Deux informations majeures émanent de la journée d’hier des élections municipales du 6 mai 2018, les premières en Tunisie postrévolutionnaire. Il s’agit de la victoire des indépendants et du taux d’abstention des électeurs. Un record depuis 2011 où l’exercice de la démocratie arrivait à susciter plus d’enthousiasme.
34,4% a été le taux final de participation enregistré hier soir par l’instance des élections lors des Municipales du 6 mai. 1.796.154 Tunisiens ont donc voté ce dimanche. En 2014, près de 69% des Tunisiens ont voté aux élections législatives et 64,4% à la présidentielle. Soit donc deux fois plus qu’en 2018. La tendance a donc été inversée avec une abstention de 66,6 cette année.
Au-delà de l’impact des élections municipales, qui représentent moins d’intérêt pour les électeurs que celles législatives ou présidentielle à la portée plus « visible » et plus « globale », ce raz-de-marée abstentionniste est en grande partie expliqué par un désintérêt de la chose politique de la part d’une majorité des Tunisiens.
Selon les données fourniers, hier soir en exclusivité à Business News, par l’institut de sondage Sigma Conseil, les partis Ennahdha et Nidaa Tounes ont perdu une part non négligeable de leur base électorale. Soit 2/3 pour Nidaa Tounes et la moitié pour Ennahdha. Malgré deux campagnes électorales menées de front, dans toutes les régions du pays, les deux partis au pouvoir ont peiné à faire sortir les Tunisiens de chez eux ou à les faire quitter leurs préoccupations courantes pour se diriger vers les urnes. Des promesses électorales aussi farfelues qu’une amnistie fiscale pour Nidaa, que ciblées, comme du wifi gratuit pour Ennahdha, mais toutes les deux irréalisables, n’ont pas eu raison du défaitisme ambiant. Ce, malgré les gros moyens humains et logistiques mis en place par l’instance des élections afin que le scrutin se déroule « dans des conditions optimales ».
A l’heure actuelle, les résultats préliminaires n’ont pas encore été entièrement communiqués par l’Isie, mais les données fournies grâce au sondage « sortie des urnes » de Sigma donnent Ennahdha comme parti gagnant à 27,5% suivi de Nidaa Tounes à 22,5%. Viennent ensuite le Front populaire avec 5,3% et Attayar (Courant démocratique) avec 4,9%. Si l’ensemble des partis politiques totalise 72% des votes sur la totalité des listes candidates aux Municipales, les indépendants, eux, en sortent grands vainqueurs avec 28% au total. Soit plus que le pourcentage réalisé par Ennahdha qui arrive en tête des formations politiques, toujours selon les résultats du sondage de Sigma.
Mais c’est au niveau des régions que l’écart se fait le plus marquant. De grandes disparités s’observent en consultant les résultats « sortie des urnes » des différents gouvernorats du pays.
Ainsi si le parti Ennahdha arrive en tête des partis politiques au niveau national, il enregistre des scores plutôt mitigés dans certains gouvernorats. En effet, Ennahdha arrive premier à Tunis (33,8%), Sfax (31,6%), Jendouba (34,1%), Bizerte (38,5%), Gabès (36,1%), Béja (26,1%), Tataouine (36%), Gafsa (27,1%). Il enregistre, en revanche, un véritable raz-de-marée à Kébili (52,6%) et Médenine (50,7%) et à Sidi Hassine (42,5%).
Par contre, c’est Nidaa Tounes qui l’emporte dans le gouvernorat du Kef (34,3%) et de La Manouba (22,2%) et conserve ses fiefs du Sahel à Monastir (24,2%) et Mahdia (23,1%). A Nabeul par contre les deux partis sont au coude-à-coude avec 20,9% pour Nidaa et 20,7% pour Ennahdha.
A Zeramdine, c’est Machrouû Tounes qui remporte la première place avec 20,7% contre 20,7% pour Nidaa. Les indépendants remportent la manche à Tozeur avec 24,1% pour la liste Al Hadher Wal Mostakbal.
La grande surprise des élections du 6-Mai a été sans doute la victoire écrasante, selon les sondages Sigma, de la liste indépendante Al Afdhal, présidée par le doyen Fadhel Moussa à l’Ariana. Fadhel Moussa, tête de liste, réalise en effet, 37,5% des voix. Score fortement salué au niveau national. Dans la même circonscription, Nidaa Tounes arrive loin derrière avec 14,1% suivie d’Ennahdha avec 10,1%, de Bani Watani et de Ariana Enti Wéna avec respectivement 5,5 et 5,2%.
Autre surprise de ces élections, le score réalisé à Deguech par la liste Al Amal Wa Tomouh qui réalise 74,1% des voix. A Tozeur, par ailleurs, le mouvement Echaâb réalise un 36% dépassant de peu Ennahdha qui en fait 35,8%.
Au-delà des vainqueurs ayant réalisé le meilleur score dans les différents gouvernorats, un constat se dégage. Il s’agit de la grande percée du parti Attayar (le Courant démocratique) et de la débâcle prise par le parti de Moncef Marzouki Harak Al Irada. Les deux partis, jeunes, et aux discours franchement opposés arrivent à s’imposer lors de ce scrutin. A Siliana, c’est le PDL, parti de Abir Moussi qui arrive en tête avec 26,1%. Il devance Enahdha qui arrive deuxième, mais loin derrière, avec seulement 16,9% des voix. Le PDL est aussi en 3ème position à Béjà, en 4ème position à Sousse et Sfax et en 5ème position à Nabeul, Monastir, Ghardimaou, Tajerouine et Mahdia, d’après les sondages sortie des urnes fournis par Sigma Conseil à Business News.
Les résultats sont tout aussi encourageants pour Attayar de Mohamed Abbou qui arrive deuxième à Gabès et 3ème à Tunis, Ben Arous, Sfax, Kasserine et Ennour, 4ème à La Manouba, Douar Hicher, Ouled Chamekh, Sidi Bouzid et Douz et 5ème à Mourouj, Béja et Kairouan.
Ces deux partis arrivent à réaliser un score plus honorables que d’autres formations politiques dont Afek Tounes, l’Union Civile ou encore Irada. Le parti de Moncef Marzouki réalise en effet de très faibles scores dans des municipalités où il est censé être populaire. Ainsi, il est classé 4ème à Douz (11,6%) et Tataouine (12,3%) et 5ème à Médenine (5,6%), Mareth (7,2%) et Gabès (9,1%).
Une autre formation politique tire son épingle du jeu et se place 3ème au niveau national. Il s’agit du Front populaire de Hamma Hammami. Le FP est placé dans le top 5 dans plusieurs municipalités dont de Sidi Bouzid, Siliana, Makther (3ème position), Gafsa, Kasserine, Sidi Bouali, Mourouj (4ème) et Gtar, Ennour, Bouhajla, Bizerte, Douar Hicher, Ben Arous et Tunis (5ème),
Les résultats préliminaires fournis par l’Isie sont prévus pour les jours à venir. Le 9 mai étant donné comme date butoir. Plusieurs listes pourraient même être carrément annulées compte tenu de la gravité des infractions commises dans certains bureaux de vote et les multiples violations du silence électoral déclaré depuis le 5 mai, a annoncé le membre de l’instance des élections Nabil Baffoun. En attendant, les partis commencent déjà à se pavaner et à fêter leurs « victoires ». Des victoires au goût amer…
Synda TAJINE
