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Du complot imaginaire à la dérive autoritaire : décryptage
25/03/2025 | 21:09
19 min
Du complot imaginaire à la dérive autoritaire : décryptage

 

Par Hamma Hammami

 

À l’occasion de l’ouverture des audiences de l’affaire du "complot" :
Le Parti des Travailleurs a toujours été et restera une tribune pour la défense des opprimés

"Tu es pauvre et tu es riche,
Tu es forte et tu es impuissante,
Ô notre mère, la Tunisie."
(1)

 

Les circonstances ne m’ont pas permis de réagir immédiatement à certaines réactions des partisans du coup d’État à la suite de la première audience de ce qui est désormais connu comme l’affaire du "complot contre la sûreté de l’État". Mais mieux vaut tard que jamais, d’autant plus que l’affaire en question n’en est qu’à ses débuts et continue d’être évoquée aujourd’hui, non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi dans le discours officiel. En témoigne la déclaration de Kaïs Saïed lors de la réunion du Conseil national de sécurité le 20 mars dernier, à l’occasion du 69e anniversaire de la "proclamation de l’indépendance".

Au-delà de cela, les questions soulevées par ces réactions, qu’elles soient officielles ou non, ne sont ni secondaires ni passagères. Il s’agit de problématiques fondamentales, essentielles, qui ont déjà été posées par le passé et qui, à coup sûr, referont surface tant que notre pays ne se sera pas définitivement débarrassé du despotisme et de la dictature, et tant qu’il n’aura pas instauré un cadre sociétal où les libertés, les droits, la démocratie et l’État de droit deviendront une composante indissociable de la culture et de l’identité de son peuple.

Les partisans du coup d’État se sont déchaînés contre tous ceux qui ont dénoncé cette parodie de justice et les atteintes aux droits de la défense, condamné le caractère fabriqué du dossier et révélé sa véritable finalité : une opération de règlement de comptes visant à faire taire les opposants politiques par tous les moyens, y compris au prix du piétinement des principes élémentaires d’un procès équitable et du recours aux méthodes les plus arbitraires.

Le Parti des Travailleurs fait partie des forces démocratiques et progressistes qui ont été la cible d’un flot d’injures, de calomnies, d’accusations de trahison et de collusion avec les "Frères musulmans", les "ennemis de la nation" et les "sionistes". Ces attaques, relayées sur les réseaux sociaux, proviennent d’une meute de fanatiques fascistes, sans scrupules ni principes, dont l’unique motivation est de servir aveuglément le pouvoir, soit par peur, soit par intérêt, soit par les deux à la fois.

En réalité, ces campagnes de diffamation ne sont que l’écho du discours officiel, en particulier celui de Kaïs Saïed, qui insinue fréquemment, à travers son langage volontairement ambigu, que ceux qui semblent être des "ennemis acharnés" seraient en réalité des "alliés dissimulés" ou des "frères complices". Cela pourrait être une allusion aux mobilisations parallèles en Tunisie du Réseau des Libertés et du Front du Salut en faveur des prisonniers politiques, aux communiqués et prises de position de certains partis sur ces mêmes sujets, ou encore aux actions de soutien et aux rencontres organisées à l’étranger par des Tunisiens contraints à l’exil et par certaines organisations de défense des droits humains.

Ce qui est clair, c’est que le pouvoir issu du coup d’État ne tolère aucune forme de mobilisation et est terrifié à l’idée de voir émerger le moindre regroupement politique ou civil porteur d’une action commune. Son intérêt réside dans l’immobilisme et la fragmentation des forces d’opposition.


Les fascistes, ennemis de la démocratie

Il ne fait aucun doute que ces prises de position opposent frontalement deux pôles irréconciliables : d’un côté, la démocratie ; de l’autre, le fascisme. D’un côté, l’État de droit ; de l’autre, l’État de l’arbitraire et de l’oppression. Seul un fasciste peut considérer que toute personne qui le critique, le contredit, s’oppose à lui, rivalise avec lui pour le pouvoir ou menace sa position est forcément un "conspirateur", un "traître" ou un "agent de l’étranger", et qu’il est donc légitime de l’"anéantir" par tous les moyens, sans besoin ni de loi ni de procès équitable.

Seul un fasciste, prisonnier de sa pensée étriquée, de son dogmatisme borné et de son fanatisme aveugle, peut croire que celui qui dénonce une injustice commise contre autrui – même si ce dernier est un adversaire, voire un ennemi idéologique et politique – est forcément son complice, simplement parce qu’il a osé parler, condamner ou prendre position. Cette logique rétrograde du clivage absolu – "Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi" – nous l’avons déjà connue sous Ben Ali (où toute critique du régime était assimilée à un soutien à Ennahdha), puis sous Ennahdha elle-même (où toute opposition à ce parti était interprétée comme une nostalgie de l’ancien régime).

Aujourd’hui, c’est cette même logique qui guide Kaïs Saïed dans sa gestion de l’affaire dite du "complot". Il s’est érigé en enquêteur, en parquet et en tribunal tout à la fois. Tout le monde se souvient de sa déclaration au ministère de l’Intérieur, alors même que l’enquête n’avait pas encore commencé : "Les personnes impliquées dans cette affaire ont déjà été condamnées par l’Histoire avant même que la justice ne les condamne." Il a ajouté dans la même veine : "Quiconque les innocente est leur complice", imposant ainsi un alignement inconditionnel sur sa version des faits.

À plusieurs reprises, il a méprisé ceux qui réclament le respect des procédures judiciaires – qui sont pourtant la base de tout procès – et a menacé les juges refusant d’obéir aux injonctions du pouvoir. Certains d’entre eux ont d’ailleurs été victimes de mesures arbitraires pour avoir osé rendre des décisions qui ne plaisaient pas à l’exécutif.

Dans ce climat, il n’est pas étonnant que les partisans du coup d’État se livrent à des campagnes hystériques, débordant de haine, de rancœur et d’un désir insatiable de vengeance et de sang. Chaque jour, des appels à l’arrestation, à la mise au pilori et à l’exécution des opposants et des adversaires politiques inondent les réseaux sociaux. Mais ces appels ne se limitent plus aux réseaux et aux militants fanatisés : ils ont également infiltré les médias, où des "agents" sans aucun lien avec la profession journalistique ont été placés dans le seul but de diffuser des mensonges et des récits fantasmés sur "l’affaire du complot". Leur mission ? Accabler les détenus, conditionner l’opinion publique à accepter les violations dont ils sont victimes et les lourdes condamnations qui les attendent, et discréditer quiconque ose les défendre en l’accusant de complicité dans cette "conspiration".

Dans le même temps, une décision judiciaire interdit aux avocats et aux journalistes d’évoquer l’affaire, tandis que les médias progouvernementaux se livrent à une entreprise de propagande délirante. L’un de ces pseudo-journalistes a même déclaré sur un plateau de télévision – qu’il transforme en tribune d’attaques contre les opposants au régime – qu’il lui avait suffi de "voir la conspiration dans les yeux de certains accusés" pour être convaincu de leur culpabilité ! (Peut-être faudrait-il l’affecter à la police judiciaire pour identifier les criminels à partir de leur regard, sans avoir besoin d’enquêtes longues et fastidieuses… et sans même devoir recourir à la torture !).

Cette campagne a également gagné les institutions de l’État, en particulier ce que l’on peut appeler le "Parlement des marionnettes". Un député incarne à lui seul cette nouvelle mentalité fasciste qui se répand dans la société sous un vernis populiste d’extrême droite. Lors d’une intervention parlementaire sur les récentes arrestations, il n’a pas hésité à déclarer : "Les dizaines d’hommes politiques qui croupissent en prison devraient y être, voire être dans des tombes, et ce n’est pas un exploit de les avoir enfermés."

Évoquant l’arrestation de Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, il a ajouté : "Mettre Ghannouchi en prison, ce n’est pas un exploit… Il aurait dû être exécuté dès 1981."

Le même député a publié, le lendemain de la première audience de l’affaire du complot, un post glaçant sur les réseaux sociaux : "Malheureusement, Kaïs Saïed est trop démocrate… Il aurait fallu les éradiquer jusqu’au dernier, sans en laisser un seul. Ils doivent être extirpés comme une tumeur maligne… Que ce soit dans un an, cinq ans ou dix ans, ce n’est qu’une question de temps. Que jamais ne vive en Tunisie celui qui la trahit !"

Des appels explicites à la violence et aux exécutions extrajudiciaires, émanant d’un député fasciste… Et pourtant, ni le parquet, ni le bureau de l’Assemblée n’ont bougé. Silence total.


Défendre des valeurs et des principes indivisibles

Contrairement au fasciste sanguinaire, le véritable démocrate, cohérent et intègre, rejette l’injustice et les violations des droits sur la base de principes immuables, non négociables, qui ne varient ni selon les circonstances ni selon les personnes concernées. Lorsqu’un démocrate condamne l’arrestation de Ghazi Chaouachi, Jaouhar Ben Mbarak, Ridha Belhaj, Abdelhamid Jelassi ou Chaima Issa (aujourd’hui en liberté) – ou celle d’autres individus impliqués dans cette affaire sans preuves tangibles, simplement en raison de leurs opinions ou pour solder des comptes politiques –, cela ne signifie pas nécessairement qu’il partage leurs idées, leurs positions ou leurs pratiques politiques. Son rejet découle uniquement du principe fondamental selon lequel chaque citoyen a le droit d’avoir une opinion, une vision politique et une activité publique dans son pays. Et quiconque s’oppose à ces idées doit les combattre par des moyens intellectuels, et uniquement intellectuels – non par la répression, les accusations montées de toutes pièces, les persécutions ou l’incitation à la haine.

De même, lorsqu’un démocrate cohérent dénonce la mascarade judiciaire du 4 mars, au cours de laquelle les principes élémentaires d’un procès équitable ont été piétinés (refus d’amener les détenus au tribunal, impossibilité pour eux de se défendre face aux juges et à l’opinion publique), il ne le fait pas par sympathie pour les accusés. Il le fait parce qu’il croit en un État de droit, où ces garanties doivent être respectées en toute circonstance. Car lorsque ces principes disparaissent, l’arbitraire et l’injustice s’installent, ouvrant la voie à la tyrannie et au fascisme. Être accusé d’un crime, quel qu’il soit, ne justifie en aucun cas la violation des droits fondamentaux à un procès équitable.

Le véritable démocrate sait aussi que s’il ne combat pas les injustices subies par d’autres, il devra un jour s’attendre à en être lui-même victime. Défendre les libertés d’autrui, c’est protéger la société tout entière contre les abus du pouvoir.

D’autre part, lorsqu’un démocrate attaché aux principes de liberté critique la manière dont Rached Ghannouchi, chef du mouvement Ennahdha, a été arrêté sur la base d’une vidéo tronquée, ou lorsque Nourredine Bhiri a été inculpé sur la base d’un post inexistant dans le dossier judiciaire, cela ne signifie ni qu’il est devenu un allié d’Ennahdha ni qu’il exonère Ghannouchi, Bhiri ou tout autre dirigeant islamiste de leurs responsabilités passées. Il rappelle seulement un principe fondamental : tout citoyen, quel que soit son parcours, a droit à un procès équitable sans manipulation ni instrumentalisation judiciaire.

Opposé à Ennahdha ou non, un démocrate cohérent refuse que le pouvoir autoritaire actuel bafoue la justice pour écraser ses adversaires, en s’appuyant sur une magistrature aux ordres, comme l’a elle-même dénoncé l’Association des magistrats tunisiens. S’il accepte aujourd’hui des procès pour solder des comptes politiques, il devra se préparer à voir cette logique se retourner demain contre d’autres opposants. Car les régimes autoritaires ne recherchent ni la justice ni la vérité, mais l’élimination des voix dissidentes.

L’histoire l’a prouvé : ceux qui tolèrent l’injustice finiront par en être victimes. Sous Ben Ali, nombre de ceux qui l’ont soutenu ont ensuite été broyés par le système qu’ils avaient contribué à ériger. Aujourd’hui encore, d’anciens hauts responsables proches de Kaïs Saïed se retrouvent traqués, emprisonnés ou contraints à l’exil.

Enfin, prenons l’exemple des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Certains ont applaudi le coup d’État du 25 juillet, espérant qu’il ferait la lumière sur ces crimes. D’autres ont même justifié la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, croyant que cela permettrait de débloquer l’affaire. Mais qu’a fait la dictature ? Elle a cherché à enterrer l’enquête au plus vite. Ce n’est pas nous qui le disons, mais le collectif des avocats des familles des martyrs, qui a fini par boycotter le procès après la décision d’imposer des audiences à distance et de bâillonner les médias.

Une fois encore, la preuve est faite que l’autoritarisme n’apporte jamais la justice. Il instrumentalise la colère populaire pour consolider son pouvoir, sans jamais servir la vérité.

 

Le Parti des Travailleurs : "Une tribune pour défendre tous les opprimés"

Depuis sa fondation, le Parti des Travailleurs a préservé son indépendance intellectuelle et politique, restant une tribune de défense des opprimés, quelles que soient leurs appartenances sociales, idéologiques ou politiques – indépendamment de notre accord ou désaccord avec leurs opinions, positions et pratiques. C'est une position de principe inébranlable, ancrée dans nos convictions profondes. Mieux encore, lorsque le Parti des Travailleurs se positionne comme une tribune pour défendre tous les opprimés, il le fait d'un point de vue révolutionnaire et socialiste, en lien avec son programme général et ses objectifs majeurs : bâtir une société libre de l’injustice, de l’oppression, de l’exploitation, de la pauvreté et de la misère ; une société libre et sécurisée, sans aliénation ni peur, une société de citoyenneté et non de sujets.

Dans cette optique, le Parti des Travailleurs considère que tracer la voie vers cette société commence dès maintenant, par le rejet de toute forme d’oppression, qu’elle touche des hommes et femmes politiques, des journalistes, des syndicalistes, des blogueurs, des militants associatifs, des manifestants victimes du tristement célèbre décret 54, des migrants, des minorités ou encore des anonymes dont personne ne parle. L’État de droit n’est pas, pour nous, un simple slogan creux servant à faire de la surenchère, mais un objectif concret dont il faut créer les conditions pour garantir l’avenir de notre pays. Il ne fait aucun doute que les premières victimes de cet État autoritaire et oppresseur sont les classes populaires et laborieuses, soumises à l’exploitation, à l’appauvrissement, à la dépendance et à l’abrutissement.

Si l’autoritarisme est le cadre dans lequel les minorités réactionnaires, locales et étrangères, dominantes dans notre société, assurent leurs intérêts égoïstes et voraces, alors la République démocratique et populaire, où le peuple exerce sa souveraineté sur l’État et les richesses, sera le cadre où les travailleurs, les employés, les ouvriers des villes et des campagnes, les intellectuels, les créateurs, les femmes et les jeunes pourront conquérir leur liberté sans restriction, garantir leur sécurité et se libérer de toutes les formes d’oppression, d’exploitation et de dépendance.

Il va sans dire que le Parti des Travailleurs, fidèle à cette ligne de conduite, n’a pas de leçons de patriotisme à recevoir – ni du pouvoir putschiste, ni des résidus de la horde fasciste. Ceux qui ont plongé le pays dans l’endettement, continué à l’assujettir aux puissances étrangères pour son alimentation, ses besoins industriels et pharmaceutiques, refusé de réviser les accords économiques, financiers, sécuritaires et militaires inégaux, déconseillé à la France de présenter des excuses pour 75 ans de colonisation sous prétexte de ne pas l’accuser, transformé la Tunisie en gardien des frontières de l’Italie et de l’UE en échange de quelques poignées d’euros, et refusé la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste ne sauraient nous donner des leçons de patriotisme. Notre patrie est la nôtre, notre terre est la nôtre, nous la défendons et la défendrons avec nos ongles et nos dents, comme l’ont fait hier nos martyrs et comme le font aujourd’hui ceux qui luttent.

En résistant à l’autoritarisme et au fascisme, nous affirmons que la liberté, la démocratie et les droits humains sont des conquêtes que le peuple doit arracher lui-même, car ils ne lui seront jamais offerts ni par la France, ni par les États-Unis, ni par aucune puissance impérialiste prédatrice, dont l’unique religion est celle de ses propres intérêts, au prix des pires massacres. Gaza et la Palestine en sont des exemples criants.

De même, ceux qui sont arrivés au pouvoir grâce aux voix d'Ennahdha, qui lui ont fait des courbettes en 2011 lors de son ascension et l’ont couverte d’éloges, ou ceux qui ont gouverné avec elle par opportunisme, ne peuvent nous donner de leçons de lutte politique, idéologique et militante contre ce mouvement. Nous l'avons combattu et affronté bien avant eux, et nous avons laissé un héritage intellectuel et politique qui en témoigne.

Il est d’ailleurs risible de voir aujourd’hui certains pseudo-gauchistes feindre un radicalisme extrême contre Ennahdha après son éviction du pouvoir, alors qu’ils quémandaient hier des strapontins dans ses gouvernements. Ce radicalisme factice sert en réalité de prétexte à leur soutien à l’autoritarisme, leur adhésion à la vague fasciste-populiste et leur participation au prolongement de l’ordre établi et du règne des classes dominantes qui en tirent profit.

Bâtir un État démocratique de droit, juste et égalitaire, dans le cadre d’une République démocratique et populaire, commence dès aujourd’hui :

  • Par le refus de toutes les injustices, sans distinction ;
  • Par la libération des prisonniers d’opinion ;
  • Par l’exigence de procès équitables pour les accusés sur la base de preuves tangibles, et le rejet des procès politiques et de vengeance ;
  • Par l’abolition des lois liberticides, à commencer par le décret 54 fasciste, et toutes les autres mesures attentatoires à l’indépendance de la justice et aux libertés ;
  • Par l’abrogation des lois répressives héritées du colonialisme et des régimes dictatoriaux.

Les moyens doivent être en accord avec la fin : on ne construit pas la démocratie avec des pratiques autoritaires.

Nous rappelons ces principes alors que nous commémorons, cette année, le centenaire du livre "Les Caractères du despotisme et les méfaits de la tyrannie" d'Abd al-Rahman al-Kawakibi, qui, en son temps, avait contribué à la lutte contre ce fléau qui continue de gangréner nos sociétés arabes et musulmanes et d’entraver leur développement et leur progrès.

Al-Kawakibi considérait que le despotisme est la cause première du déclin des peuples et de leur retard. S'était-il trompé ? Il suffit d’observer notre pays, gouverné par un pouvoir autoritaire, s’acheminer à grands pas vers la catastrophe, dans un contexte régional et international instable et rempli de périls, pour comprendre que non.


À méditer :

Je me souviens encore de ce que m'a raconté Radhia Nasraoui, avocate et militante des droits humains, ma compagne de lutte depuis plus de quarante ans, dont l'absence se fait cruellement sentir aujourd'hui. Elle m'a relaté un échange qu’elle avait eu avec un jeune homme arrêté dans l'affaire de Soliman en 2006. Ce dernier avait subi des tortures sauvages, bien qu’il ne fît pas partie des éléments ayant pris les armes lors des événements de l'époque.

Radhia lui rendit visite en prison pour constater les traces des sévices infligés. Le jeune homme se montra d’abord méfiant, voire inquiet. Pour le rassurer, mais aussi pour poser clairement les principes de son engagement, elle lui déclara :

"Que les choses soient claires : je ne suis pas ici parce que je partage tes idées ou que j’éprouve de la sympathie pour toi. Je suis ici parce que je suis contre la torture, que je considère comme une pratique barbare, quel que soit le régime qui l’exerce et quelle que soit la victime qui la subit. Ce qui m’importe, ce n’est ni ce que tu penses ni ce que tu as fait, mais le fait que tu as été torturé, ce qui constitue une violation de ta dignité humaine et de ton intégrité physique. En outre, la torture viole les lois locales en ce qu’elle force les victimes à avouer des faits qu’elles n’ont pas commis. Dans notre pays, la torture est devenue une méthode de gouvernance, frappant aussi bien les opposants politiques que les prisonniers de droit commun.

Sache que si je te défends, ce n’est pas seulement pour te sauver, toi, mais pour éradiquer la torture de notre pays et faire en sorte que la lutte contre cette abomination devienne un élément fondamental de la culture et de l’identité de la société tunisienne. Je suis convaincue que si nous y parvenons, il sera difficile pour un pouvoir, quel qu’il soit, d’y recourir sans se heurter à une majorité populaire exigeant des comptes.

Je ne te cacherai pas que, forte de mon expérience, je sais comment toi et tes compagnons pensez. Je sais aussi que je serais probablement l’une de vos premières victimes si jamais vous arriviez au pouvoir, car mes convictions sont à l’opposé des vôtres. C’est justement pour cette raison que je mets toute mon énergie à dénoncer la torture et à exiger son abolition, pour que ni vous ni personne ne puissiez jamais y recourir.

En dénonçant aujourd’hui la torture que tu subis, malgré mon désaccord total avec tes idées, je contribue à instaurer une culture de rejet de la torture, à créer une opinion publique qui la condamne de manière absolue. Ainsi, je protège aussi les générations futures, quelles que soient les circonstances ou l’identité des tortionnaires et des victimes.

Si, en revanche, je me taisais sous prétexte que tes idées me déplaisent et que je laissais le pouvoir actuel te torturer à sa guise, alors j’aiderais à perpétuer la torture. Seuls changeraient, au gré des régimes, l’identité du bourreau et celle de la victime. Le bourreau d’aujourd’hui pouvant devenir la victime de demain, et vice versa... Un tel cycle ne mène nulle part et empêche notre société d’évoluer.

En te défendant, toi et toute autre victime de torture, sans discrimination, je ne pense pas seulement au présent, mais aussi à l’avenir... L’avenir de ce pays, de son peuple et de sa société.

Alors, raconte-moi ce qui t’est arrivé. Montre-moi, sans honte, les marques de torture sur ton corps (le jeune homme hésitait à se dévêtir devant une femme qu’il ne connaissait pas). Fais-moi confiance : je te défendrai de toutes mes forces. Quant à ce que tu as pu faire, c’est ta responsabilité, et même dans ce cadre, tu as droit à toutes les garanties d’un procès équitable, au lieu d’être livré à une justice aux ordres du pouvoir exécutif.”

Radhia m’a raconté que ce jeune homme, qui avait tant souffert sous la torture, en sortant de prison, la considérait comme "sa seconde mère". Ses idées avaient changé, sa vision des libertés et des droits humains aussi. Il avait compris que la torture n’a jamais de justification idéologique, quel que soit le contexte ou l’identité de la victime.

 

En conclusion :

Jamais nous ne renoncerons à la défense de nos principes et de nos valeurs socialistes et humanistes face aux campagnes acharnées de la racaille fasciste. Ces campagnes n’ont pas pour seul but de nous salir et de nous intimider ; elles visent également à tuer toute forme de politique, à étouffer tout intérêt pour la chose publique, afin de la réserver au seul despote régnant. Voilà l’essence même de la dictature et du fascisme.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous n’avons qu’une réponse à leur opposer : les mots du grand poète florentin Dante Alighieri, légèrement adaptés : "Poursuis ton chemin et laisse la racaille fasciste aboyer."

 

(1) La troisième strophe d’origine fait référence à la Russie, tirée du poème "À qui donc fait-il bon vivre en Russie ?" du poète russe Nikolaï Alekseïevitch Nekrassov (1821-1878).



Texte traduit de l'arabe par le service IA de BN

25/03/2025 | 21:09
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Commentaires
Molka
Les leaders de la Tunisie
a posté le 27-03-2025 à 14:38
Merci pour ce texte. Il est clair et précis. J'aime le style d'écriture. Il m'a permis de mieux comprendre tout ce que vous disiez durant toutes ces années. La Tunisie ne peut qu'être fière de vous deux. Merci du fond du c'?ur. On poursuivra la lutte. M*rt au fascisme.
J.trad
Il fallait résumer en deux mots
a posté le 27-03-2025 à 06:56
Que tous les Maux du mensonge ( complot
Hbib
Trop tard
a posté le 26-03-2025 à 16:11
L'histoire ne vous pardonnera jamais ce que vous avez fait du Front Populaire, vous et Rahoui. De " zéro virgule " à 14 députés au parlement. Puis, rien!
ROUMANI
TROP TARD
a posté le à 10:23
Je confirme , que du bla bla de ces faux communistes et gauchiste. Tout d'abord un démocrate ne garde pas son poste des dizaines d'années son résultats et aucune auto-critique de ses performances. UN CONSIEL il faut que Hama et compagnie comme les rahoui, amroussia , mabarka ect... se font oublier ils n'ont plus de place sur la scène politique actuelle.
Nephentes
Bravo
a posté le 25-03-2025 à 21:29
Très belle tribune
Mais comment passer a l'action efficace en pareil contexte