Affaire Thomas Cook : 11 millions d’experts en tourisme
On connaissait déjà les 11 millions de Tunisiens experts en football. Après 2011, on a découvert 11 millions d’experts en politique. La faillite du voyagiste Thomas Cook en Grande-Bretagne et ses répercussions sur la Tunisie viennent d’apporter la preuve que nous disposons également d’un vivier de 11 millions d’experts en tourisme. Et malheureusement, c’est une course aux absurdités qui s’est déclenchée. La palme reviendra sans aucun doute à cette radio régionale qui a ouvert son antenne à un député de l’opposition qui a gratifié les pauvres auditeurs que nous sommes d’une analyse abracadabrante, assaisonnée à la sauce populiste comme seule savent la servir les néo-révolutionnaires qui ne voient dans le tourisme que sa face capitalistique et ses vilains propriétaires d’hôtels. Et le comble, c’est que dans l’affaire, la journaliste en face de lui a été embarquée dans la galère et a joué pleinement le jeu de son invité sans chercher à prendre à défaut ses inepties.
A l’adresse des braves gens qui ne savent plus à quel saint se vouer dans l’affaire Thomas Cook, voici des réponses simplifiées à 10 questions qui ont légitimement été posées pour comprendre les tenants et les aboutissants du dossier sans parti-pris et avec la sagesse qui s’impose :
1) Pourquoi autant de tapage pour cette affaire ?
Parce que Thomas Cook était le premier pourvoyeur de touristes sur la Tunisie et parmi les plus anciens. Il a envoyé des millions de touristes sur la Tunisie depuis le début des années 70 à travers Neckermann (marque qui a fusionné plus tard avec le groupe). Il figurait dans le Top 3 mondial des voyagistes avec des filiales dans 16 pays. Sa faillite était tout simplement inimaginable tant l’entreprise paraissait inébranlable il y a encore un an.
2) Comment se fait-il que les hôteliers tunisiens n’ont pas su anticiper sa faillite ?
Les hôteliers tunisiens savaient parfaitement depuis des mois que le voyagiste passait par de grosses difficultés financières et était lourdement endetté (pour de multiples raisons trop longues à énumérer). Ce qu’il faut retenir, c’est que ces derniers temps, une issue à la crise de l’entreprise semblait avoir été trouvée à travers l’apport de nouveaux capitaux par le groupe chinois Fosun, ce qui aurait permis de stabiliser la situation. Cela a donc provisoirement rassuré les partenaires du T.O non seulement en Tunisie mais dans tous les autres pays où le voyagiste opère. Cette injection de fonds a finalement échoué et dans la foulée, le gouvernement britannique a décidé de ne pas soutenir financièrement le groupe, ce qui a précipité la faillite de la maison-mère, Thomas Cook Plc en Grande-Bretagne. Jusqu’au bout, il y avait donc espoir de reprise.
3) Le ministère du Tourisme n’avait-t-il pas pour mission de stopper les relations avec Thomas Cook ?
Le rôle du ministère du Tourisme n’est pas de s’immiscer dans les affaires commerciales du privé. Car Thomas Cook est un privé, les hôtels tunisiens le sont aussi. Quant aux déclarations entendues concernant un hypothétique soutien financier que le ministre du Tourisme aurait accordé au voyagiste, celui-ci est faux. Les responsables de Thomas Cook sont certes venus le rencontrer en mai dernier pour un projet de communication conjointe sur le long-terme débutant en 2020. Pas un millime n’a été déboursé. Les seules dépenses occasionnées par cette discussion ont été les 4 cafés offerts aux invités dans le bureau du ministre.
4) Le rapatriement des touristes chez eux est-il à la charge de la Tunisie ?
Les touristes britanniques venus à travers Thomas Cook en Tunisie sont en train d’être rapatriés aux frais du gouvernement britannique grâce à une assurance qui s’appelle ATOL mise en place justement pour parer à ce genre de situation. On a même vu le géant des airs, l’Airbus A380, atterrir pour la première fois en Tunisie, à l’aéroport d’Enfidha le 24 septembre, dans le cadre de cette opération de rapatriement à grande échelle qui concerne 4000 Britanniques en Tunisie. Ils sont 150.000 dans le monde à passer par le même processus.
5) Pourquoi dans les hôtels, les touristes européens viennent à crédit alors que les Tunisiens payent comptant ?
Les touristes ne viennent pas à crédit, ils payent leur séjour complet (package comprenant, avion, transfert et séjour) avant le départ auprès de l’agence de voyage chez qui ils ont acheté leurs vacances. Ceux qui ont séjourné en Tunisie cet été avaient déjà payé leur séjour. Il n’y a donc pas lieu de parler de touristes à crédit ni de parler de discrimination dans ce cas. Thomas Cook jouait le rôle d’intermédiaire.
6) Le tourisme tunisien est-il en danger suite à cette faillite ? Les hôtels vont-ils fermer ?
La part de Thomas Cook dans la globalité des touristes européens n’est que de 3,5%. Le voyagiste avait fait 100.000 touristes sur la Tunisie depuis le début de l’année, ce qui n’est finalement pas énorme par rapport aux entrées globales de touristes européens et n’aura pas d’impact très grave sur la destination quand bien même l’ardoise laissée sera dure à supporter.
Les hôtels qui travaillaient avec Thomas Cook sont au nombre de 40 environ, soit environ 6% du parc hôtelier tunisien. Les montants des factures en instance ne sont pas les mêmes selon les hôtels car le nombre de clients était différent d’un établissement à un autre. Cela augure de difficultés financières à venir pour les entreprises hôtelières mais celles-ci ont vu pire par le passé.
7) Pourquoi les impayés de Thomas Cook sont-ils si importants ?
Les procédures de paiement des partenaires mises en place par le voyagiste étaient applicables partout dans le monde sans exception, à savoir des règlements à des dates précises. Ce système était en fonction depuis de nombreuses années et accepté contractuellement par les parties. L’été constituant le pic d’activité, le nombre de clients a donc été élevé notamment en juillet et août, sachant également que certains hôtels n’ont pas été payés pour le mois de juin. Le cumul de ces 2/3 mois (jusqu’au 23 septembre) a fait que le total de ces impayés a atteint 60 millions d’euros, sachant que la prochaine échéance de paiement avait été convenue pour le 4 octobre. Au niveau mondial, Thomas Cook a laissé au moins un milliard d’euros de dettes-fournisseurs.
8) Y-a-t-il de l’espoir pour se faire rembourser ?
Le gouvernement britannique a désigné des liquidateurs et a mis en place une plate-forme sur Internet pour que les créanciers déposent leurs dossiers. Il est question également que les professionnels tunisiens lésés se mettent en pool et désignent un cabinet d’avocat commun pour tenter de recouvrer leurs dus. Nul n’est cependant dupe, cela prendra plusieurs années sans certitude de succès.
9) Quelles conséquences sur l’économie en Tunisie ?
C’est bien évidemment un manque à gagner en devises pour les caisses de l’Etat. C’est une perte sèche pour les entreprises touristiques touchées puisque les séjours de leurs clients ont été consommés et non payés. Cela aura donc aussi des conséquences sur leur capacité à honorer leurs engagements auprès de leurs fournisseurs et de leurs banques. Le ministre du Tourisme a parlé d’un CMR qui devra se tenir pour prendre des décisions. Mais dans le contexte politique actuel, on voit mal qui se soucie réellement de la situation du tourisme.
Quant aux clients perdus, ils ne le seront pas pour tout le monde, un tas d’autres tour-opérateurs se feront une joie de récupérer le « portefeuille » de leur ancien concurrent.
10) Quelles leçons tirer de cette affaire ?
Ce n’est pas la première faillite d’un tour-opérateur international et Thomas Cook n’est malheureusement pas le dernier. Elle interpelle sur la gestion des risques avec nos partenaires étrangers mais surtout sur l’absence de souscription d’assurance de la part des hôteliers pour se prémunir d’éventuels impayés. Il existe pourtant un organisme en Tunisie qui est la Cotunace dont la spécialité justement est de couvrir les entreprises tunisiennes à l’export.
L’affaire interpelle aussi sur le modèle du tour-operating en plein déclin et qui souffre face à la montée du digital et du packaging dynamique 2.0. La Tunisie touristique se doit donc de se rendre à l’évidence que son modèle de fonctionnement ne pourra pas continuer éternellement de la sorte et qu’une transition en douceur doit se mettre en place. Dans les rangs des professionnels du secteur, on vous dira que l’Open Sky est la clé de voute de toute discussion future.