Par Nizar Bahloul
Une victoire, une belle victoire. Dieu a fini par préserver Youssef Chahed de ses amis, mais il n’est pas sûr qu’il puisse maintenant s’occuper de ses ennemis. En dépit des apparences, la guerre qui l’oppose à Hafedh Caïd Essebsi n’est pas finie. Le seul capable de déclarer l’armistice s’appelle Béji Caïd Essebsi et ce dernier ne s’est pas encore décidé à lâcher son fils. Malgré l’humiliation de samedi dernier à l’assemblée, Hafedh n’a toujours pas abdiqué. C’est un habitué des humiliations et celle de samedi n’est qu’une humiliation supplémentaire parmi d’autres.
Le feuilleton dure depuis mai 2017 avec l’arrestation de Chafik Jarraya. Ce jour-là, Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nidaa Tounes et fils du président de la République, a juré d'avoir la peau du chef du gouvernement. Un an et demi plus tard, l’enfant gâté n’a toujours pas eu gain de cause.
Depuis janvier 2018, c’est le père qui est entré sur le terrain pour soutenir le fils. On n’arrivait pas à y croire, on ne voulait pas y croire, on refusait d’y croire ! Mais il fallait se rendre à l’évidence, Béji Caïd Essebsi est bel et bien entré sur le terrain pour déstabiliser le chef du gouvernement qu’il a lui-même nommé. L’accord de Carthage 1 a eu raison de son premier poulain Habib Essid, il pensait que l’accord de Carthage 2 allait avoir raison du second. Pour faire plaisir à son fils (ou plutôt à sa famille), Béji Caïd Essebsi n’a pas douté un instant de sa suprématie sur l’échiquier. Eh oui, la règle d’Einstein stipulant que « C'est de la folie de penser qu'en faisant tout le temps la même chose vous pouvez obtenir des résultats différents » supporte quelques exceptions et Youssef Chahed en est une !
Carthage 2 ayant échoué, Béji Caïd Essebsi a mis son aura et sa stature de président de la République sur la balance en essayant de séduire le peuple à travers la chaîne TV la plus regardée du pays et en sommant son « poulain » d’aller renouveler sa confiance devant des députés. La ficelle était trop grosse pour passer, cependant, le peuple a vomi les affaires de familles.
Il a ensuite convoqué les députés de son parti, puis les chefs de partis ou de blocs avec qui il pourrait trouver un terrain d’entente, tels Mustapha Ben Ahmed, Mohsen Marzouk ou Rached Ghannouchi. Ils l’ont tous envoyé balader ! L’ère de Jacques Chirac avec son « j’ordonne, il exécute » est révolue !
Béji Caïd Essebsi ne s’est pas douté que ses députés ne sont pas tous des moutons. Que parmi ces députés figurent des personnes comme Moncef Sellami ou Zohra Driss, capables de dire non, capables de dire « merde ! » au président de la République et à son fils.
Ce qui s’est passé samedi dernier, ce n’était pas une bataille entre Hafedh Caïd Essebsi et Youssef Chahed, c’était une bataille entre le président de la République élu, mais aux pouvoirs limités et un chef du gouvernement nommé, mais aux pouvoirs réels.
Ce régime politique hérité de la Constituante de la troïka a un grand avantage : il permet de bloquer toute tentative d’hégémonie au pouvoir, que ce soit celui du président de la République ou du chef du gouvernement. Ce qui s’est passé samedi est une excellente victoire de la démocratie. Que le président de la République et son fils reçoivent une telle claque, c’est une excellente chose pour la survie de cette démocratie naissante en Tunisie. Un président ne peut pas faire ce qu’il veut et c’est tant mieux, car c’est dans notre intérêt !
Sauf que ce régime politique a également ses travers, car le pays se trouve bloqué depuis des mois à cause de cette guéguerre à la tête de l’Etat. Au lieu de nous occuper de la crise du médicament, du rapport de la Colibe, de l’inflation, de la chute du dinar ou du terrorisme, nous voilà en train de nous occuper des caprices de Hafedh Caïd Essebsi ! Que de temps perdu au détriment de l’intérêt du pays ! Sous une dictature, le président aurait classé les priorités, il aurait décidé et on aurait exécuté. Un président fait ce qu’il veut et c’est tant mieux, car c’est dans notre intérêt !
Dilemme ! Affreux dilemme !
Jusqu’à nouvel ordre, et au vu de l’expérience des pays développés, il ne saurait y avoir de dilemme, cependant. Winston Churchill nous dit que « La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres ». Va donc pour la démocratie ! C’était notre décision formulée par notre constitution de 2014. Cette démocratie a ses exigences et ce qui s’est passé ces derniers mois a prouvé que Béji Caïd Essebsi ne les connait pas toutes. Disons plutôt qu’il n’est pas prêt à respecter toutes ses exigences.
Dans son discours de novembre 1947, là où il a prononcé cette célèbre phrase, Winston Churchill a dit : « Ce n'est pas le Parlement qui doit régner; c'est le peuple qui doit régner à travers le Parlement. [...] Beaucoup de formes de gouvernement ont été testées, et seront testées dans ce monde de péché et de malheur. Personne ne prétend que la démocratie est parfaite ou omnisciente. En effet, on a pu dire qu'elle était la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps; mais il existe le sentiment, largement partagé dans notre pays, que le peuple doit être souverain, souverain de façon continue, et que l'opinion publique, exprimée par tous les moyens constitutionnels, devrait façonner, guider et contrôler les actions de ministres qui en sont les serviteurs et non les maîtres ».
Ce qui s’est passé ces derniers mois était une application réelle par les Tunisiens de cette exigence démocratique que Hafedh Caïd Essebsi ignore et que Béji Caïd Essebsi feint d’ignorer.
La claque de samedi dernier et leur déculottée humiliante (fortement humiliante) avec ce changement de consigne de vote à la dernière minute, leur servira-t-elle de leçon ? Le doute est permis, car Hafedh Caïd Essebsi collectionne les déculottées sans n’en retenir aucune ! Il n’a pas pu s’imposer aux législatives de 2014, il a causé l’implosion de son parti, il n’a pas pu convaincre de placer ses amis au pouvoir, il n’a pas protégé son ami-financier de la prison, il a perdu les législatives partielles en Allemagne et il a eu des résultats médiocres aux Municipales de 2018, mais il n’a toujours pas compris qu’il n’est pas fait pour la politique et qu’il doit quitter la scène. Il est juste le fils à papa, il n’est pas le fils de son père. Il a sûrement plusieurs autres atouts, mais pas la politique.
Je suis donc persuadé que la claque du samedi ne servira pas de leçon à Hafedh Caïd Essebsi. Il est trop imbu de sa personne et un peu trop trompé par son entourage de conseillers intéressés pour comprendre. Mais qu’en est-il de son père ? A un an de la fin de son mandat, il voit son honneur souillé à cause de son fils, il est humilié par ses ennemis et par ses amis, que lui faut-il de plus pour « abdiquer » et laisser cette expérience démocratique naissante poursuivre son chemin ?
Considérant Hafedh comme immature, c’est à Béji Caïd Essebsi de rendre des comptes aux Tunisiens sur toutes ces crises que nous vivons depuis des mois.
Il est l’instigateur de Carthage 1 qui a fait sauter Habib Essid, mais c’est bien lui qui avait nommé Habib Essid. Il est l’instigateur de Carthage 2 qui a failli faire sauter Youssef Chahed, mais c’est bien lui qui a nommé Youssef Chahed. Son parti Nidaa Tounes a implosé et les anti-islamistes se trouvent totalement dispersés et divisés, mais c’est bien lui qui est parti de Nidaa vers Carthage sans préparer sa succession.
C’est bien beau que l’opinion publique et le parlement désignent périodiquement un bouc-émissaire pour symboliser l’échec. Ce bouc-émissaire peut s’appeler Hafedh Caïd Essebsi, Habib Essid, Youssef Chahed, Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk et Slim Azzabi, mais il faut bien se rendre à l’évidence à la fin et dire que le facteur commun et le premier responsable de tous ces échecs s’appelle Béji Caïd Essebsi !
La démocratie interdit que celui qui est responsable de tout ne soit redevable de rien !
Je figure parmi ceux qui ont soutenu et voté pour Béji Caïd Essebsi en 2014. Et si c’est à refaire, je referai la même chose. Nous sommes 1,7 million (55%) à avoir voté pour lui et nous n’avons pas envie d’être déçus.
Après l’humiliation du samedi, il lui reste encore seize mois pour retenir la leçon, rattraper toutes ses erreurs et marquer en lettres d’or son nom dans l’Histoire. Pour faire oublier son fils et préparer sa succession en s’abstenant de s’immiscer dans les affaires internes du parti et du gouvernement, comme l’impose la Constitution. Pour sauver son honneur, son nom, son patronyme et son image.
« La patrie doit rester au dessus des partis ». Son filleul Youssef Chahed a bien fait de lui rappeler cette phrase samedi, car cette belle parole de Béji Caïd Essebsi est restée une parole théorique sans acte réel !
Commentaires (24)
CommenterPAS OUBLIER QUE BCE AVAIT ACCEPTE D ETRE PLACE A LA PLACE DE MARZOUKI
Bon les tunisiens exagèrent dans tous les sens
Un titre qui en dit long, mais...
HCE
Mais qui est ce type? Quel mandat électif détient-il? De quel droit peut-il parler au nom de Nidaa Tounes? A t-il était élu par des adhérents du parti? Ce Monsieur, qui n'a jamais été élu nul part (et qui ne le sera jamais) prétend nous expliquer le fonctionnement de la démocratie? Non mais le gag...
Mugabe passe le Bonjour à nos vieux!
https://www.youtube.com/watch?v=cipP8WELnuE
pertinence
Dridi J
Non ! Aucun restige n'est valable et appliqué en présence des arnaqueurs nahdha.
Redevable de tout !
Beji ne s'avouera jamais vaincu et Y chahed doit avancer
Hélas il a encore une fois mal négocié le tournant de l'histoire et se voit infligé une défaite cuisante difficile
à oublier pour un vieux routard de la politique.
Mais connaissant son expériene, il ne s'avouera jamais vaincu et lancera ses inconditionnels et les opportunistes autour de lui pour torpiller Youssef Chahed, je pense à la campagne de récupération de R.Belhaj, M.Marzouk et consors qui ne cessent de guetter les occasions pour revenir sur le devant de la scène politique.
Youssef Chahed, n'a plus de choix que d'avancer droit , en méprisant le politiquement correct de BCE qui l'accablait jusque là et surtout d'annoncer sa candidatutre aux élèctions présidentielles de 2019 pour couper court à toute tentative de négociation future.
L'avenir est pour lui non pas qu'il soit le meilleur mais parce qu'il est seul dans la course.
L'homme providentiel existe bien
Il ne faut jamais, et à aucun moment, oublier ce spectacle.
La Tunisie en a connu des tas au cours de sa longue histoire. Ils ont coïncidé avec ses périodes de décadence.
S'il n'y avait pas BCE en 2014, le même chaos aurait prévalu. Nahdha (entourée de ses vassaux bien sûr) serait seule au pouvoir.
BCE a été l'homme providentiel. Il ne faut jamais l'oublier. Pour mesurer l'importance du grand chef charismatique, rassembleur de toutes les troupes et même au-delà.
Aujourd'hui sur la scène politique progressiste, il n'y a pas une personne du calibre de BCE. On en trouve peut-être chez les anciens, comme Taher Belkhouja.
Chahed pourrait faire l'affaire. Mais attention: il est en train de se faire estampiller nahdha.
Cependant Béji ne doit pas détruire d'une main ce qu'il a bâti de l'autre. Sur un simple coup de coeur. Le patriotisme exige des sacrifices. Nul autre que lui est mieux placé pour le savoir.
Il ne doit pas échapper à l'homme d'Etat BCE qu'il ne doit rien négliger pour permettre à son parti d'avancer, au lieu de le regarder péricliter, entraînant toute la Tunisie dans sa chute.