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Chroniques
Des questions en suspens pour une justice qu'on dit indépendante
30/09/2012 | 1
min
Des questions en suspens pour une justice qu'on dit indépendante
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Par Nizar BAHLOUL

Pour ne pas tomber sous le coup de la loi, et afin de ne pas subir les affres des juges, rares sont les médias et les journaux (dans le monde) qui osent s’attaquer directement et frontalement aux juges. L’outrage à magistrat est la chose la plus difficile à défendre pour un avocat. Et ce qui est valable pour les médias l’est aussi pour les hommes politiques et la société civile. A moins d’être un kamikaze, s’attaquer à un juge (voire au corps judiciaire) est tout simplement suicidaire.
Hors de question donc de mettre en doute la neutralité de la justice, hors de question de parler de son intégrité, hors de question de parler de justice aux ordres des politiques, hors de question d’évoquer la corruption des magistrats.
D’ailleurs, il n’y a pas de magistrats corrompus, cela n’existe que dans la tête des citoyens mal intentionnés. Ceux qu’on qualifie, aujourd’hui, de zéro virgule, d’opposants, d’azlem et de fouloul.

Parler alors de cette jeune fille violée par deux policiers et qui se retrouve, malgré cela, sur le banc des accusés est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler de l’arrestation de Sami Fehri ou de Borhane Bsaïes (ce dernier ayant été libéré 24 heures après), ces symboles de l’ancien régime et de la corruption comme ils disent, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler de l’arrestation de Nébil Chettaoui, ancien PDG de Tunisair, pour un emploi fictif d’une parente à Ben Ali, alors que d’autres PDG et la parente elle-même jouissent de leur liberté, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler des Abdelaziz Ben Dhia, Abdelwaheb Abdallah, Abderrahim Zouari, Béchir Tekakri, ces architectes de la dictature comme ils disent, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler de ces confiscations de biens ayant appartenu à des proches de Ben Ali, sans que l’on sache vraiment comment ces biens ont été acquis, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler de ces salafistes ou ces islamistes attrapés en flagrant délit, mais libérés juste après, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler de juges qui ont prononcé de lourdes peines injustes par le passé et qui se trouvent promus malgré cela, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité de nos juges.
Parler du mouvement judiciaire opéré par le ministre Noureddine Bhiri, est risqué. Cela s’appelle mettre en doute l’intégrité du supérieur de tous les procureurs réunis.

Si parler de l’institution militaire est un sujet très délicat, parler des juges et de leur intégrité est un sujet impossible à traiter.
Les juges sont des gens intègres, dignes de foi, qualifiés, honnêtes et au dessus de tout soupçon.
Dans toute corporation, il existe des exceptions, sauf les juges parait-il. Circulez, il n’y a plus rien à voir, Noureddine Bhiri a limogé tous les corrompus de la corporation, il ne reste plus que des propres.
Maintenant que tout est devenu parfait dans le corps de la magistrature, qu’on nous explique alors au nom de quelle justice une Tunisienne violée se retrouve sur le banc des accusés ?
Qu’on nous explique pourquoi certains hommes d’affaires, dont la corruption est de notoriété publique, circulent encore librement.
Qu’on nous explique pourquoi des avocats de symboles de l’ancien régime crient sur tous les toits que les dossiers de leurs clients sont vides, alors que ces symboles sont encore en prison.
Qu’on nous explique pourquoi dans un même dossier (celui des emplois fictifs par exemple), on met en prison les uns et pas les autres.
Qu’on nous explique pourquoi Rafik Hadj Kacem, ancien ministre de l’Intérieur, s’est trouvé responsable et coupable de meurtres de manifestants lors des événements du 14 janvier 2011 et que cette même accusation n’ait pas touché Ali Laârayedh, actuel ministre de l’Intérieur, responsable théorique des cinq meurtres du 14 septembre 2012.

Il ne s’agit ni de mettre en doute l’intégrité de la justice, ni de chercher la petite bête au gouvernement.
En tant que journalistes, nous sommes (dit-on) des ignares en matière politique et en matière de justice. Alors, on cherche à comprendre. Et quand on ne comprend pas, on pose des questions. La politique et la justice étant des choses assez compliquées pour nos petites têtes de journalistes, ce serait bien alors de nous expliquer comment fonctionnent-t-elles, une fois pour toutes.
Ces explications seront hautement utiles pour que l’on sache à quoi nous en tenir.
Sous Ben Ali, on savait parfaitement que la justice était aux ordres, mais les hommes politiques de l’époque (ceux-là mêmes aujourd’hui en prison) disaient le contraire et criaient sur tous les toits que la justice était indépendante, intègre, libre et bla bla bla.
Après la révolution, on entend le même discours de la part de nos hommes politiques, y compris les bla bla bla.
Persistent cependant ces questions en suspens qui jettent un (très léger) doute sur la sincérité de nos hommes politiques.
De là à dire que la relative sincérité de nos hommes politiques jette un doute sur l’intégrité de nos juges, il n’y a qu’un pas. Un pas qu’il ne faut naturellement pas franchir au cas où, si ça se trouve, la justice ne soit pas encore totalement intègre et indépendante.
30/09/2012 | 1
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