Laissez Adam reposer en paix !
Beaucoup de choses ont été écrites depuis le décès de Adam Boulifa dans des conditions tragiques au Madison. Beaucoup de choses dont beaucoup de bêtises. Il est inutile de revenir sur les circonstances d’un meurtre horrible qui n’aurait jamais dû arriver.
Toutefois, il est important de revenir sur deux phénomènes que cette affaire a mis en lumière. Le premier peut se résumer en une phrase : les daechiens sont parmi nous. La quantité extraordinaire de commentaires qui n’ont exprimé aucune compassion envers la victime et qui se sont évertués à condamner la victime est un signe de déclin et de pauvreté spirituelle. Il faut être empreint d’un vide sidéral pour ne retenir de cette affaire que le fait que Adam soit décédé en ayant de l’alcool dans le sang ou en se focalisant sur le fait qu’il se rend dans un bar avec son père.
Cette absence de sensibilité à la vie humaine, cette promptitude au jugement de valeurs et cette arrogance qui permet de dire ce qui est bien et ce qui est mal font partie des caractéristiques d’un bon intégriste fondamentaliste. Le pire c’est que dans notre génie tunisien, ce sont certains des clients des bars, eux-mêmes, qui se permettent de vomir ce genre de jugements. Dans toute catastrophe de ce genre, un minimum d’élégance impose de respecter le deuil des familles avant de pouvoir donner des leçons, caché derrière un écran. Mais c’est un minimum que l’on ne peut espérer de personnes qui se préoccupent du taux d’alcoolémie d’un gosse de 23 ans mort dans une cage d’ascenseur. Il est inquiétant de voir que cette minorité est bien trop bruyante avec son ton moralisateur à deux balles et ses jugements impitoyables. Ils expriment une croyance fondamentaliste vindicative enfouie derrière plusieurs couches de modernité artificielle, sur un fond d’abyssale ignorance.
Un autre phénomène se produit à chaque crime odieux et à chaque fois que l’opinion publique est choquée par l’horreur : on demande à ce que le moratoire sur la peine de mort soit levé et on réclame son application. Cette revendication surgit à chaque fois que l’opinion publique est bouleversée par un acte cruel et médiatisé. Elle est même relayée et appuyée par de supposés leaders d’opinion qui, finalement, ne disent aux gens que ce qu’ils veulent entendre. Mais est-il juste d’associer au nom de Adam Boulifa d’autres morts encore ? Est-ce que infliger la mort à un être humain de façon légale, ordonnée et organisée peut racheter la mort de Adam ? Est-ce que le meurtre d’un ou deux ou dix coupables peut rendre Adam à sa famille ou réduire la peine de son père et de ses proches ? La réponse est évidemment non.
La société et l’Etat ne doivent pas répondre à l’horreur par l’horreur. La famille et les proches de Adam peuvent éprouver ce besoin de vengeance, mais les structures de l’Etat ne peuvent se permettre un tel sentiment et il ne saurait réagir comme un simple citoyen. Tuer ne réduit pas l’injustice et l‘atténue pas la douleur. Condamner à mort ne baisse pas la criminalité et ne fait pas une société moins violente. Les Américains en savent quelque chose.
« Ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n’est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d’autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles ». C’est ce que disait Robert Badinter, avocat et ancien ministre français de la Justice, porteur du combat de l’abolition de la peine de mort en France. Quand on aime à la folie on n’a pas peur de la mort, quand on court défendre sa patrie on n’a pas peur de la mort. De la même façon, bien moins noble, quand on veut tuer, agresser ou tabasser, on n’a pas peur de la mort. La chose est bien trop complexe pour être survolée dans un statut Facebook ou pour être discutée avec du populisme, de l’émotion et de la douleur. La peine de mort est un sujet bien plus grave que ce que peuvent nous dicter nos émotions, et c’est un piège dans lequel la Tunisie est déjà tombée.
Meher Mannaï croupit encore en prison. Il a été condamné à mort avant de voir sa peine ramenée à de la prison à vie alors qu’il est innocent. L’Etat sait qu’il est innocent, la justice sait qu’il est innocent, la police sait qu’il est innocent, et pourtant il est encore en prison. Si la peine de mort était appliquée en Tunisie, l’Etat aurait exécuté un innocent. Pourrions-nous, à ce moment-là, nous regarder dans une glace ?