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"Les dérives contraires en Tunisie. Autour de Carl Schmitt", le nouvel ouvrage de Hatem M’rad
21/07/2022 | 15:00
4 min

 

 

          Par Wahid Ferchichi*

*Professeur de droit public


A la veille du référendum portant sur un projet de constitution proposé par le Président Kais Saeïd, j’ai relu avec grand intérêt le livre de Hatem M’RAD « Les dérives contraires en Tunisie, Autour de Carl Schmitt ». Pourquoi Carl Schmitt et quel rapport avec l’état des lieux d’une Tunisie secouée depuis 2011 par des événements et crises politiques, économiques et sociales menaçant sa stabilité !

 

Carl Schmitt, le fascinant, le controversé !

Schmitt, l’adepte de l’autorité, de la révolution conservatrice, de la dictature plébiscitaire, un doctrinaire de l’Etat, un philosophe de l’inimité est un « penseur et un juriste pour temps de crise ». Sa théorie de « la décision » ayant irrigué l’ensemble de son œuvre, a intéressé l’auteur bien avant les « évènements du 25 juillet 2021 » et l’a re-intéressé davantage à partir de cette date. En effet, pour Schmitt « la décision est l’essence du politique. Son absence est source de difficultés et de tragédies politiques ».

Le parlementarisme dénoncé par Schmitt pour son indécision flagrante, représentait  peu la société en profondeur en dépit de l’urne ! Le philosophe proposait de lui substituer un système présidentiel plus radical, pour que le pluralisme discutant ne puisse pas désintégrer l’Etat. La véritable démocratie est celle qui s’assure de l’homogénéité du peuple ! Cette homogénéité favorise la décision dans l’esprit de Schmitt. La solution miracle de Schmitt contre le délabrement étatique, politique et social consiste dans l’établissement de la dictature, qu’il a trouvée tantôt dans l’institution du Chef plébiscité romain, tantôt dans l’ordre hobbésien, tantôt dans le concept d’autoritas à travers le Füherprinzip.  

Ces idées intrigantes ont mené Schmitt à intégrer le mouvement national-socialiste en 1933 une courte adhésion (1933- 1936), mais qui n’a pu être excusée pour le juriste et le brillant philosophe qu’il était, ni oubliée par l’écoulement du temps !

Pourquoi Schmitt ? Comment lire la décennie écoulée et les évènements post 25 juillet 2021 sous l’angle de la philosophie schmittienne ?  

 

Une évolution de la transition tunisienne qui plaira à Schmitt !

Hatem M’rad ne prétend pas dans son livre, commenter la philosophie politique de Carl Schmitt dans sa globalité, mais en quoi la théorie de la décision pourrait être utile, même dans ses excès, dans la déconstruction de certains aspects, eux-mêmes excessifs, de la transition et de la démocratie tunisienne post-révolutionnaire ! 

Observant et analysant la transition en Tunisie dès janvier 2011, l’auteur à travers cet ouvrage, s’est chargé d’observer comment la théorie de la décision développée par Schmitt, peut s’insérer dans une autre pratique, celle de la transition tunisienne, marquée par une indécision aussi éclatante que symptomatique ! 

En effet, cette transition et selon M’rad passe d’une sous-autorité marquant la période 2011-2021, à une phase de sur-autorité à partir du 25 juillet 2021 !

La transition en Tunisie est marquée (a été marquée jusqu’au 25 juillet 2021) par le spectacle ininterrompu de l’indécision politique, des dérives parlementaires, de la partitocratie, de la faillite économique, de la corruption, des réseaux parallèles, ce qui a fini par corrompre les bases de la nouvelle démocratie !  Une situation qui faisait dire à Schmitt dans le cadre de la République de Weimar (1918-33), et en vertu de la théorie de la décision, que c’est au Chef politique de fonder le droit. Ce dernier devient un ordre et non pas un processus normatif ! Solution Schmittienne : établir une dictature !

La situation a poussé un très grand nombre de tunisien.ne.s à réclamer avec insistance le recours à un seul décideur, à un chef qui puisse avoir le dernier mot contre le chaos, les dérives des partis, les lobbies, la corruption et l’inapplication des règles…

Toutefois, et selon Hatem M’rad, ce n’est pas une raison d’en rajouter et de sortir dangereusement des limites du cadre légal, en instaurant soudainement, à la manière de Kais Saïed, un état d’exception annoncé le 25 juillet 2021 sur la base de l’article 80 de la constitution, dont les contours généraux véhiculent, outre une rupture dangereuse et non négociable du système, des éléments dictatoriaux évidents ! La conjoncture selon Hatem M’rad, n’invite pas à une telle radicalité, la Tunisie n’est l’objet ni d’une guerre, ni d’une agression internationale, ni d’une guerre civile. Des réformes fondamentales, sous initiative présidentielle, auraient suffi, d’autant plus que les islamistes sont en voie de décomposition. Ainsi, le mal institutionnel, l’instabilité politique, et les crises d’ordre constitutionnel sont remédiables par le dialogue, le consensus profond et un décisionnisme ciblé et proportionné.

 

La réflexion menée par Hatem M’rad autour de la transition tunisienne et Carl Schmitt est très utile pour comprendre une réalité et une évolution très complexes de la situation politique en Tunisie et notamment à la veille d’un 25 juillet 2022 !

Un ouvrage à lire impérativement !

 

 

Les dérives contraires en Tunisie. Autour de Carl Schmitt

De Hatem M’rad, chez Cérès Editions 2022, 217 p.

21/07/2022 | 15:00
4 min
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Commentaires
observator
Ni le même peuple, ni le même contexte ni la même époque
a posté le 22-07-2022 à 10:36
C. Schmitt ( 1888-1985 ) a vécu la période des deux guerres mondiales où l'Allemagne a joué un rôle essentiel. Juste après Bismarck.
Grande puissance économique et militaire donc '?tat souverain .
La Tunisie est un petit '?tat sous-developpé dont l'existence dépend du bon vouloir des grandes puissances donc sans souveraineté à une époque qui est la notre.

Je pense que tenter de faire un lien entre la doctrine du juriste et philosophe allemand et le contexte tunisien actuel n'a aucun intérêt.
Tu n'es pas maître de ton destin alors cela ne sert à rien de fantasmer aujourdhui sur C. Schmitt.
Il faut déjà faire un grand de travail de fond concernant la société tunisienne d'abord.
On ne peut pas comparer le peuple allemand de l'époque du moins avec le peuple Tunisien d' aujourdhui. L'écart est énorme sur tous les plans.
Bon le fantasme est permis.
Houcine
De la poésie.
a posté le 22-07-2022 à 10:25
Je n'entrerai pas dans votre c'?ur pour limiter sa mémoire.
Je ne retiendrai pas votre bouche pour l'empêcher de s'entrouvrir sur le bleu de l'air et la soif de partir. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable.
Offrande faite aux dieux de l'amour, de la poésie, de la culture.
Carl Schmitt aurait apprécié ces lignes écrites des mains d'un homme, "un passant considérable", qui savait l'urgence, la nécessité pour l'homme de décider et à ce titre écrivit quelques poésies méditatives.
Je n'en dirai pas plus par générosité.
Ce mot n'est pas une grossièreté, ne vous y trompez-pas.