Par Sofiene Ben Hamida
Vaille que vaille, la dernière intervention télévisée du président de la République, Béji Caïd Essebsi a été le point saillant de l’actualité politique de la semaine. Les appréciations, les positions et les avis concernant le discours présidentiel ont été nombreux et contradictoires. Mais tous se sont mis d’accord pour occulter, sinon minimiser l’une des annonces phares de ce discours : la fin de l’alliance entre le président de la République et le parti islamiste Ennahdha. Pourtant, c’est cette alliance qui a constitué le socle réel de l’édifice politique dans le pays, en catimini depuis la rencontre de Paris en août 2013, puis ouvertement après les élections législatives et présidentielle de 2014.
Il aurait été normal qu’une telle annonce provoque des réactions en cascade en prévision de son incidence sur la situation politique dans le pays. Il n’en fut rien. Les acteurs politiques se sont murés dans un déni qui confirme leur incapacité à réagir, leur incompétence tout court. Molière disait « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées ». Par son attitude, notre classe politique ne tente-t-elle pas d’écarter quelques coupables pensées concernant cette alliance Nidaa/Ennahdha à laquelle elle doit beaucoup, jusqu’à sa propre existence pour une frange non négligente d’entre-elle?
La réaction du parti islamiste est compréhensible et attendue. Dans un premier temps, Ennahdha a multiplié les déclarations pour nier carrément la rupture de l’alliance avec Béji Caïd Essebsi. Mais comme cela n’a pas été suffisant, elle a cherché à détourner l’opinion de cette question de fond pour créer une nouvelle affaire concernant « l’autoritarisme » du chef de gouvernement Youssef Chahed.
C’est dans ce cadre qu’il faudrait comprendre les dernières interventions de Lotfi Zitoun et Said Ferjani, deux lieutenants fidèles du président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. En effet, quitte à multiplier les écrans de fumée et à créer des crises collatérales, le parti islamiste a deux raisons essentielles au moins pour chercher à contourner au plus vite le guet-apens tendu par Béji Caïd Essebsi.
D’une part, les islamistes savent que d’une manière stratégique, cette alliance avec le chef de l’Etat est leur lettre de recommandation pour la communauté internationale. Sans cette caution du président de la République, ils redeviennent un groupe islamiste apparenté aux Frères musulmans et donc peu fréquentables. D’autre part, en avouant cette rupture, les islamistes doivent en donner les raisons, qui sont, elles moins avouables puisque leur chef avait exigé pour accorder son soutien au président de la République contre le chef du gouvernement, l’appel à des élections prématurées. Cette condition, refusée catégoriquement par Béji Caïd Essebsi, dit long sur les visées hégémoniques du parti islamiste.
Par contre, ce qui est difficilement compréhensible, c’est l’attitude des franges dites modernistes dans le pays. Même au sein de Nidaa, c’est à peine s’ils ont pris acte de cette rupture annoncée par le fondateur de leur parti. Il faut avouer que ceux qui sont restés dans la direction de Nidaa sont pour l’essentiel ceux qui ont défendu le rapprochement avec les islamistes, cherché à trouver une filiation commune avec eux, ou de simples fonctionnaires, pour ne pas dire des mercenaires, toujours prêts à délivrer des positions à la carte.
Les autres transfuges de Nidaa semblent toujours brouillés par la manœuvre du président de la République. Quoiqu’ils disent, ils ont toujours expliqué leur départ de Nidaa par leur refus de l’alliance contre nature avec les islamistes. Quoiqu’ils disent encore, ils se retrouvent aujourd’hui à soutenir le chef du gouvernement dont les seuls alliés sont ces mêmes islamistes, plus hégémoniques que jamais. Cela devrait causer des insomnies et des maux de tête pour les plus intègres d’entre eux. Pour les autres, ils peuvent toujours rabâcher l’alibi, plaidable par ailleurs, de l’incompétence du fils du président pour mieux masquer leurs propres ambitions.
Même l’opposition et surtout la gauche qui a toujours décrié cette alliance entre Nidaa et le parti Ennahdha n’a pas souhaité s’exprimer clairement sur cette rupture. Nul n’aura été surpris si leurs leaders avaient applaudi l’annonce de la rupture. Mais c’est trop leur demander, eux qui se complaisent plus que jamais dans le niet systématique apposé à tout ce qui vient de l’autre et refusent de quitter leur zone de confort quitte à se couper encore plus de la réalité du peuple qu’ils prétendent défendre.
Il est évident que la rupture avec les islamistes annoncée par Béji Caïd Essebsi est une manœuvre qui sert les desseins du chef de l’Etat. Il est clair aussi que ses effets sur la situation politique dans le pays sont certains. L’attitude des différents acteurs politiques face à la gravité de cette situation est déplorable, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la mesure où la convergence des intérêts veut occulter les conséquences de cette rupture qui pourraient être graves, pour ne retenir dans cette annonce qu’une embrouille passagère entre deux vieux renards de la politique. Cela pourrait être vrai. Mais dans le cas contraire, leur attitude n’aura rien à envier à celle de l’autruche qui, en enfonçant sa tête dans le sable, expose encore plus au danger les autres parties de son corps, même les plus fragiles.


Commentaires (7)
CommenterN'est-ce pas qu'il y a revirement dans la question libyenne ?
c'est un article qui me fait rire hihi!
on ne doit rien attendre de ces gens, mais il y a un vide qu'il faut combler jusqu'a ce que la jeunesse prendra la main.
Merci
Bien lire, TOUT comprendre, et laisser dire !
Rebelote
Entre tant Bajbouj reuninira son parti Nida Tounes pour gagner les élections avec la voix des femmes et Rebelote mais cette fois ci sans les islamistes.
Le divorce chez les seniors et cheikhs...
Enfin!
Et même davantage, car comme le dit M.Hamida, "les islamistes savent que... cette alliance avec le chef de l'Etat est leur lettre de recommandation pour la communauté internationale. Sans cette caution du président de la République, ils redeviennent un groupe islamiste apparenté aux Frères musulmans et donc peu fréquentables."
C'est la première fois que je le vois écrit, merci! Car cette rupture pourrait, si elle se confirme dans les actes, conforter l'attitude des bailleurs de fonds envers le pays. Prêter, donner, à une Tunisie sur le chemin de la démocratie, oui. A une dictature d'obédience frères et salafistes, non.
Ensuite c'est au peuple de choisir, clairement et en connaissance de cause, enfin encore une fois!
Qui sait, BCE finira peut être à éviter la charia à son pays?