
Les verdicts sont tombés. Ils sont lourds et désarmants. L’affaire du complot contre la sûreté l’État ne rentrera pas uniquement dans les annales judiciaires du pays, elle occupera un chapitre de l’Histoire triste de la Tunisie. Quand, dans quelque temps, on évoquera la période Kaïs Saïed (qui sera révolue à l’instar de toute autre période politique), on l’associera inévitablement à ce séisme judiciaire et à cette affaire de complot contre l’État.
Parenthèse avant d’aborder le fond de la chronique : le verdict prononcé dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 avril (vers 5 h), à l’issue de trois audiences hyper bâclées, a occupé la une des médias à la place de la délicate affaire de Mezzouna et de la question migratoire. Qu’on se le dise, le régime Kaïs Saïed apprend enfin à faire de la diversion et à manipuler, un tant soit peu, le paysage médiatique. Il était temps que ce régime apprenne à faire quelque chose. Je ferme la parenthèse.
Une question qui résume tout
Depuis 48 heures que le verdict est prononcé, tout a été dit par les politiciens patriotes, les médias crédibles, les militants sincères et les familles endeuillées. On a crié un peu partout au scandale, on a dénoncé l’injustice, on a pointé du doigt les innombrables irrégularités du procès, on a relevé l’absence de toute preuve factuelle dans les dossiers des quarante prévenus, on a rappelé l’indéniable patriotisme et l’engagement citoyen de dizaines parmi eux. Bref, on a tout dit, au point que certains n’ont plus trouvé de mots pour dire encore ce qui a déjà été dit.
De tout ce qui a été dit, l’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek, également sœur du prisonnier politique Jaouhar Ben Mbarek, retient une seule et unique question que je partage avec vous :
« Si le dossier est sérieux, réel et bourré de preuves, pourquoi le régime, avec toute sa puissance et ses outils (justice, médias…), a-t-il désespérément tout fait pour l’étouffer durant l’instruction (en interdisant aux médias de le traiter) et durant le procès (en interdisant aux prévenus d’assister au procès) ? Pourquoi le régime a-t-il privé le peuple tunisien de suivre le procès en direct à la télévision afin de lui montrer et de dénoncer le complot fomenté par les prétendus terroristes et traîtres ? Si quelqu’un me donne une réponse sensée à cette question, je m’engage à me taire définitivement et à ne plus évoquer cette affaire. »
Des prévenus aux profils irréprochables
Si ce procès est entré dans les annales judiciaires et va entrer dans l’Histoire de cette période noire de la Tunisie, ce n’est pas en raison de ses irrégularités et de la vacuité du dossier seulement, mais aussi pour l’identité des prévenus.
On trouve des gens qui ont vraiment beaucoup donné au pays et à l’État, tels les anciens ministres et hauts cadres de l’État Mustapha Kamel Nabli, Lazhar Akremi, Ahmed Néjib Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhadj, Kamel Guizani, et j’en passe.
Il y a, parmi les prévenus, de véritables patriotes salis par la propagande et la rumeur publique, qui tire ses jugements des apparences et des commérages de concierge, tels Kamel Letaïef (dont la peine de 66 ans de prison équivaut à la perpétuité), Noureddine Boutar, Abdelhamid Jlassi, Kaouther Daassi, Karim Guellaty, Tesnim Khriji, Khayam Turki, Raouf Khalfallah, Noureddine Ben Ticha, et j’en passe.
Il y a des prévenus qui ont passé leur vie à militer pour le bien de ce pays, tels Bochra Belhaj Hmida, Ayachi Hammami, Issam Chebbi et j’en passe.
L’absurdité poussée à son comble
Il y a des prévenus qui n’ont jamais fait de politique, qui méconnaissent totalement ce « sale » monde et même la définition du mot complot. Je pense à Hattab Slama. Lors de son interrogatoire, on lui a demandé s’il connaissait Khayam Turki, et sa réponse, que je crois sincère, était : « Je n’ai jamais connu de Turc dans ma vie ! »
Le surréalisme est tel qu’on trouve, parmi les prévenus, des gens qui appartenaient au régime (qui s’est souvent retourné contre ses aficionados) et qui étaient des ennemis jurés de l’opposition. Je pense notamment à Nadia Akacha. Cette dernière, qui a été actrice de premier plan dans le putsch du 25 juillet 2021, s’est retrouvée dans le même sac que ses anciens adversaires.
Chacun parmi ces prévenus mérite un article à part, tant l’injustice qui les frappe est grande et tant le verdict prononcé par un juge des plus controversés – il a été accusé, en plein procès, de corruption par l’avocate Samia Abbou – est surréaliste.
Un prévenu pas comme les autres
Chacun de ces dizaines de prévenus mérite un article dédié. Mais il y en a cependant un – un seul – sur lequel je vais m’attarder, car c’est celui que je connais le plus. Et il n’est pas exclu que ce qu’il subit soit, en partie, à cause de Business News.
Ce prévenu, vous l’avez deviné, c’est Karim Guellaty, condamné à 25 ans de prison. Il est, depuis septembre 2018, mon associé à 50 % dans le journal.
Comme les autres, il n’y a rien qui l’accable dans le dossier. Aucun fait tangible, aucun témoignage crédible. Rien, absolument rien. Nada. Walou. Hatta chay !
Le témoin XXX dit qu’il est allé fomenter quelque chose au Luxembourg, alors qu’il n’y a jamais mis les pieds, et il défie quiconque de le contredire.
Le témoin XXX dit qu’il a fomenté quelque chose avec Kamel Letaïef, alors que les deux ne se sont jamais assis côte à côte ou face à face, ni échangé quoi que ce soit, à l’exception de salamalecs lorsqu’ils se sont croisés une seule et unique fois.
Le juge d’instruction l’a traduit en état de fuite, alors qu’il ne l’a jamais convoqué pour l’instruction, et que Karim a franchi les frontières neuf fois (au moins) durant la période de l’instruction, et trois fois (au moins) après son inculpation.
Karim Guellaty est aujourd’hui condamné à 25 ans de prison, sans savoir pourquoi, sans se rappeler avoir fait quoi que ce soit allant à l’encontre de son pays, et sans avoir été interrogé, ne serait-ce qu’une seule fois, durant l’instruction ou durant le procès.
Une condamnation sans précédent
Il n’y a aucun pays au monde – même dans les pires dictatures – où l’on condamne quelqu’un sans lui donner le droit à la parole, le droit de se défendre, le droit de dire sa vérité, quand bien même elle serait mensongère.
Il n’est pas exclu que Karim Guellaty soit mêlé à cette histoire à cause de sa participation actionnariale dans Business News. On n’en sait rien, mais le doute est permis.
Ce qu’il faut savoir, c’est que Karim a pris des participations à un moment où Business News était déficitaire et au bord de la faillite. Le journal l’est encore aujourd’hui (plus pour longtemps, je vous rassure), mais Karim Guellaty a sauvé Business News de la faillite et lui a fait gagner sept ans.
Un engagement désintéressé
La raison de sa participation était de sauver le journal, pas de gagner des dividendes. Et à aucun moment, durant ces sept années, il n’a reçu un dinar pour cela.
On pourrait dire qu’il voulait utiliser Business News pour faire du lobbying, pour ses affaires ou pour servir ses contacts. C’est légitime de penser cela. Sauf que ce n’est pas vrai. La toute première condition que je lui ai posée en 2018 pour devenir actionnaire, c’était de ne pas s’immiscer dans la ligne éditoriale du journal. Il a accepté. Et il a tenu parole.
Il y a celui des journalistes et des salariés du journal qui peuvent attester de cela. Eux aussi leur témoignage n’est pas recevable ?
Il y a celui des anciens membres de Business News, et il y en a un bon paquet. Il n’y a personne sur cette terre qui peut dire que Karim s’est immiscé un jour dans la rédaction.
Un homme de convictions
La vérité, c’est que Karim voulait juste sauver le journal. Il croyait en la démocratie et en la justice. Il voulait sauver un journal qui croit aux mêmes valeurs que lui.
Le régime aurait pu profiter du réseau et de l’expérience de Karim Guellaty – et des autres prévenus – pour financer d’autres entreprises, ramener des investisseurs et sauver l’économie du pays.
Sauf que le régime préfère des Jrad et des Torjman à des Guellaty, Nabli, Letaïef, Charfeddine, Turki, Boutar …
Il préfère de bas opportunistes à de véritables patriotes.
Il préfère les bleus aux expérimentés.
Il préfère les faux-sachants aux cultivés.
Il préfère le creux à la consistance.
Il préfère les coquilles vides aux esprits solides.
Il préfère le vent aux idées.
Il préfère l’apparence au fond.
Il préfère les vitrines aux bibliothèques.
Il préfère ceux qui le délestent à ceux qui le financent.
Le droit au mot
Si je me permets de parler de mon associé aujourd’hui, c’est parce qu’il a toujours refusé que son journal évoque son cas. Business News a beau parler, 7j/7, des autres prisonniers politiques et prévenus, il tenait à la discrétion. Il avait une peur bleue que l’on dise : « il utilise son journal pour se blanchir ».
Condamné comme les autres, sali comme les autres, humilié comme les autres, subissant une grave injustice comme les autres, je dis basta !
Karim Guellaty devrait avoir le droit que Business News parle de lui comme des autres. Il n’est pas en dessous, ni au-dessus. Il est juste comme les autres. Mais différemment des autres, il est peut-être dans le cambouis à cause de ce journal.
Dans un long post Facebook émouvant, il a écrit qu’il n’avait pas de mots pour décrire ce qui se passe.
Ce n’est pas grave. J’aurai toujours les mots pour parler pour lui.
Karim n’est pas mon associé. Il est mon frère.
Business News aura toujours les mots pour dénoncer l’injustice
Au-delà de notre relation si particulière, j’aurai toujours les mots pour dénoncer l’injustice et les victimes qu’elle frappe.
Business News aura toujours les mots pour dénoncer l’injustice qui le frappe, et qui frappe Mourad, Sonia, Borhen, Ridha, Jawhar, Néjib, Mustapha Kamel, Kamel, Abir, Khayam, Marouen, Ryadh et les dizaines d’autres prévenus et prisonniers politiques.
Quiconque subit une injustice aura droit à un mot, une phrase, un paragraphe, un article, un feuilleton dans Business News, car c’est là notre devoir, c’est là notre mission, c’est là le fondement même de notre ligne éditoriale.
Nous sommes là pour trouver des mots à la place de Karim et des autres. Nous sommes là pour dire non à l’injustice, et écrire un pan de l’histoire de la Tunisie.
Que ce régime le sache : c’est lui qui fait l’Histoire, certes, mais c’est nous qui l’écrivons.
Et notre encre est noire, bien noire.




Au lieu de s'atteler à la reconstruction du pays, il s'acharne à éliminer tous les rivaux potentiels, les voix dissidentes et les défenseurs de la liberté.
Je suis d'accord avec SP qui écrit plus haut qu'il faut résister , s'unir et dépasser notre peur car "Il est peu de monstre qui méritent la peur que nous en avons " (André Gide). Tôt ou tard ils finissent par tomber et souvent de manière violente. En tout cas ce régime est en train de faire tout ce qu'il faut pour en arriver là.
Et notre encre est noire, bien noire"
Certains finiront dans la poubelle de l'histoire. Je plains leur descendance qui héritera de cette image. Mais ces gens ne se gênent même plus, et ont perdu toute morale et toute dignité aussi. Mais, toute chose a une fin.
Ce qui est ahurissant, c'est de voir à quel point les leçons à tirer de l'expérience des régimes précédents n'ont pas été prises en compte par le pouvoir.
Dans une affaire aussi grave que celle qui a récemment secoué la scène politique et judiciaire tunisienne, une question demeure sans réponse : si le dossier est réellement sérieux, rigoureux et fondé sur des preuves solides, pourquoi le pouvoir a-t-il tout mis en '?uvre pour le maintenir dans l'ombre ?
Tout au long de l'instruction, les médias ont été interdits d'aborder le sujet. Pendant le procès, certains prévenus ont été empêchés d'y assister. Et surtout, le public tunisien, censé être le premier concerné, a été tenu à l'écart.
Aucune retransmission télévisée, aucune transparence sur le déroulé des audiences, aucun accès direct à ce que le régime prétend être la démonstration d'un complot majeur contre l'?tat.
Ce paradoxe soulève une interrogation fondamentale.
Lorsqu'un dossier est solide, lorsqu'il s'agit de prouver une tentative de déstabilisation par des 'terroristes'?' ou des 'traîtres'?', le réflexe d'un '?tat démocratique serait d'exposer les faits au grand jour. De montrer, de prouver, de convaincre.
Le peuple tunisien aurait dû être spectateur ' voire juge moral ' de cette affaire. Il aurait dû voir de ses propres yeux les preuves, entendre les accusations, évaluer la crédibilité des témoignages. Mais au lieu de cela, on lui a demandé de croire sur parole. D'accepter un récit sans pouvoir le confronter à la réalité.
Ce choix du huis clos et du silence institutionnel interroge.
Que cherche-t-on à protéger ? Une procédure judiciaire ? Ou un récit politique soigneusement construit ?
L'opacité n'est jamais anodine. Elle est souvent le symptôme d'un déséquilibre entre la version officielle et les faits. Un '?tat sûr de son bon droit n'a pas besoin de censurer pour convaincre. Il mise sur la lumière, pas sur l'ombre.
Et si, au fond, ce n'était pas la gravité du complot présumé qui inquiétait le régime, mais la faiblesse de son argumentation une fois confrontée au regard critique du public ?
Car toute vérité supporte l'épreuve de la transparence. Ce qui ne la supporte pas, c'est qu'il y a souvent autre chose à découvrir derrière.
Alors oui, j'attends qu'on m'explique.
Je suis prêt à écouter une réponse cohérente à cette question simple : pourquoi ce refus obstiné de la transparence, si tout est aussi limpide qu'on le prétend ?
Et si une telle réponse existe, je m'engage à me taire définitivement sur cette affaire.
Mais tant que le silence prévaut, je continuerai à poser la question.
Notre peuple n est pas guidé ni par la foi ni la justice .
Le capitalisme idiot le consumérisme l individualisme a pris dans notre peuple a tel point qu il est heureux tant qu il a du paim et qu il ne va pas en prison .
Si son pere sa mere son frere va en prison , va t il manifester en masse , que va t il faire ?
La vérité est simple , un peuple un village ...uni qui bloque une route parcequ un enfant a été renversé ou qu un mur qui tombe sur leurs enfant , a plus de courage et fait + peur au regime qu une elite bourgeoise naive et sans courage .
Ecrire , parler c est bien , agir c est mieux
Cela reste mon humble avis a chacun sa responsabilité


