Conjoncture difficile et réconciliation nationale font bon ménage !
Annoncée depuis mars 2015, l’idée d’une réconciliation nationale, initiée par le président de la République Béji Caïd Essebsi, vient de prendre forme et de se concrétiser. Tenu ce mardi, au Palais de Carthage, le Conseil ministériel présidé par le chef de l’Etat a approuvé le projet de loi organique relatif à la réconciliation dans le domaine économique et financier. Un projet de loi de grande importance et qui changera carrément le cours de la justice transitionnelle en Tunisie. Quelle en serait la teneur ?
« J’aurais bien voulu, et c’est ma position politique, que la page du passé soit tournée définitivement et qu’on regarde vers l’avenir », déclare Béji Caïd Essebsi à l’ouverture du Conseil, et de renchérir : « à quoi cela servirait d’incarcérer des personnes en particulier, alors que le pays a besoin de toutes ses compétences et des hommes d’affaires prêts à participer et à soutenir l’économie nationale ».
Le chef de l’Etat déplore également que des hauts commis de l’Etat soient trainés de prison en prison, alors qu’ils n’ont rien fait, vu qu’ils ont vécu dans un système corrompu où tout le monde se taisait à cette époque, même les juges, selon ses dires. Rappelant que les principales personnes impliquées se trouvent en dehors du pays et mènent la belle vie, laissant payer d’autres à leur place. Toutefois, BCE affirme que tenant compte du processus de la justice transitionnelle, le volet politique et celui des droits de l’homme restera de l’essor de l’IVD. Le projet de loi proposé ne concernera de ce fait que le domaine économique, proposant des solutions et permettant aux hauts fonctionnaires et aux hommes d’affaires de régulariser leur situation et de réintégrer la vie publique. Le ton est donné.
Le projet de loi de réconciliation nationale est présenté comme étant un texte qui s’inscrit dans le cadre de la consolidation de la justice transitionnelle, visant à préparer un climat favorable qui encouragera l’investissement, permettra de donner de l’essor à l’économie nationale et à renforcer la confiance en les institutions de l’Etat. Le but étant de mettre en place des dispositions particulières relatives aux dépassements dans le domaine de la corruption financière et aux abus des fonds publics. Cela a pour finalité de clore définitivement ces dossiers et de tourner la page du passé afin d’atteindre la réconciliation, puisqu’il s’agit du but ultime de la justice transitionnelle.
Trois catégories de personnes sont concernées par ce projet de loi : les fonctionnaires publics qui n’ont pas tiré profit de la corruption ou réalisé un gain direct, les personnes impliquées dans des infractions économiques et qui ont réalisé un gain et finalement, ceux qui ont des avoirs cachés à l’étranger et qui sont impliqués dans des infractions de change.
L’article 2 du projet de loi propose d’arrêter les poursuites, les procès et l’exécution des sanctions, à l’encontre des fonctionnaires publics, qui n’ont pas réalisé de gain, pour des actes liés à la corruption et l’abus de fonds publics, à l’exception des affaires liées aux pots-de-vin et au détournement des fonds publics.
La possibilité d’une réconciliation, au bénéfice de toute personne ayant réalisé un gain dans des actes liés à la corruption et l’abus des fonds publics, est par ailleurs avancée sous un certain nombre de conditions. La personne concernée se doit de présenter une demande allant dans ce sens à la Commission de réconciliation, créée au sein de la présidence du gouvernement. Une commission qui sera composée d’un représentant de la présidence du gouvernement, d’un représentant du ministère de la Justice, du ministère des Finances, du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, de deux membres de l’IVD et du chargé du contentieux de l’Etat. Ladite commission se chargera d’évaluer la valeur des fonds dérobés ou les gains réalisés. Dans ce cas de figure, l’amnistie ne sera prononcée qu’en échange du remboursement des fonds publics détournées, avec l’ajout de 5% par année, à compter de la date où l’infraction a été commise.
L’article 6 dispose que les sommes remboursées seront déposées dans un fonds qui se chargera de les allouer dans des projets d’infrastructure, de développement régional et durable ou pour soutenir les PME dans les régions. L’utilisation de ces sommes se doit d’être sous le contrôle de la Cour des comptes qui présentera un rapport aux trois présidents. Toute une démarche qui aboutira à l’arrêt du procès et l’exécution de la peine.
Quant à l’article 7, il énonce l’adoption d’une amnistie pour les infractions de change et d’avoirs cachés à l’étranger, avant l’entrée en vigueur de la loi, en contrepartie de la restitution des revenus et des gains à l’Etat tunisien. Pour bénéficier de l’amnistie, les personnes concernées sont tenues de tout déclarer à la Banque centrale, dans un délai ne dépassant pas une année de la promulgation de la loi. Les sommes devront être déposées sur des comptes privés, en devise ou en dinar convertible. Les concernés sont dans l’obligation de débourser une somme d’argent estimée à 5% de la valeur des gains déposés, tout en étant exemptés de payer l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et les pénalités de retard, ainsi que de toute poursuites administrative ou judiciaire.
La tâche de la Commission de la réconciliation nationale prend fin, avec la préparation d’un rapport contenant les résultats de ses travaux un mois, au maximum, après l’expiration du délai portant sur le traitement des demandes qui lui ont été soumises. Le rapport sera présenté au chef du gouvernement qui en remettra une copie à l’Instance Vérité et Dignité (IVD). D’autre part, le dernier article du projet de loi, propose l’annulation de toutes les dispositions relatives à la corruption et au détournement des fonds publics, inscrites dans la loi organique n°53 de 2013, établissant et régissant la justice transitionnelle.
En attendant que ce projet de loi soit adopté par l’Assemblée des représentants du peuple, des centaines d’anciens fonctionnaires de l’Etat et des hommes d’affaires, attendent dans l’expectative. La question de la réconciliation nationale, déjà évoquée par Béji Caïd Essebsi avait reçu un accueil mitigé, par les partis politiques et la société civile. A l’heure actuelle, certains experts soulignent la nécessité de promulguer une telle loi qui ne fera qu’aider le pays, se trouvant dans une conjoncture économique plus que difficile. Une loi qui permettra aussi d’assainir le climat des affaires, de booster les investissements et la création de richesses, tout en restant dans le respect total de la justice transitionnelle. D’autres voix, cependant, ont appelé à ce que ladite loi soit retirée, la considérant comme étant un véritable coup de poignard dans le dos de la révolution et un recyclage de la corruption. Une proposition qui ne bénéficie donc pas de l’unanimité, mais qui a tout de même le soutien des partis disposant du nombre le plus important de sièges au Parlement, notamment Nidaa Tounes et Ennahdha.
Ikhlas LATIF