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Tunisie – Pourquoi la télé nationale est incessible

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Après les critiques acerbes contre les médias en général, ensuite l’affaire de Nessma TV avec la diffusion du film Persépolis, c’est désormais le tour de la télévision nationale de devenir la cible de critiques voire d’accusations. La télé nationale est traitée de «média de la honte» et fait l’objet d’une campagne de la part de plusieurs personnalités de la Troïka et notamment du parti au pouvoir Ennahdha.
On en est même arrivé à parler de sa mise en vente au profit de personnes physiques ou morales du secteur privé. S’agit-il d’un ballon d’essai lancé par Ennahdha afin de tester la réaction de l’opinion publique? Ou bien alors serait-ce un nouveau sujet pour occuper les esprits dans le cadre d’une politique de diversion? Quels qu’en soient les objectifs et pour plusieurs raisons objectives, la télé nationale ne peut, en aucun cas, être vendue. La suite de l’article en fait la démonstration.
Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste Ennahdha, était le premier à évoquer l’éventualité de la privatisation de ce média national. Ensuite, c’était à Ameur Laârayedh, député d’Ennahdha, de développer cette idée, de prévoir ses conditions et de vanter ses atouts.
On évoque, ainsi, l’insatisfaction du peuple du rendement de la télé, traitée de médiocre, «mauve», «novembriste» et surtout, contraire aux objectifs de la révolution, d’où la nécessité de l’assainir et, donc, de la liquider et la céder aux privés.
Sauf que plusieurs facteurs prouvent que ce projet de vente ou de privatisation est irréalisable que ce soit sur le plan financier, économique ou déontologique.
Une revue du rapport d’audit de la cour des comptes, révèle des données chiffrées assez alarmantes. En effet, le déficit enregistré déjà depuis l’exercice 2008 s’élevait à 11,556 millions de dinars. Ce déficit s’est aggravé pour atteindre en décembre 2009, la somme de 25,605 millions de dinars.
Le même rapport fait état de plusieurs anomalies et insuffisances procédurales et techniques au niveau de la gestion du patrimoine, des équipement et biens matériels de la télé, outre la mauvaise gestion au niveau des ressources humaines. Le manque de maintenance et d’entretien des équipements, par exemple, a causé la perte de l’exploitabilité ou l’égarement de matériaux. Le rapport de la cour des comptes déplore également l’absence d’inventaire physique annuel de l’institution pour plusieurs exercices. Ce qui fait que même les actifs de la télé nationale n’ont jamais pu être évalués et recensés à leur juste valeur.
Par ailleurs, le défaut de politique générale claire, a causé des chevauchements entres les attributions des employés, des cumuls de tâches incompatibles chez certains et des abus sur les contrats de production octroyés par quelques uns des employés. Ces contrats de production ont occasionné des dépenses de sommes allant jusqu’à 2,313 millions de dinars en 2008 et 2,881 millions de dinars en 2009, rien qu’à ce titre.
Autre donnée comptable, celle du budget de l’institution de la télé nationale. Ce budget était de 47,164 millions de dinars en 2008, pour atteindre 47,850 millions de dinars en 2010. Par contre, les revenus ont baissé et notamment ceux des publicités, pour cause d’erreurs de gestion.
Ces chiffres ont donné donc un résultat comptable négatif et des dettes cumulées au 31 décembre 2009, s’élevant à 25,605 millions de dinars.
Ce rapport présente un portrait pas très alléchant de ce business pour les investisseurs. Alors, où peut-on trouver d’éventuels investisseurs qui seraient intéressés et prêts à se mettre sur le dos un tel fardeau ? Qui serait prêt à miser sur ce média, souffrant de difficultés multiples, pour y sacrifier des sommes faramineuses?
Ameur Laârayedh, dans sa proposition de mise en vente de la télé nationale, a bien précisé que par souci de sauvegarder la souveraineté de l’institution, l’acquéreur doit être tunisien. Alors, il n’est pas question d’être tenté par les pétrodollars de nos «frères arabes» des pays du Golfe.
Il est possible de penser que le parti Ennahdha, serait intéressé d’acquérir le média officiel, afin de garantir sa sympathie envers le parti, de porter sa parole et de caresser le gouvernement dans le sens du poil. Sauf que, même cette motivation semble très peu probable, car Ennahdha a plutôt tout intérêt à créer une nouvelle télé plutôt que d’acheter une institution à problèmes, avec tous les legs et surtout les dettes des anciens régimes et des anciennes erreurs.
Déontologiquement parlant, la télé nationale, étant considérée comme institution publique souveraine, appartenant à tout le peuple, ne peut devenir, du jour au lendemain une chaîne au service d’une personne, d’un parti ou même d’une idéologie. Ce serait unefaçon de s’accaparer la voix du peuple. Or, il reste indispensable de garantir la neutralité et l’indépendance de la presse, si on tend réellement à instaurer une vraie démocratie.
Les syndicats des journalistes, agents, employés et techniciens de la télé nationale ont, en tout cas, montré une opposition féroce à cette initiative, allant jusqu’à défier les salafistes déchaînés qui ont procédé pendant plus de 50 jours à un harcèlement sans précédent, avec leur sit-in en face de l’établissement.
Il est évident que le personnel de la télé nationale est plus que disposé à se défendre et à lutter contre l’idée de privatisation de son institution. Une conférence de presse s’est tenue lundi 23 avril 2012, suite aux affrontements entre les sit-inneurs qui avaient affiché leur approbation pour la vente de l’institution. Les employés sont unanimes à déclarer : «Non! Plus question de parler d’une quelconque cession de notre institution, ce sujet doit être clos!»
Entre les données financières plutôt dissuasives, les refus du personnel de l’institution et l’opposition explicite de plusieurs représentants de la société civile, la mise en vente de la télé, semble d’emblée compromise. Et sachant que les leaders d’Ennahdha sont loin d’être dupes, cette mise en vente pourrait être une simple mise en scène, en guise d’une énième opération de diversion, tout comme a été le cas de la théorie du complot contre le gouvernement, une stratégie de propagation de rumeurs, afin d’occuper l’opinion publique d’affaires secondaires au lieu de se concentrer sur les problèmes de fond.
Dorra Megdiche Meziou
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