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Le régime pétrolier en Tunisie … en mode simple et bref
03/09/2018 | 20:42
7 min
Le régime pétrolier en Tunisie … en mode simple et bref

Par Mourad Abdelmoula*

 

L’actualité brulante de la rentrée a entraîné les Tunisiens dans une tourmente celle du secteur pétrolier, rappelant combien ce domaine demeure assez complexe, aussi bien du point de vue juridique, technique que fiscal.

Il est vrai que peu de secteurs peuvent entraîner des conséquences aussi brutales qu’inattendues comme celui ayant coûté la tête au ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables (ministère supprimé depuis), au PDG de l’ETAP (Entreprise tunisienne des Activités pétrolières), au secrétaire d’Etat aux Mines et au DG de la DGE (Direction générale d’énergie).

 

Pour déblayer un tant soit peu les méandres d’un tel secteur, il est utile de comprendre le process et les dispositions principales qui s’y appliquent.

A ce jour, les sociétés pétrolières opérant en Tunisie sont notamment régies soit par le Décret-loi
n° 85-9 soit par le Code des hydrocarbures « CH » (entré en vigueur depuis l’an 2000). Ceci, en plus des dispositions particulières insérées dans les conventions signées entre l’investisseur et l’Etat.  

 

Pour ne pas compliquer la lecture et éviter des explications juridiques fastidieuses, on va se concentrer sur le parcours d’un investisseur qui vient investir en ce jour dans le pétrole et qui sera, de facto, soumis aux dispositions du CH.

Aussi, et afin de ne pas éparpiller l’information, nous allons exclure l’option de Contrat de partage de production (formule où l’ETAP demeure le seul et unique titulaire du permis et laisse à l’investisseur la responsabilité de gérer et financer la recherche).

 

Ci-après les principales étapes à accomplir et les dispositions, sans être exhaustives, qui s’y appliquent.

 

Etape 1: le Permis de recherche

A ce stade, l’investisseur (local ou étranger) va procéder à l’étude du sous-sol de la zone convoitée. Celle-ci peut être sise sur la terre ferme (permis on-shore) ou sur les eaux maritimes (permis off-shore).

L’investisseur ou titulaire du permis, va se baser sur les études réalisées par des investisseurs précédents (accessibles à la ‘Data room’ auprès de l’ETAP) et/ou va commander des études sismiques auprès d’une société spécialisée en la matière. C’est une phase très coûteuse puisqu’une campagne sismique peut durer de 2 à 6 mois et mobiliser des moyens considérables, aussi bien matériels qu’humains (jusqu’à 300 personnes). Telle technique, via notamment le recueil d’ondes recueillies suite à la détonation de charges explosives ou par camions-vibrateurs, va aboutir à des graphiques en 3D ou 4D et dont l’analyse complexe par des moyens informatiques pointus va permettre de prendre une décision.

Malgré l’évolution technologique, les campagnes sismiques ne permettent jamais de se prononcer à l’avance sur l’existence de réserves pétrolières. Toutefois, elles permettent d’exclure des zones où les chances de découverte de pétrole sont très réduites.

A ce stade, l’investisseur peut décider d’abandonner (et assumer les dépenses, pouvant parfois atteindre des dizaines de millions de dollars, à ses seuls dépens) ou de continuer l’aventure et passer à l’étape suivante. Toutefois, il doit dans les deux cas respecter ses engagements initiaux.

Il est à noter que le permis de recherche est octroyé par le ministre d’Energie (et dorénavant celui de l’Industrie) par publication d’Arrêté après concertation et avis de la DGE et du Comité consultatif d’Hydrocarbures.

 

Etape 2: le Permis d’exploration.

Une fois la recherche achevée, le titulaire va initier la phase de prospection par le biais de perforation du sol aux fins de découverte physique du pétrole (ou de gaz).

La Tunisie ne se trouvant pas sur un « gisement immense », contrairement à ce qui est évoqué par certains, il est rare qu’une découverte jaillisse du premier coup et de ce fait il faudrait plusieurs tentatives pour trouver du pétrole en quantité commercialisable.

Telle phase va entraîner des dépenses significatives et la nature du sol et la profondeur atteinte peuvent souvent compliquer les conditions de forage et il n’est pas rare, par exemple, qu’une tête de forage diamantée d’une valeur 300.000 USD (soit, au taux de change actuel de 2,7 l’équivalent de 830.000 DT) soit perdue dans la boue à quelques 2500 m de profondeur.

A ce stade, la quantité de pétrole extraite peut être faible et de ce fait ne sera pas suffisamment rentable, pour couvrir les dépenses et dégager une marge opérationnelle, et par conséquent il y’aura abandon de l’investissement. Aussi, le cours du Baril étant fluctuant, une découverte avec un prix du Baril à 100 USD peut être intéressante mais ça déchante rapidement dès que le prix descend par exemple à 60 USD.

Il est important de noter que le titulaire est requis, par convention avec l’Etat, d’atteindre un montant minimum de budget de dépenses de recherches et prospection. En cas de non-respect de tel budget, l’investisseur sera contraint de supporter des dommages compensateurs et l’Etat peut faire jouer l’éventuel montant bloqué ou mis en caution initialement.

Si toutefois les premières découvertes s’avèrent intéressantes du point de vue commercial, il y’a lieu de passer à l’étape suivante.

 

Etape 3: la Concession d’exploitation

Le titulaire obtient à ce stade une autorisation dite « Concession d’exploitation », accordée cette fois par l’Assemblée des représentants du peuple « ARP ». En effet, et depuis la révolution, et dans un souci de transparence, le rajout du fameux article 13 de la Constitution tunisienne impose l’accord de l’ARP avant la signature d’une convention de concession, réduisant ainsi les prérogatives du ministre.

Juste après, l’ETAP va, non sans avoir réalisé un audit préalable de tous les comptes (‘past costs’) du titulaire, procéder au remboursement de sa quote-part (depuis la phase de recherche jusqu’à celle du développement).

Ainsi, si l’ETAP est co-titulaire à hauteur de 40% dans la concession (le taux est prévu dès l’octroi du permis de Recherche), il lui faudra rembourser 40% des ‘past costs’ à son co-titulaire. Tel remboursement se fait par prélèvement sur les quantités de pétrole à extraire plus tard.

Il convient de souligner que c’est un gros avantage pour l’Etat de ne pas s’engager dès la phase de recherche, lui permettant ainsi d’éviter des pertes financières dues à un risque inutile. Il importe aussi de noter que l’ETAP n’est pas obligée de participer à un quelconque Permis ou Concession.

Le ou les co-titulaires réalisent, par leur représentant opérationnel désigné comme « opérateur », la phase de construction du ‘rig’ (puits). Ces travaux, dits de « développement », sont assez couteux et vont implanter l’infrastructure qui va demeurer des dizaines d’années, avec tout ce qui nécessite comme routes, plateformes, citernes, pipelines… En général, le coût minimum à engager avant d’aboutir à une découverte est autour de 50 millions USD. Bien sûr, si l’installation est off-shore le coût sera aisément doublé.   

 

Etape 4 : Recettes engrangées par l’Etat

Au cours de la vie opérationnelle de la concession, il y’a 3 sortes de revenus pour l’Etat. 

  • Recettes fiscales : l’impôt principal à payer par le co-titulaire (valable également pour l’ETAP) sera l’impôt pétrolier. Ce dernier, payable de façon trimestrielle, sera calculé sur la base d’un ratio assez technique, appelé ratio R ou ‘R factor’. Basé sur un complexe calcul rapportant les revenus cumulés sur les dépenses cumulées (ou prévisionnels pour la période initiale), le ratio R, changeant d’année en année, servira à déterminer le taux d’impôt pétrolier (venant se substituer à l’impôt sur les sociétés dans le droit commun) pouvant aller de 50% au minimum jusqu’à 75% au maximum.
  • Redevances : outre l’impôt pétrolier susvisé, les co-titulaires sont tenus de reverser à l’Etat une redevance proportionnelle, payable en espèces ou en pétrole (le plus souvent), et variant de 2% à 15% des quantités extraites. Le taux étant déterminé selon le ratio R.
  • Ventes de pétrole : l’Etat a droit à un tarif préférentiel (réduit de 10%) lors de l’acquisition d’une quote-part du pétrole produit (prévue dans la convention signée) et ce, par rapport au prix du baril négocié sur les marchés mondiaux.

 

Il arrive souvent que pour des raisons de changements stratégiques touchant les sociétés mères (difficultés, introduction en bourse, fusions…), le co-titulaire étranger cède une partie ou la totalité des intérêts qu’il détient dans le permis ou la concession à une société tierce. Bien sûr, ceci après approbation de l’Etat.

 

Enfin, il importe de préciser que contrairement à ce qui se dit souvent, les encaissements d’export de pétrole ne sont pas rapatriés en Tunisie non pas par ‘évasion’ ou manque de contrôle de la BCT ou de la Douane, mais plutôt parce que le CH octroie aux investisseurs étrangers le droit de bénéficier du régime de change non-résident et par conséquent de bénéficier du droit de non rapatriement des encaissements en devises. Tel droit est d’ailleurs accordé à des milliers d’entreprises off-shore opérant dans le secteur industriel en Tunisie.

 

 

*Expert-comptable

Associé Gérant d’AFINCO membre de NEXIA INTERNATIONAL


03/09/2018 | 20:42
7 min
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Commentaires (6)

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HAMMA
| 05-09-2018 13:37
je vous remercie pour cette information

G&G
| 04-09-2018 11:58
J'étais sùr que vous alliez me répondre par la même façon, par le même langage par le même esprit de dominant-dominé. Que la Tunisie n'est pas libre, qu'elle n'est pas indépendante et que sa souveraineté n'est q'u'une blague.
Je te vole et tais-toi sinon c'est le sort de Saddam ou de Kadafi qui t'attends.
A ma question bete j'ai du m'attendre à une réponse pas plus intelligente comme voles, volons, volez...

kol
| 04-09-2018 10:07
parce qu'aussi nationaliser c'est faire 50 ans en arriere au lieu d'un jour en avant...
a part les dictatures tiersmondistes, le petrole n'est nationalise nulle part ailleurs et cela cree plus de corruption et de pbs dans ces pays que dans ceux ou le marche est liberalise et transparent

Crow
| 04-09-2018 09:05
Cher monsieur, je vais vous dire pourquoi on ne peut pas nationaliser ce secteur:
1 - Cela va donner une image très "soviétique" de la Tunisie et nous risquerons à moyen terme des sanctions de la part de l'UE et des USA en cas d'expulsion des sociétés pétrolières qui sont en majorité européennes...Dans d'autres pays bcp plus riches en pétrole, les USA n'ont pas hésité à déstabiliser le régime politique: Iran de Mossadegh en 53, le Venezuela actuellement...
2 - Pour avoir évoqué ce sujet avec des cadres qui travaillent dans le secteur pétrolier, l'ETAP n'a pas les moyens financiers pour faire les explorations qui coûtent des dizaines de millions de dollars pour, parfois, n'aboutir à rien. Actuellement, ce sont les sociétés pétrolières étrangères qui supportent ce coût. Ajoutons à cela qu'ils emploient des cadres bien formés, compétents et qui ne comptent pas leur heures de travail, contrairement à ceux de l'ETAP..

Bob
| 04-09-2018 00:36
La réponse à votre question est dans le texte. Plusieurs argument y sont clairement énoncés.

G&G
| 03-09-2018 22:22
Pourquoi ne pas nationaliser ce secteur comme la plupart des pays producteurs de pétrole?