alexametrics
dimanche 11 mai 2025
Heure de Tunis : 07:48
Chroniques
Ce que les Algériens et les Marocains pensent de ce qui se passe en Tunisie
22/01/2014 | 1
min
{legende_image}

Par Marouen Achouri


Que nous a apporté la Révolution ? Pourquoi avons-nous fait une révolution ? Ces morts sont-ils tombés pour rien ? Etait ce une Révolution ? Autant de questions que les Tunisiens se posent quand ils pensent, aujourd’hui, à la révolution du 14 janvier.
Nous, Tunisiens, sommes extrêmement critiques envers la Révolution de notre pays. Pour les uns, elle n’a apporté qu’insécurité et misère, pour d’autres, elle a défiguré le pays, les poussant à pleurnicher des « Rendez moi ma Tunisie » et pour un grand nombre, on espérait que la Révolution changerait les choses mais finalement, rien n’a changé.
Pourtant, cette vision pessimiste du présent et de l’avenir de la Tunisie n’est pas partagée par nos voisins de l’ouest, algériens et marocains. Pour certains d’entre eux, ce qui se passe actuellement en Tunisie relève de la « science fiction ». On m’a également dit : « On rêverait d’avoir le dixième de ce que vous avez ». Nos voisins savent ils réellement ce qui se passe en Tunisie pour se montrer aussi optimistes, limite irréalistes ? Il est certain qu’ils n’ont pas la sensibilité que peut avoir un Tunisien envers ces mêmes problématiques. Toutefois, ce regard extérieur n’est pas dénué de tout fondement et pourrait même se targuer d’une certaine objectivité.
Isma est une jeune femme algérienne. Pétillante et pleine de vie, elle porte un regard critique et sage sur le cheminement démocratique en Tunisie : « L’année 2014 est une année d’élections pour les Tunisiens. Ils doivent, à mon avis, se munir de patience, de patriotisme et s’éloigner des voix qui appellent à la division et à la haine. Ce sont ces mêmes voix qui nous ont plongés, nous Algériens, dans une décennie de guerre civile et de folie meurtrière ».
En tant que femme, Isma a une sensibilité particulière envers les acquis de la femme tunisienne et leur préservation : « L’adoption de l’article 45 sur la parité entre les hommes et les femmes nous renseigne sur les débuts d’une nouvelle ère de changements et de liberté ». Pour Isma, le choix démocratique n’est pas à remettre en question puisqu’elle affirme : « Bien que le chemin vers la démocratie « absolue » reste parsemé de sacrifices et de révélations importunes pour certains, il est tout de même à emprunter ».

La jeune algérienne n’hésite pas à ajouter que, dans son pays, un très lourd tribut humain a été payé sans que cela n’aboutisse à ce qui se passe actuellement en Tunisie. Il est vrai que ce type de comparaison nous fait réfléchir quant à la situation tunisienne. On n’hésite pas aujourd’hui à dire que la Tunisie reste, malgré tout, le seul pays de ceux qui ont connu une révolution à se débattre pour instaurer une démocratie.

Cette idée est confirmée par Fatima Zohra, une jeune pharmacienne marocaine. Elle affirme : « Ce qui me semble le plus important est le faible coût en vies humaines. Sans vouloir minimiser le nombre de morts et de blessés dans la révolution tunisienne, on est très loin du bilan algérien d’il y a quelques années, ni de celui de l’Egypte, sans pour autant que ces pays enregistrent une quelconque avancée sur le plan de la transition démocratique ».

Zohra, comme elle préfère être appelée, livre une analyse assez pointue de la réalité tunisienne même si elle avoue ne pas suivre régulièrement l’actualité : « Je pense profondément que les concessions sont un impératif si on veut vivre dans une société plurielle, donc après les concessions qu’a réitérées Ennahdha (Abandon de la suprématie au gouvernement, reconnaissance dans la Constitution de la liberté de conscience, de l'égalité en droits civils entre femmes et homme …), il me semble que les Tunisiens ne doivent pas refuser de considérer les islamistes comme des interlocuteurs sensés, même si leurs motivations peuvent être discutables (ce qui n’est pas une exclusivité des islamistes). Ce scénario me semble meilleur que d’avoir affaire à des gens qui ne veulent pas reconnaître les réalités de leur société, voire des gens intéressés qui préfèrent la dictature militaire ou des gouvernements fantôme à la solde d’une dictature en place au choix souverain du peuple, comme c’est le cas au Maroc ».

Zohra voue une grande admiration à l’œuvre progressiste de la Tunisie en faisant référence à Bourguiba. Elle avoue, sans détours, que l’un des plus grands avantages, sinon le plus grand, que possède la Tunisie vis-à-vis de ses voisins est le taux d’alphabétisation et l’éducation qui a été, très tôt, érigée en priorité nationale. Cette éducation et cette alphabétisation restent un rêve pour une majorité de Marocains. Elle dresse un bilan du travail constitutionnel en y intégrant une dimension temporelle intéressante. En tant qu’observatrice étrangère, Zohra garde un rapport rationnel au temps que, nous Tunisiens, avons perdu : «L’héritage de la société tunisienne des temps de Bourguiba est sans conteste un facteur important, et même si la constitution qui est en train d’être votée en Tunisie semble être en régression par rapport aux acquis, il me semble qu’elle constitue quand même une bonne base pour que la transition démocratique ait lieu sereinement et dans un cadre juridique viable, même si son application semble être compliquée sur le terrain. Ce genre de mutations des sociétés prend des années avant de passer dans le conscient collectif mais il faut bien commencer quelque part, et je trouve que la Tunisie commence bien et avance vite. En tout cas, plus vite que les pays autour ».

Et si nous avions tort d’être pessimistes ? Cette question nous est imposée par nos voisins algériens et marocains. Il n’y a pas si longtemps, nous ne pouvions pas sortir manifester dans la rue. Toutefois, on a raison d’être mécontents car ce sera notre moteur, notre motivation, pour continuer sur le chemin qu’on a entamé.
22/01/2014 | 1
min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous