La tectonique des partis
Nidaa Tounes qui s’effrite, Al Irada qui annonce sa venue sur la scène politique, le flou qui entoure les intentions de Mehdi Jomâa, les perspectives obscures des partis d’opposition… Le moins que l’on puisse dire est que le paysage politique tunisien est en pleine mutation. Les partis tunisiens continuent de se chercher un positionnement et surtout, une pérennité.
C’était l’événement politique du weekend. Moncef Marzouki, ancien président de la République, a annoncé en grandes pompes la naissance de son nouveau parti, « Mouvance Tunisie Volonté » ou plus communément « Al Irada ». Il s’agit d’une formation politique qui se veut une alternative crédible au pouvoir en place. D’ailleurs, l’ancien président a consacré un large pan de son discours à la critique de Nidaa Tounes et à celle du gouvernement en place.
Ce nouveau parti comporte le CPR avec ses principaux dirigeants. On citera le compère de Moncef Marzouki, Adnène Mansar, ainsi que Tarek Kahlaoui ou encore Imed Daïmi. Plusieurs anciens du parti sont absents de la nouvelle composition du parti de Moncef Marzouki dont Samir Ben Amor ou encore l’ancien élu de l’ANC, Haythem Belgacem. Il s’agit clairement d’un parti conçu pour occuper un vide sur la scène politique tunisienne, dans le sens où les deux grands partis du pays sont alliés au pouvoir et que l’opposition qui leur est faite reste relativement faible. Par conséquent, le nouveau parti de Moncef Marzouki se propose d’incarner une opposition active, hors Assemblée des représentants du peuple. Les leviers de ce parti ne changent pas par rapport à ceux du CPR. On évoquera ainsi la lutte contre la pauvreté, la promotion de la décentralisation et le fait de donner plus de pouvoir aux municipalités et aux régions, ou encore la lutte contre la corruption, en mettant en place des lois et des mécanismes de vérification.
En fait, Moncef Marzouki a pris le temps de se bâtir un parti sur mesures. Une lecture rapide des résultats des dernières élections permet ce constat. En effet, son parti de l’époque, le CPR, a recueilli très peu de voix et n’est parvenu à avoir que 4 sièges à l’assemblée. Par contre, Moncef Marzouki est parvenu à capitaliser sur sa personne en se hissant au deuxième tour des présidentielles et en perdant avec un score qui reste quand même honorable. L’objectif de se nouveau parti est donc de parvenir à remettre Moncef Marzouki sur le siège de Carthage. Un objectif tout à fait logique pour un parti politique même si l’ancien président déclare que ce n’est pas son but.
Face à cette naissance dans le monde politique, il y a l’agonie d’un parti pourtant jeune : Nidaa Tounes. Les luttes intestines dans ce parti auront fini par le terrasser, dans le sens où la scission est désormais consommée et déclarée de l’aveu même de son secrétaire général démissionnaire, Mohsen Marzouk. La guerre de tranchées entre ce dernier et le fils du président de la République, Hafedh Caïd Essebsi, a, non seulement paralysé le parti, mais divisé ses adhérents, ses soutiens et même ses élus. Ainsi, l’élue Bochra Belhaj Hmida a confié à Business News, le 21 décembre 2015, que 21 députés de Nidaa Tounes ont signé leur démission définitive du bloc parlementaire du parti. L’annonce officielle sera faite au plus tard mercredi.
Si cette démission devient effective, le parti Nidaa Tounes sera plus que jamais affaibli en attendant les décisions qui seront prises par les deux camps début janvier 2016. Quelle que soit l’issue, Nidaa Tounes cessera d’être le premier parti de Tunisie et sa faiblesse se fera sentir jusqu’à Carthage. En effet, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, s’est clairement rangé du côté de son fils et la commission des 13, qu’il a lui-même désigné, semble incapable de régler les raisons profondes de la guerre entre les deux camps de Nidaa Tounes.
Il reste cependant une inconnue dans le paysage politique tunisien : Que va faire l’ancien chef du gouvernement, Mehdi Jomâa ? Ou plus précisément, quand va-t-il le faire ? En effet, il n’est pas secret que la vie politique de Mehd Jomâa n’est pas finie. En cela, il est porté par trois facteurs importants. Le premier est qu’il a un bilan politique positif pour la courte période où il a été aux commandes de la Kasbah puisque, entre autres choses, c’est sous sa présidence que les élections de 2014 ont eu lieu dans de bonnes conditions. Le deuxième facteur est qu’il dispose d’une sympathie populaire certaine qui se trouve confirmée régulièrement par les sondages d’opinion. Troisième facteur, Mehdi Jomâa a un carnet d’adresses national et international bien fourni. Cet aspect s’est confirmé par sa visite, début novembre 2015, en Algérie qui a donné lieu à une foison de rumeurs à propos d’un éventuel retour à la Kasbah. D’autres ont vu cette visite comme une espèce d’adoubement du grand frère algérien pour une prochaine candidature.
Dans ce paysage politique mouvant et en perpétuelle transformation, il existe deux constantes. La première est le deuxième parti du pays, à savoir Ennahdha. Le mouvement islamiste observe la scène politique tunisienne et prend grand soin de ne prendre part à aucun conflit d’aucune sorte. Durant toute la crise de Nidaa Tounes, les responsables d’Ennahdha ont refusé de prendre position en faveur de l’un ou de l’autre des deux camps. D’un autre côté, c’est avec une certaine bienveillance que le parti islamiste voit la naissance du parti de Moncef Marzouki. C’est cette constance qui risque de devenir l’un de ses atouts électoraux en comparaison avec le reste de la scène politique tunisienne.
La deuxième constante dans ce paysage est l’état des partis d’opposition. Le Front populaire, Al Jomhouri, Al Massar, Ettakatol et autres, n’arrivent ni à dépasser leurs problèmes d’égo, ni à se mouvoir en une alternative crédible aussi bien collectivement qu’individuellement. Disposant d’un poids négligeable – voir nul pour certains- au sein de l’assemblée, ces partis échouent dans leur remises en question et restent marginaux, hormis quelques soubresauts sur des questions portant leurs « marques » idéologiques.
A peine cinq ans après le début de l’exercice démocratique en Tunisie, il est logique que la scène politique du pays ne soit pas encore installée de manière pérenne. On continue à se chercher et à se positionner en fonction des intérêts, qu’ils soient immédiats ou plus lointains. Toutefois, la construction de ce paysage politique risque de faire perdre à la démocratie tunisienne son aspect participatif dans le sens où les électeurs risquent de s’y perdre, et par conséquent de s’abstenir à l’avenir. Cette course au positionnement et aux voix est légitime et normale, mais dans une démocratie établie, pas dans une démocratie en construction.
Marouen Achouri