
Les jours de vacance de l’Aïd Esseghir ont apporté une nouvelle importante au niveau régional. Après des mois d’escalade et de provocations diverses, l’Algérie et la France ont décidé de renouer leur relation bilatérale. C’est lors d’un échange téléphonique, le jour de l’Aïd, que les deux chefs d’État, Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, ont acté cette décision.
Dans un communiqué commun, « ils ont convenu que la force des liens – en particulier humains – unissant la France et l’Algérie, les intérêts stratégiques et de sécurité respectifs des deux pays, les défis et crises auxquels l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique étaient confrontées exigeaient le retour à ce dialogue d’égal à égal », insistant sur « l’ambition commune d’une relation ambitieuse, sereine et respectueuse des intérêts de chacun ». Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, doit se rendre à Alger le 6 avril pour concrétiser la décision prise entre les deux pays.
L’Algérie et la France avancent, la Tunisie recule
Le pragmatisme et le réalisme qui caractérisent la gestion des intérêts des nations ont donc imposé à l’Algérie et à la France de mettre fin à leur brouille et de trouver un moyen de se réconcilier. Il est clair que le fait qu’il existe des menaces mondiales de grande envergure sur la région et sur le continent a fortement participé à cette prise de décision. Quand on est menacé par des géants à l’appétit insatiable, la moindre des choses est de travailler à une unité interne et de resserrer les liens avec ses proches alliés au niveau international.
Le monde change à une vitesse vertigineuse et les États doivent s’y adapter, quitte à abandonner leurs vieux bastions idéologiques. Il en va de leur survie. Cette logique ne semble pas s’appliquer à la Tunisie qui, de plus en plus, vit en marge de cette dynamique.
La seule directive récurrente du président de la République, Kaïs Saïed, lors de ses rencontres avec le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Ali Nafti, est de rester en conformité avec les constantes de la diplomatie tunisienne. Érigées en dogme intouchable, celles-ci persistent alors que le monde entier révise ses classiques.
L'aveuglement tunisien face aux réalités du monde
Tandis que toutes les nations cherchent à resserrer les liens, à construire des alliances et à renforcer des coalitions, la Tunisie s’offre le luxe de se couper de sa profondeur stratégique : l’Afrique. Le gouvernement a ainsi décidé de ne plus permettre qu’on porte plainte contre l’État tunisien devant la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. L’opinion publique l’a appris par une fuite, et une timide explication du ministère des Affaires étrangères a été discrètement diffusée dans la soirée, au moment où les Tunisiens attendaient l’annonce de la date de l’Aïd par le Mufti de la République. Si l’objectif était de minimiser l’impact de cette décision, difficile de mieux s’y prendre.
Mais c’est surtout au niveau interne que la situation se dégrade. Plusieurs observateurs avaient nourri un espoir, lorsqu’en évoquant les défis externes et les bouleversements internationaux, Kaïs Saïed avait souligné la nécessité de bâtir une unité nationale. Une illusion vite dissipée : les prisons ne désemplissent pas.
Fidèle à ses habitudes, le chef de l’État s’attelle à diviser la population tunisienne entre nantis et pauvres, patriotes et inféodés, sincères et traîtres. Dernière illustration en date : son discours du 20 mars lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale. Il a établi un lien entre les suicides et les perturbations dans le pays avec le début du procès des accusés de complot contre l’État. Ces derniers réclament depuis des mois que leur procès soit public et même retransmis sur la télévision nationale.
Réconciliation en haut, répression en bas
Kaïs Saïed s’accroche ainsi au mythe selon lequel des forces obscures s’en prennent à son régime et à la Tunisie. Des politiciens sont maintenus en prison depuis plus de deux ans sans réelle accusation, leur seul crime étant d’avoir tenu des réunions et échangé des messages. Même l’émission diffusée sur une chaîne privée, censée convaincre de la solidité des accusations, a fait un flop.
Des journalistes, des hommes d’affaires et des activistes de la société civile croupissent derrière les barreaux pour des motifs pour le moins discutables. Dans le cas de Sherifa Riahi et d’autres, ils restent en prison malgré l’abandon des charges par le juge lui-même. L’homme d’affaires Ali Ghedamsi est décédé en détention. Pendant ce temps, des candidats à la présidentielle comme Ayachi Zammel et Lotfi Mraihi sont eux aussi privés de liberté.
Parallèlement, malgré l’apport de pseudo-experts décriés par leur propre profession, la situation économique ne s’améliore pas et le train des réformes, tant souhaité par le président, demeure à l’arrêt.
Des nations à l’héritage lourd et à l’actualité brûlante, comme l’Algérie et la France, ont trouvé les ressources nécessaires pour tourner la page et se projeter vers l’avenir. Il faut de la sagesse et de la clairvoyance pour comprendre qu’il est vain de s’accrocher aux rancœurs du passé.
Mais en Tunisie, il semble que nous ne soyons pas encore mûrs pour cette prise de conscience.

