
L’actualité judiciaire de la semaine était très riche en événements touchant des personnalités politiques.
Mercredi 10 juillet, l’ancien membre de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) Zaki Rahmouni annonce avoir été condamné à deux ans de prison ferme ainsi qu'au millime symbolique pour avoir critiqué son instance. Le lendemain, son collègue Sami Ben Slama annonce qu’il en a eu pour deux ans ferme pour les mêmes raisons.
Jeudi 11 juillet, l’ancienne maire de Tabarka Amel Aloui annonce avoir été condamnée à 18 mois de prison pour avoir dénoncé les abus d’un dignitaire de la région.
Vendredi 12 juillet, l’ancien ministre de la Santé et actuel candidat à la présidentielle Abdellatif Mekki annonce avoir été reçu, sans être auditionné, par le juge d’instruction chargé de l’affaire de JIlani Daboussi, cet ancien dignitaire de Tabarka décédé à sa sortie de prison en 2014. Un décès intervenu alors que le ministre n’était plus ministre depuis plusieurs mois. N’empêche, et bien qu’il ne l’ait pas auditionné, le juge d’instruction décide d’interdire le candidat à la présidentielle de toute apparition médiatique ou sur les réseaux sociaux, de lui interdire de voyager et même de se déplacer en dehors de la délégation de Ouardia.
Vendredi 12 juillet, le député inféodé au régime Moez Ben Youssef quitte la prison où il a séjourné quelques nuits, s’en tirant avec une légère peine de quatre mois de prison avec sursis. En état d’ivresse manifeste, le député a agressé un chauffeur de taxi, des agents des forces de l’ordre pendant l’exercice de leurs fonctions et a proféré des propos insultants contre le président de la République, la ministre de la Justice et le ministre de l'Intérieur, et ce en présence de plusieurs passants.
Samedi 13 juillet, l’ancien député de Qalb Tounes Yadh Elloumi est arrêté dans une affaire datant de cinq ans. Il aurait payé des parrainages pour se faire élire en 2019 et c’est l’Isie qui aurait déposé plainte contre lui. L’affaire des parrainages, payés ou falsifiés, implique plusieurs personnalités politiques dont le président de la République actuel, soit dit en passant.
Samedi 13 juillet, l’actuel secrétaire général d’Ennahdha Ajmi Lourimi, est arrêté, sans que l’on sache pourquoi, ainsi que deux de ses proches camarades du parti. Leurs avocats n’ont pas été autorisés à leur rendre visite, ni à consulter leurs dossiers. Ils devaient attendre lundi. Après Rached Ghannouchi, Abdelkarim Harouni et Mondher Ounissi, M. Lourimi est le quatrième plus haut dirigeant d’Ennahdha à être arrêté.
Dimanche 14 juillet, l’ancien ministre Mabrouk Korchid annonce que son fils a été de nouveau empêché de voyager. Cette interdiction serait totalement arbitraire, sans aucune motivation judiciaire.
Plusieurs points communs relient toutes ces affaires. Elles coïncident avec le démarrage de la campagne électorale pour la présidentielle du 6 octobre, elles touchent des personnalités politiques et aucun, absolument aucun, communiqué du parquet ou du ministère de la Justice n’a été publié pour en parler. Est-ce un hasard ? Nullement, tranche Sofiène Ben Hamida dans sa chronique hebdomadaire sur Business News.
Ces affaires renvoient un message très dangereux à l’opinion publique. Voilà ce qui risque de vous arriver si vous faites de la politique ou si vous osez critiquer le régime ou s’opposer à lui.
S’il y a un quelconque doute, il est levé par les deux communiqués publiés dimanche 14 juillet par l’Isie et le ministère de la Justice.
L’instance électorale publie des mises en garde et menace de traduire en justice tout contrevenant qui ose s’en prendre à elle, publier des sondages, diffuser de fausses informations ou des rumeurs ou même ternir la réputation et l’honneur des membres de l’instance ou des candidats.
Elle refuse, au passage, de fournir les formulaires de parrainage aux représentant dument mandatés des candidats déclarés, à savoir Abir Moussi et Ghazi Chaouachi, tous deux en prison.
Le ministère de la Justice, quant à lui, menace d’engager des poursuites judiciaires contre tout auteur de diffamation ciblant les juges et les employés du ministère.
Cela fait trop pour une semaine ? Ce n’est pas fini. Le fait judiciaire le plus marquant de la semaine n’a pas été relayé par les médias et c’est ce fait qui a motivé le communiqué dominical du ministère de la Justice. Les réseaux sociaux étaient en forte effervescence en évoquant une sale affaire touchant la ministre de la Justice Leïla Jaffel et un membre, ou des membres de son cabinet. La seule chose que l’on peut relayer médiatiquement, est le limogeage du membre de son cabinet Makram Jelassi. On a appris le limogeage, par hasard, en lisant le Journal officiel qui n’est pas connu pour être la lecture favorite du grand public. L’effervescence et les rumeurs circulant sur les réseaux sociaux ? Le ministère de la Justice n’a pas jugé utile d’en parler, il s’est juste suffi du communiqué menaçant.
Alors que les Tunisiens vivent sous le coup des arrestations de personnalités politiques et des menaces directes proférées par les instances de l’État, l’actualité de l’autre côté de l’Atlantique vit sur le rythme des assassinats et des tentatives d’assassinat.
Samedi 13 juillet, l’ancien président et actuel candidat à la présidentielle américaine Donald Trump a été victime d’une tentative d’assassinat. L’assaillant est un gosse de vingt ans, immédiatement abattu. M. Trump a échappé de justesse à la mort, il a juste été touché à l’oreille.
La tentative d'assassinat a eu lieu vers minuit, heure tunisienne, et moins de deux heures après, les États-Unis et le monde ont eu droit à toutes les informations disponibles sur l’attentat et ses dégâts. Trois heures après l’attentat, le président Joe Biden a donné une déclaration dans laquelle il condamne fermement cette violence inacceptable. Au petit matin, nous avons eu droit à l’identité du tueur, son arme, sa famille et son parcours. Aucun détail n’a été gardé secret et toute la planète savait ce qui s’était passé moins de 24 heures après les faits.
« Personne n’a dit qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale, de souveraineté et que le dossier est actuellement entre les mains de la justice et qu’il faut respecter la justice et le secret de l’instruction », commente le célèbre blogueur Mehrez Belhassen.
Aux États-Unis et dans tous les pays civilisés et même moins civilisés, tout ce qui se passe dans le pays est digne d’intérêt pour le citoyen. Partant, les autorités communiquent les moindres détails de ce qui s’y passe.
Dans ces pays civilisés, et même moins civilisés, l’État est au service du citoyen et ce dernier est au centre de tout.
Dans ces pays civilisés et même moins civilisés, quand une personnalité politique est mêlée à une affaire judiciaire ou à un scandale, les autorités et les intéressés multiplient les communiqués et font preuve d’une transparence totale afin de dissiper tout doute qui pourrait gagner les citoyens. La justice fait tout pour prouver sa totale indépendance, aux yeux des citoyens et justifie toute action qu’elle mène et toute décision qu’elle prend.
Dans ces pays civilisés et même moins civilisés, une élection et encore plus une présidentielle, est considérée comme une fête de la démocratie. Les autorités font tout ce qu’elles peuvent pour promouvoir l'événement. Les médias, incontournables, sont en première ligne tout comme les instituts de sondage considérés comme les vrais thermomètres de l’opinion publique et des candidats.
Dans ces pays civilisés et même moins civilisés, les politiciens mentent et louvoient et sont démentis par leurs adversaires et les médias. Le débat et la polémique sont incontournables de la vie publique.
Chez nous, l’État est au centre de tout et les citoyens sont considérés comme des poussières d’individus. Que les informations touchent l’État, la collectivité ou les personnalités politiques, les hauts dignitaires de l’État ne communiquent sur rien et agissent comme si le pays était leur propriété privée. Pour eux, ces informations n’intéressent pas et ne doivent pas intéresser les citoyens. Ils ne veulent pas de débat contradictoire et encore moins de propos polémistes.
Qu’il y ait des arrestations politiques, au timing des plus suspects, ou d’hypothétiques scandales touchant les dignitaires de l’État, nos autorités préfèrent le mutisme et l’opacité à la parole rassurante et la transparence. Pire, elles publient des menaces et des mises en garde, si jamais des citoyens ont le malheur de dire ce qu’ils pensent.
Au lieu de dissiper les doutes, nos autorités le cultivent. Pour elles, le citoyen est au service de l’État (à leur service réellement) et non l’inverse.
Alors que les élections devraient être une fête démocratique, nos autorités les promeuvent avec des communiqués menaçants, troublants, cauchemardesques. Au lieu d’appeler les acteurs (candidats, citoyens, médias et instituts de sondage) à la participation active, nos autorités emprisonnent, interdisent et intimident. Alors que les élections devraient être au-dessus de tout soupçon, nos autorités font tout pour qu’on les suspecte.
Entre les pays civilisés, et même moins civilisés, et la Tunisie de 2024, il y a un grand gap civilisationnel. Il y a des siècles de différence. Le monde civilisé est au XXIe siècle, nos dignitaires sont encore au XVe siècle.
Cordialement
Zaki RAHMOUNI