celles qui exportent vers l’Afrique, de manière à ne pas les priver de financement. Il préconise que les sociétés exportatrices aient à leur disposition en devise le montant de leurs anciennes exportations, qu’elles soient libres de l’utiliser pour des prestataires de services, pour des prospections de nouveaux marchés ou tout autre de ses besoins sans passer impérativement par la bureaucratie de la Banque centrale, qui limite largement sa marge de manœuvre pour conquérir de nouveaux marchés.

 

M. Aouij attire l’attention sur la disponibilité de lignes de crédit à la disposition des exportateurs tunisiens comme la ligne de financement Inter Arabe de 100 millions de dollars, sans toucher à nos réserves en devises. Mais, cette dernière nécessite qu’on se porte garant pour les PME bénéficiaires dans les 7 jours qui suivent l’accord de l’émetteur : une garantie qui pourrait se faire à travers la Sotugar, la Cotunace, Dhamen finance ou la CDC.

En outre, l’homme d’affaires suggère d’offrir des dégrèvements fiscaux aux banques pour le financement des PME, cela les inciteraient à s’investir plus.

 

Le vice-président de la CONECT chargé du Pôle Afrique francophone Adnen Bouassida, lui-même exportateur de services vers l’Afrique, nous confirme que le financement à l’export demeure l’un des problèmes les plus épineux des PME tunisiennes, en l’absence de filiales de banques tunisiennes installées en Afrique. Ainsi, les PME peinent à obtenir les frais de démarrage d’études ou consulting, expertises ou autres pour penser à l’export vers l’Afrique. Pire, celles qui décrochent des commandes n’arrivent pas à honorer leurs engagements faute de moyen. Le système des assurances est, quant à lui, presque totalement absent, estime-t-il.

S’agissant des autres problématiques à l’export, M. Bouassida pense que les outils d’encouragement à l’export mis à la disposition des entreprises tunisiennes tels que le FAMEX, FOPRODEX et TASDIR Plus, n’ont pas atteint l’objectif escompté, à cause de procédures administratives fastidieuses et complexes ainsi que de longs délais de remboursement, des facteurs qui n’encouragent pas.

 

Les systèmes d’encouragement en Tunisie ne remboursent que 50% des frais (billets+un montant fixe pour l’hébergement) alors que pour le Maroc, par exemple, les entreprises ne payent que 30% des frais pour la participation aux forums économiques organisés chaque année dans dix sept pays africains.

Ajouter à cela, l’absence de dessertes maritimes vers l’Afrique et le nombre restreint des dessertes aériennes, les exportateurs sont très limités en terme d’export et subissent des coûts et des retards qu’ils ne peuvent maitriser.

 

Naoufel Bouallegue, DG de MPC PROKIM, société exportatrice leader dans le domaine de la fabrication des résines alkydes et des émulsions aqueuses destinées pour l'industrie de la peinture et de la colle, reproche, quant à lui, un manque de réactivité de l’administration, avec des lenteurs pour obtenir des documents essentiels à l’export comme l’attestation de qualité et de conformité à la norme. Il nous confie, d’ailleurs, que la Société tunisienne des industries de raffinage a interrompu la fabrication de certains produits et donc leur importation, puisque l’importation de cette matière première est interdite et que l’Etat n’a pas tenu ses engagements pour son import.

 

Bien sûr, les déboires de l’exportateur commencent dès que sa marchandise quitte l’usine. Ainsi, Adnen Bouassida explique que l’encombrement dans les ports tunisiens, la manutention, l’encombrement des aires de stockages, la lenteur du tractage des containers destinés à l’enlèvement, l’absence de planification de navires, en plus des procédures administratives et douanières complexes, ont provoqué un dysfonctionnement à plusieurs niveaux qui a ralenti les exportations. Des facteurs qui ont conduit à la fermeture de plusieurs entreprises étrangères en Tunisie.

 

Les marchés n’attendent pas, si vous ne respectez pas vos engagements vous êtes rayés de la liste et un nouveau fournisseur vient prendre votre place. C’est la loi du marché et de la concurrence. Si la Tunisie veut se positionner à l’export, aucun retard n’est admis. Les problématiques liées au financement ou aux autres facteurs doivent êtres réglés au plus vite, car la concurrence est là, elle est aux aguets, prête à prendre la relève.

 

Imen NOUIRA

 

 

29/01/2018 | 20:00
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