
Le Doyen de l’Ordre national des avocats de Tunisie (ONAT) a adressé, vendredi 9 mai 2025, une lettre à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à la suite de la décision de cette dernière de transmettre le projet de loi organique relatif à l’organisation de la profession des notaires à la Commission de la législation générale. Dans cette lettre, le Conseil de l’Ordre des avocats a exprimé un refus catégorique du texte en l’état, qu’il juge dangereux et profondément contraire aux principes de la République tunisienne.
Le Conseil affirme que ce projet porte une atteinte juridique grave aux fondements républicains et aux droits constitutionnels. Selon lui, il met en péril la paix sociale et compromet la sécurité nationale, à la fois sur les plans social et économique. Les commissions du ministère de la Justice avaient d’ailleurs rejeté ce texte, arguant qu’il répond à des revendications sectorielles excessives, nuisibles tant aux citoyens qu’à l’intérêt général, en plus d’entraver le cadre législatif existant et de bafouer des droits légalement acquis.
En se penchant sur l’esprit même du projet, le Conseil le dénonce comme étant l’expression d’un corporatisme exacerbé. Il accuse certains de ceux qui l'ont rédigé de poursuivre des visées opportunistes et d’œuvrer pour des intérêts particuliers au détriment des principes fondamentaux. Le citoyen tunisien, et plus spécifiquement la femme tunisienne, se retrouve ainsi lésé. Le texte, selon l’Ordre, usurpe des prérogatives propres à plusieurs professions libérales, notamment celle de l’avocat, et va jusqu’à envisager leur disparition pure et simple.
Ce n’est pas tout : en assimilant certaines professions à des agents d’information pour la police, notamment en ce qui concerne les contrats de location ou l’identification des locataires, le projet menace directement la vie privée des citoyens. Les professions concernées cesseraient d’être perçues comme indépendantes ou encadrées par le droit public, pour devenir des relais d’un contrôle sécuritaire.
La famille tunisienne n’est pas épargnée non plus. Le projet s’attaque aux acquis obtenus de longue lutte, comme le droit au divorce judiciaire, note l'Ordre. Ce droit, rappelle le Conseil, garantit la protection de la femme, de l’enfant et de la cellule familiale dans son ensemble. Or, ce texte remet en cause le rôle du juge, à qui la loi confie l’évaluation scientifique des situations familiales et la prise de décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant, tout en assurant les droits de la défense.
Le Conseil souligne aussi une atteinte directe à la justice. Il affirme que le projet piétine les fondements mêmes de l’État de droit, notamment le principe du contradictoire et l’accès au juge. En autorisant l’exécution forcée contre un débiteur sans qu’un jugement ou un titre judiciaire ne l’autorise, le projet ouvre, selon lui, la voie à l’arbitraire et à la vengeance privée, sapant ainsi la paix sociale. Le texte attribue à des actes sous seing privé une force exécutoire, ce qui, de l’avis des avocats, est d’une gravité extrême.
À travers cette réforme, c’est aussi l’ensemble des compétences de l’avocat qui se voit accaparé, en particulier en matière de rédaction contractuelle. Le Conseil y voit une suppression pure et simple du droit de tout citoyen à recourir à un avocat et à assurer sa défense dans le cadre du contradictoire.
La dimension économique n’est pas oubliée dans les griefs énumérés. Le projet, selon le Conseil, représente un danger pour la sécurité économique du pays. Il évoque notamment les contrats nationaux, internationaux et électroniques, domaines où les enjeux exigent un haut niveau de spécialisation et une formation continue. Ce sont ces compétences, rappelle-t-il, qui garantissent le respect du droit et la protection des parties.
Le Conseil s’indigne également de ce qu’il qualifie de mépris flagrant à l’égard de la profession d’avocat. Il estime que ce projet tente de monopoliser certaines attributions et empêche les citoyens de défendre leurs droits, portant ainsi atteinte au principe d’égalité devant la justice. Il juge que le texte érige la fonction notariale en un pouvoir autonome, échappant à tout contrôle, et lui attribue des compétences contraires à la Constitution et à l’évolution juridique tunisienne, notamment en ce qui concerne la répartition des rôles entre notaires et avocats.
Réaffirmant sa position, le Conseil martèle que son rejet de ce projet repose sur des considérations d’intérêt national. Il dit vouloir défendre la paix sociale, préserver l’économie du pays et protéger une profession qui emploie chaque année de nombreux diplômés universitaires. Il rappelle que plus de 9160 avocats exercent actuellement, dont une majorité de jeunes en attente de débouchés, de spécialisation et de perspectives concrètes pour exercer leur métier dignement, loin de tout esprit de cloisonnement ou de corporatisme.
Enfin, le Conseil de l’Ordre conclut en avertissant qu’il est prêt à engager toutes les formes de lutte légitime, aussi fermes que nécessaires, pour s’opposer à un projet qu’il considère comme injuste, dangereux et fondamentalement opposé aux valeurs nationales. Il assure qu’il n’hésitera pas à entreprendre des actions militantes et protestataires pour défendre la profession d’avocat, qu’il décrit comme historiquement ancrée dans les combats pour les droits, les libertés et l’indépendance du pays.
M.B.Z