Tunisie - Le 15 octobre 1963, le dernier soldat français quittait Bizerte
Ce jeudi 15 octobre marquera les 52 ans de l’indépendance totale de la Tunisie. Ce que nous célébrons aujourd’hui comme étant la fête de l’Evacuation, c’est le jour où le dernier soldat étranger quitta le sol tunisien et la base de Bizerte, l’un des derniers bastions du colonisateur français. Il s’agit également de se rappeler des faits ayant mené à cette évacuation, en l’occurrence, la Crise de Bizerte. Retour sur un événement majeur de l’Histoire contemporaine tunisienne.
En 1956, l’indépendance de la Tunisie est proclamée. Cela signifiait que la presque totalité du territoire de l’ancien protectorat tunisien était restitué aux nouvelles autorités tunisiennes. Toutefois, la France avait conservé son autorité militaire au niveau de deux zones, notamment la base militaire navale de Bizerte, et ce conformément aux termes de la convention d’autonomie interne en date du 3 juin 1955. Habib Bourguiba, deux jours après la proclamation de l’indépendance, fait part de la prochaine étape, qui n’est autre que l’évacuation de toutes les forces françaises de la Tunisie, y compris de Bizerte, et ce après une période transitoire. En interne, les rivaux de Bourguiba ont du mal à avaler la couleuvre de cette indépendance « partielle ».
Les Français ne voulaient pas céder la base de Bizerte qui constituait un intérêt géostratégique de taille dans la région. En effet, le port militaire était considéré comme un point stratégique pour l’armée française, étant leur unique base sur la rive Sud de la Méditerranée, outre celle de l’Algérie. Une Algérie en pleine guerre de libération.
Ainsi, depuis le retrait des Français du territoire tunisien, Habib Bourguiba n’avait de cesse de réclamer la décolonisation totale par l’évacuation de la base navale, entendant obliger le colonisateur de rendre Bizerte et de faire taire les revendications nationalistes. Février 1961, une rencontre a lieu au château de Rambouillet, non loin de Paris, entre Bourguiba et De Gaulle, afin de négocier le retrait de Bizerte. On dit que la rencontre a tourné au dialogue des sourds et que le président tunisien en est sorti, désappointé par l’attitude du Général De Gaulle. Un De Gaulle qui n’entendait se laisser rien dicter. Cela laissait présager les prémices d’un affrontement devenu inévitable.

L’annonce faite aux autorités tunisiennes, en mai 1961, par l’amiral qui dirigeait la base de Bizerte concernant le lancement de travaux d’agrandissement, fait monter la tension et met Bourguiba hors de lui. On déclare que les travaux en cours violent le statut quo et on considère que cet acte exclut toute idée de départ. Il n’en fallait pas moins pour que le jeune Etat tunisien se lance sur le terrain de la bataille politique et, si nécessaire, armée. Fort du soutien de toutes les parties confondues et de la population, Bourguiba se prépare à l’affrontement final et joue le tout pour le tout. Des tranchées sont creusées autour de la base militaire et des milliers de citoyens sont enrôlés par la jeunesse du Néo-Destour. Des volontaires prêts à se battre pour la libération de Bizerte et l’évacuation par la force de la base navale militaire.

Les hostilités sont déclenchées le 19 juillet 1961, par l’armée tunisienne, et se prolongent jusqu’au matin du 23 juillet, à la suite d’un cessez-le-feu abouti après de multiples négociations, notamment à travers l’ONU. Les forces en présence étaient très déséquilibrées. Le commandement français reçoit l’ordre de frapper vite et fort. Face à face : un corps d’élite français, soutenu par des avions, de l’artillerie lourde, des blindés, et la jeune armée tunisienne, courageuse certes, mais mal équipée et fort mal expérimentée, en plus des volontaires qui se sont avérés plus gênants qu’utiles. La guerre était inégale, mais la résistance était acharnée. Du coté tunisien les pertes sont lourdes, on dénombre officiellement plus de 600 morts dont plus de la moitié sont des civils. Les historiens parlent de milliers de morts et blessés. Du coté français, près de 30 morts et une centaine de blessés.
Le 20 juillet, Bourguiba avait saisi le Conseil de sécurité de l'ONU et annonce la rupture des relations diplomatiques avec la France. Les Etats membres du Conseil, qui se réunit le 21 et 22 juillet, votent pour le retrait des troupes françaises et le lancement des négociations. Le 15 janvier 1962, les négociations sur le sort de Bizerte sont entamées à Paris. Quelques mois après, elles aboutissent à la reconnaissance de la souveraineté de la Tunisie sur l’intégralité de son territoire.
Le 15 octobre 1963, sept ans après l'indépendance de la Tunisie et deux ans après la bataille de Bizerte, les bâtiments de la marine française quittent Bizerte. Une cérémonie est organisée, au cours de laquelle un officier décroche le drapeau tricolore. L’évacuation du dernier soldat français est effective mettant fin à 82 ans de présence militaire à Bizerte. Des Tunisiens envahissent le port et entonnent l’hymne national et des « Vive Bourguiba ! ». Bahi Ladgham hisse le drapeau tunisien sur la base, puis annonce solennellement, dans une communication téléphonique avec à Habib Bourguiba : « Mission accomplie ».
Les lourdes pertes subies par la Tunisie ont valu à Bourguiba de vives critiques par certains, l’accusant d’avoir envoyé à la mort inéluctable des centaines de Tunisiens, et ce pour satisfaire son égo. Mais pour la majorité du peuple cette évacuation a été un acte de bravoure et de patriotisme incontestable. L’évacuation sera fêtée le 15 décembre 1963, à Bizerte, où plus de 300.000 personnes se sont rassemblées. La postérité retiendra l'image de Bourguiba triomphant au milieu de deux figures du nationalisme arabe, Gamal Abdel Nasser et Ahmed Ben Bella.

Ikhlas Latif