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Entreprise en difficultés : quelles diligences adopter ?
27/04/2020 | 09:31
7 min
Entreprise en difficultés : quelles diligences adopter ?

 

En ces temps de crise due au coronavirus, le chef d’entreprise se trouve accablé par une double contrainte : la baisse sensible des revenus de ventes et le maintien des charges fixes, dont notamment :

- Charges de loyer,

- Abonnement de ligne spécialisée ou fibre optique,

- Echéances de leasing et/ou crédits bancaires (malgré les mesures prises par la BCT et que les banques peinent à concrétiser),

- Forfait fixe de réservation de puissance au réseau moyenne tension de la Steg,

- Charges salariales du staff administratif et du personnel autorisé à travailler, même si la majorité des entreprises ayant eu l’autorisation n’ont eu l’accord que pour un quota de ~15% du total du personnel. Ce dernier, mobilisé durant la période de confinement, a été en majorité affecté à la préparation d’un échantillonnage ou d’expéditions urgentes.

Ceci, en plus de l’impact causé par le stress du cycle d’exploitation et/ou de cash-flows dû notamment au :

- Retard, ou carrément refus, de paiement des clients,

- Annulation de commandes préétablies des clients (points de vente saturés de marchandises, réaffectation de budgets des clients Etatiques dans le monde…),

- Blocage de livraisons de la part des fournisseurs, exigeant un paiement anticipé,

- Blocage d’approvisionnement de matières premières ou produits semi-finis à cause de la fermeture des usines des fournisseurs habituels.

Tout appui venant de l’Etat, et quand bien même on n’a pas observé de mesures extraordinaires, à part le report d’échéances fiscales ou sociales (sur demande à étudier par une commission), et à part l’indemnité exceptionnelle de 200 DT octroyée au salarié (conditionnée par la prise en charge par l’employeur du complément de salaire), ne peut qu’atténuer le désastre auquel se trouve confronté le chef d’entreprise.

En voyant ses ressources financières se réduire à une peau de chagrin, le chef d’entreprise n’a pas vraiment le choix. Il va :

- Soit demander une rallonge à sa banque, laquelle se fera sous des conditions draconiennes. En effet, les banques tunisiennes sont en train de freiner l’octroi de leurs liquidités, à l’instar de la décision de la Banque Centrale de Tunisie (« BCT ») de suspendre la distribution par les banques des dividendes de 2019 (en prévision d’octroi massif de crédits à l’Etat). Et les fonds de garantie décidés par le Décret-loi n° 2020-6 ne vont concerner que les entreprises sinistrées selon des critères à fixer par Décret (et avec un suivi d’une commission entre le Ministère des finances, BCT, UTICA, UGTT, Association professionnelle des banques) ;

- Soit, de concert avec ses associés, procéder à des avances en comptes courants, dans la limite des disponibilités (surtout lorsque les associés se trouvent engagés dans d’autres investissements touchés par la crise) ;

-  Soit céder des actifs immobilisés, à condition de bien mesurer la perte d’exploitation qui en découle. Telle mesure, à part qu’elle se fera à un prix bradé par ces temps de crise, doit être mûrement réfléchie pour éviter le risque pénal prévu par l’article 101 du Code des droits et procédures fiscaux :

« Est punie d’un emprisonnement de seize jours à trois ans et d’une amende de 1.000 dinars à 50.000 dinars toute personne qui a (…) accompli des opérations emportant transmission de biens à autrui dans le but de ne pas acquitter les dettes fiscales ».

-  Soit procéder à une opération de « cost-killing ».   

Cette dernière, peut concerner des charges internes (mise à l’arrêt d’une partie des chaînes de production), ou externes (négocier avec le bailleur une réduction des loyers durant un certain temps). Mais si elles peuvent colmater une brèche, ces réductions n’arriveront pas à freiner l’hémorragie des charges salariales, qui peuvent atteindre, selon l’activité, entre 40% et 60% du coût de revient hors matière, dans respectivement les secteurs de l’industrie et des services.

Le chef d’entreprise avisé, en réactualisant ses plannings selon un schéma assurément pessimiste (baisse ou annulation des commandes clients, perte de marchés, annulation de nouveaux investissements…) sur la période 2020-2021, n’aura pas d’autre choix que d’avoir recours à un plan de mise en chômage pour raisons économiques durant une période définie (pouvant aller jusqu’à une année) pouvant être accompagné de départs à la retraite anticipée. Dans un scénario extrême, ce plan pourra inclure également un licenciement collectif (pour une partie d’activité ou un établissement entier).

Bien sûr, tel plan social ne se fera pas en un jour et devra suivre les procédures édictées par l’article 21 du Code du travail. Ceci, sans exclure le recours au tribunal en cas de blocage au niveau de la Commission de contrôle de licenciements (« CCL »), rajoutant d’autant les délais et l’hémorragie financière.

Face à ces difficultés financières, le chef d’entreprise doit veiller à assurer une gestion en bon père de famille afin d’éviter tout risque d’implication personnelle à titre solidaire. Ainsi, et en faisant preuve de carence des diligences nécessaires, le chef d’entreprise n’est pas exempt d’être attaqué par l’un de ses créanciers (banque, Etat, employé…). Faut-il rappeler les dispositions de l’article 121 du Code des sociétés commerciales (« CSC ») :

« La responsabilité du gérant peut être engagée lors d’un règlement judiciaire ou d’une faillite qui font apparaitre une insuffisance d’actif, et le gérant peut être condamné à payer tout ou une partie des dettes de la SARL, avec ou sans solidarité et jusqu’à la limite du montant désigné par le tribunal. (…) Le gérant n’est exonéré de la responsabilité que s’il apporte la preuve qu’il a apporté à la gestion de la société toute l’activité et la diligence d’un chef d’entreprise avisé et d’un mandataire loyal ».

Aussi, et lorsque les difficultés financières commencent, il faut s’attendre à voir ses créanciers intenter des actions en référé suivies de mesures conservatoires et exécutoires (saisie-arrêt, saisie mobilière, saisie immobilière), lesquelles mesures peuvent s’étendre jusqu’aux biens personnels du dirigeant tel que stipulé par l’article 28 septies du Code de la comptabilité publique :

« Le comptable public peut, en vue d’assurer le recouvrement des créances susvisées, prendre des mesures conservatoires sur les biens du ou des dirigeants de la personne morale et ce, sur autorisation du président du tribunal ».

Le chef d’entreprise diligent peut (ou doit) se diriger vers une procédure de redressement des entreprises en difficulté économique telle que stipulée par la Loi n° 2016-36 relative aux procédures collectives. A défaut de faire, un des associés a le droit d’y procéder ainsi que le commissaire aux comptes. Ceci est d’autant nécessaire lorsque, selon l’article 142 du CSC,  les pertes de l’entreprise atteignent 50% du capital et qu’il n’y a pas d’augmentation de capital en vue (à noter que la loi n° 2016-36 est plus dure dans le sens où elle considère une entreprise en difficulté lorsque les pertes atteignent les 30% du capital).

Sans rentrer dans le détail de telle loi, venue modifier un chapitre important du Code de commerce, le président du Tribunal dont dépend le siège de l’entreprise, procèdera, avec l’appui et le diagnostic de la Commission de suivi des entreprises économiques et d’un conciliateur nommé, à la recherche d’une voie de règlement amiable et aux fins de prendre les décisions justes (y compris la suspension des décisions d’exécution de créances…). Un accord peut être signé avec les créanciers (représentant au moins les 2/3 des dettes) et le rééchelonnement des autres dettes, jusqu’à un délai de 3 ans.

A défaut d’un aboutissement positif du règlement amiable, ou s’il s’avère que l'entreprise est en état de cessation de paiement de ses dettes (défini comme étant « toute entreprise qui se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec ses liquidités et actifs réalisables à court terme »), le président du Tribunal décide de l'ouverture de la procédure du règlement judiciaire, de la nomination d’un juge-commissaire et d’un administrateur judiciaire et opte :

-  Soit à la poursuite de l'activité de l'entreprise, qui peut être accompagnée de la vente ou de la cession de certains de ses biens ou de ses branches d'activité,

- Soit à la cession de l’entreprise ou sa location ou sa location, en vue de sa cession ou sa location gérance.

A défaut, le président du Tribunal va décider de la faillite de l’entreprise et tirer par là le rideau sur une longue carrière bâtie à force de grands sacrifices et stoppée net par un maudit virus !

 

Mourad Abdelmoula  
Expert-comptable Associé
AFINCO membre de NEXIA INTERNATIONAL

 

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