Tribunes
Démocrates avancez !

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Neila Charchour Hachicha*
Malgré l’épuration électorale, la vie des partis ne cesse de bouger. Des démissions, des récupérations, des rapprochements, des fusions et des implosions qui nous offrent une lecture chaotique assez parlante de leur fonctionnement.
La constitution de départ de ces partis est certainement à l’origine du chaos actuel car les notions de stratégies politiques et de légitimité électorale nous sont relativement inconnues. Les partis historiques, se sont constitués sous dictature et les nouveaux partis se sont constitués dans l’urgence. De ces faits ni les uns ni les autres n’ont pu se constituer sur des bases saines et solides.
Parmi les anciens, le Mouvement Islamiste par exemple, reniant les lois républicaines, a choisi la clandestinité, et les autres, se voulant les défenseurs des valeurs républicaines, ont choisi la transparence et la légalité mais dans les deux cas sans légitimité.
Or il est utile de rappeler à ce niveau que la notion de République n’étant point le produit de notre imaginaire collectif, nous en avons mieux maitrisé l’aspect que le contenu. A l’aube de l’indépendance, les Tunisiens, ex-colonisés et analphabètes dans leur ensemble, étaient incapables d’assumer une citoyenneté qui aurait permis d’instaurer une vraie république. Cela s’est traduit par des institutions qui fonctionnent anti-démocratiquement car conçues au service d’un pouvoir protecteur. De fait, d’une monarchie beylicale sous protectorat, nous avons évolué vers une autocratie éclairée qui a évolué à son tour en ploutocratie dictatoriale, sans jamais aller au fond des valeurs républicaines qui placent le pouvoir au service du peuple et non l’inverse.
Aussi, sous une dictature, le plus important a toujours semblé le courage de s’impliquer politiquement dans un environnement à haut risque. De là est née une culture du leadership que nous avons développé à partir de mauvais critères. En effet si le courage de s’opposer et de critiquer est nécessaire, il est loin d’être suffisant. Le leadership moderne s’appuie sur des institutions bien structurées et des compétences qui les gèrent afin de construire des stratégies. Tout homme à lui tout seul étant obligatoirement faillible, il revient aux institutions, qui elles se réforment et se renouvellent, de former et de produire plusieurs leaders que la compétition oblige à continuellement s’améliorer. Or entre la méfiance, la méconnaissance et le suivisme, nous ne cessons de voir des partis se construire autour de personnalités charismatiques ou autoritaires capables de manipuler les foules, quitte à ce que le tout s’effondre si elles venaient à quitter pour une quelconque raison.
Par ailleurs, la marge de manœuvre étant tellement limitée, le ciblage populaire est obligatoirement réduit aux intellectuels engagés autour des tranches populaires les plus défavorisées dont on instrumentalise les causes sans jamais résoudre les problèmes. Avec des objectifs différents, tous les partis ont donc ciblé la même catégorie populaire, alors que la démocratie aurait voulu que les différents partis se départagent les différentes tranches de la population selon leurs différents intérêts, allant des plus défavorisées aux plus nanties afin d’harmoniser entre elles en alternant le pouvoir tantôt aux mains des uns, tantôt aux mains des autres, évitant de la sorte toute transcendance d’une tranche sur les autres.
Par conséquent au lendemain du réveil citoyen du 14 janvier, qui s’est fait dans une totale spontanéité en dehors de tout leadership partisan, nous nous sommes retrouvés face à un dangereux vide politique. Des partis historiques sans aucune légitimité populaire, se sont imposés au-devant de la scène politique, et plus d’une centaine de nouveaux partis se sont donc constitués dans la plus grande urgence, uniquement armés de la volonté de protéger notre pays en y instaurant la démocratie, seule à même de nous défendre à l’avenir contre tout renversement social ou politique aussi destructeur.
Tous ces balbutiements se sont bien entendus traduits dans les résultats
Entre une importante majorité méfiante et silencieuse qui n’a pas voté et les indiscutables valeurs religieuses, bien ancrées, rassurantes et bien vendues par les nombreux prisonniers politiques du mouvement islamiste, Ennahdha évitant le sujet de la Constitution et vendant toutes sortes de promesses, a pu rassembler un petit pourcentage électoral qui lui a néanmoins permis d’être aujourd’hui la première force politique légitime du pays.
Quant à tous les autres partis ils ont créé la surprise en ne pesant, tous réunis, que le tiers du poids des Islamistes. Et pour cause, s’étant essentiellement construits autour de personnalités charismatiques souvent inamovibles qui n’ont pas hésité à changer de discours et d’idéologie au vu des circonstances, ils ont d’emblée manqué de crédibilité. Sans expérience de terrain, sans programme, sans stratégie dans un contexte socio-économique des plus difficiles, ils ne savaient plus s’il fallait parler de Constitution et de valeurs républicaines qui n’intéressent nullement un chômeur en attente de travail, ou alors vendre de l’espoir et des promesses impossibles à tenir dans l’immédiat. Seuls, les plus anciens de part leur notoriété, et les plus visibles sur les médias, ont pu percer un tant soit peu.
Par manque d’expérience, le citoyen non plus n’a pas très bien réfléchi en votant
Par ailleurs Ennahdha a su aussi former une troïka qui lui assure non seulement une majorité à l’Assemblée constituante, mais qui lui offre surtout une aura auprès des occidentaux, puisqu’elle est perçue comme un parti islamiste qui a su se rallier deux partis républicains à priori laïcs. Un exemple unique dans le monde Musulman.
Malheureusement cette belle image ne saurait être suffisante pour assurer la réussite d’une transition démocratique et surtout une croissance économique tant attendue par les jeunes démunis. Et c’est précisément à ce niveau que se situe aujourd’hui la responsabilité citoyenne de chacun d’entre nous.
S’il est hors de question de laisser notre pays couler, il est tout aussi urgent de consolider l’opposition afin d’en faire un contrepouvoir équilibrant et une alternative incontournable.
Pour cela, les partis d’opposition doivent obligatoirement fusionner pour créer, au plus, deux ou trois nouvelles grandes entités qui consolident et démultiplient leurs forces afin de se rendre le plus visible et le plus accessible à l’ensemble des citoyens tout en répondant aux diversités actuelles.
Ces fusions doivent donner naissance à de nouvelles structures qui soient des exemples de fonctionnement démocratique dans lesquelles la jeunesse doit pouvoir accéder aux postes de décisions, car c’est bel et bien de leur avenir qu’il s’agit.
Il leur faut des partis qui leur appartiennent et à travers lesquels ils peuvent désormais défendre leurs intérêts sans qu’ils ne se sentent uniquement instrumentalisés pour des nécessités électorales. Des partis qui puisent leur force dans les solutions qu’ils se doivent de proposer à chaque problème qui se présente, et ce, en se construisant autour de différentes visions, traduites en stratégies et en plans d’actions clairs. Des partis qui maitrisent plus d’un plan d’urgence pour qu’ils soient les incontournables forces avec lesquelles il faut composer.
L’instauration de la démocratie est une œuvre commune à tous les citoyens, le temps d’implanter les outils nécessaires à son bon fonctionnement. Puis chacun pourra profiter d’un repos bien mérité dans le cadre d’une République authentique.
*Neila Charchour Hachicha : Chef d’entreprise et militante AfekTounes
Malgré l’épuration électorale, la vie des partis ne cesse de bouger. Des démissions, des récupérations, des rapprochements, des fusions et des implosions qui nous offrent une lecture chaotique assez parlante de leur fonctionnement.
La constitution de départ de ces partis est certainement à l’origine du chaos actuel car les notions de stratégies politiques et de légitimité électorale nous sont relativement inconnues. Les partis historiques, se sont constitués sous dictature et les nouveaux partis se sont constitués dans l’urgence. De ces faits ni les uns ni les autres n’ont pu se constituer sur des bases saines et solides.
Parmi les anciens, le Mouvement Islamiste par exemple, reniant les lois républicaines, a choisi la clandestinité, et les autres, se voulant les défenseurs des valeurs républicaines, ont choisi la transparence et la légalité mais dans les deux cas sans légitimité.
Or il est utile de rappeler à ce niveau que la notion de République n’étant point le produit de notre imaginaire collectif, nous en avons mieux maitrisé l’aspect que le contenu. A l’aube de l’indépendance, les Tunisiens, ex-colonisés et analphabètes dans leur ensemble, étaient incapables d’assumer une citoyenneté qui aurait permis d’instaurer une vraie république. Cela s’est traduit par des institutions qui fonctionnent anti-démocratiquement car conçues au service d’un pouvoir protecteur. De fait, d’une monarchie beylicale sous protectorat, nous avons évolué vers une autocratie éclairée qui a évolué à son tour en ploutocratie dictatoriale, sans jamais aller au fond des valeurs républicaines qui placent le pouvoir au service du peuple et non l’inverse.
Aussi, sous une dictature, le plus important a toujours semblé le courage de s’impliquer politiquement dans un environnement à haut risque. De là est née une culture du leadership que nous avons développé à partir de mauvais critères. En effet si le courage de s’opposer et de critiquer est nécessaire, il est loin d’être suffisant. Le leadership moderne s’appuie sur des institutions bien structurées et des compétences qui les gèrent afin de construire des stratégies. Tout homme à lui tout seul étant obligatoirement faillible, il revient aux institutions, qui elles se réforment et se renouvellent, de former et de produire plusieurs leaders que la compétition oblige à continuellement s’améliorer. Or entre la méfiance, la méconnaissance et le suivisme, nous ne cessons de voir des partis se construire autour de personnalités charismatiques ou autoritaires capables de manipuler les foules, quitte à ce que le tout s’effondre si elles venaient à quitter pour une quelconque raison.
Par ailleurs, la marge de manœuvre étant tellement limitée, le ciblage populaire est obligatoirement réduit aux intellectuels engagés autour des tranches populaires les plus défavorisées dont on instrumentalise les causes sans jamais résoudre les problèmes. Avec des objectifs différents, tous les partis ont donc ciblé la même catégorie populaire, alors que la démocratie aurait voulu que les différents partis se départagent les différentes tranches de la population selon leurs différents intérêts, allant des plus défavorisées aux plus nanties afin d’harmoniser entre elles en alternant le pouvoir tantôt aux mains des uns, tantôt aux mains des autres, évitant de la sorte toute transcendance d’une tranche sur les autres.
Par conséquent au lendemain du réveil citoyen du 14 janvier, qui s’est fait dans une totale spontanéité en dehors de tout leadership partisan, nous nous sommes retrouvés face à un dangereux vide politique. Des partis historiques sans aucune légitimité populaire, se sont imposés au-devant de la scène politique, et plus d’une centaine de nouveaux partis se sont donc constitués dans la plus grande urgence, uniquement armés de la volonté de protéger notre pays en y instaurant la démocratie, seule à même de nous défendre à l’avenir contre tout renversement social ou politique aussi destructeur.
Tous ces balbutiements se sont bien entendus traduits dans les résultats
Entre une importante majorité méfiante et silencieuse qui n’a pas voté et les indiscutables valeurs religieuses, bien ancrées, rassurantes et bien vendues par les nombreux prisonniers politiques du mouvement islamiste, Ennahdha évitant le sujet de la Constitution et vendant toutes sortes de promesses, a pu rassembler un petit pourcentage électoral qui lui a néanmoins permis d’être aujourd’hui la première force politique légitime du pays.
Quant à tous les autres partis ils ont créé la surprise en ne pesant, tous réunis, que le tiers du poids des Islamistes. Et pour cause, s’étant essentiellement construits autour de personnalités charismatiques souvent inamovibles qui n’ont pas hésité à changer de discours et d’idéologie au vu des circonstances, ils ont d’emblée manqué de crédibilité. Sans expérience de terrain, sans programme, sans stratégie dans un contexte socio-économique des plus difficiles, ils ne savaient plus s’il fallait parler de Constitution et de valeurs républicaines qui n’intéressent nullement un chômeur en attente de travail, ou alors vendre de l’espoir et des promesses impossibles à tenir dans l’immédiat. Seuls, les plus anciens de part leur notoriété, et les plus visibles sur les médias, ont pu percer un tant soit peu.
Par manque d’expérience, le citoyen non plus n’a pas très bien réfléchi en votant
Par ailleurs Ennahdha a su aussi former une troïka qui lui assure non seulement une majorité à l’Assemblée constituante, mais qui lui offre surtout une aura auprès des occidentaux, puisqu’elle est perçue comme un parti islamiste qui a su se rallier deux partis républicains à priori laïcs. Un exemple unique dans le monde Musulman.
Malheureusement cette belle image ne saurait être suffisante pour assurer la réussite d’une transition démocratique et surtout une croissance économique tant attendue par les jeunes démunis. Et c’est précisément à ce niveau que se situe aujourd’hui la responsabilité citoyenne de chacun d’entre nous.
S’il est hors de question de laisser notre pays couler, il est tout aussi urgent de consolider l’opposition afin d’en faire un contrepouvoir équilibrant et une alternative incontournable.
Pour cela, les partis d’opposition doivent obligatoirement fusionner pour créer, au plus, deux ou trois nouvelles grandes entités qui consolident et démultiplient leurs forces afin de se rendre le plus visible et le plus accessible à l’ensemble des citoyens tout en répondant aux diversités actuelles.
Ces fusions doivent donner naissance à de nouvelles structures qui soient des exemples de fonctionnement démocratique dans lesquelles la jeunesse doit pouvoir accéder aux postes de décisions, car c’est bel et bien de leur avenir qu’il s’agit.
Il leur faut des partis qui leur appartiennent et à travers lesquels ils peuvent désormais défendre leurs intérêts sans qu’ils ne se sentent uniquement instrumentalisés pour des nécessités électorales. Des partis qui puisent leur force dans les solutions qu’ils se doivent de proposer à chaque problème qui se présente, et ce, en se construisant autour de différentes visions, traduites en stratégies et en plans d’actions clairs. Des partis qui maitrisent plus d’un plan d’urgence pour qu’ils soient les incontournables forces avec lesquelles il faut composer.
L’instauration de la démocratie est une œuvre commune à tous les citoyens, le temps d’implanter les outils nécessaires à son bon fonctionnement. Puis chacun pourra profiter d’un repos bien mérité dans le cadre d’une République authentique.
*Neila Charchour Hachicha : Chef d’entreprise et militante AfekTounes
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