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Tunisie – Après Mohamed Brahmi, à qui le tour ?
25/07/2013 | 1
min
Tunisie – Après Mohamed Brahmi, à qui le tour ?
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En ce 25 juillet 2013, le corps criblé de 11 balles de Mohamed Brahmi, a été retrouvé devant chez lui. Sa dépouille, transportée à l’hôpital Charles Nicolle à Tunis, après avoir défilé dans l’avenue Habib Bourguiba, a fait ses adieux à des milliers de Tunisiens venus faire le deuil de ce militant assassiné le jour de la fête de la République.

Un choix de date qui marquera les esprits semblant, sournoisement, insinuer que la Tunisie ne sera pas une République. A 58 ans, cet illustre moustachu, assassiné après Chokri Belaïd dans des circonstances quasi-similaires, semble être le deuxième d’une longue liste d’opposants à abattre, dans une Tunisie à nouveau ébranlée par une liquidation politique et marquée à jamais par le sceau de la violence…

« Nous vous écraserons dans les rues », avait appelé le député du parti Ennahdha, Sahbi Atig, à l’adresse de ceux qui « oseraient se révolter contre la légitimité du pouvoir ». Des propos tenus lors d’une manifestation pro-légitimité, organisée le 13 juillet sur fond de révolte égyptienne. Moins de 15 jours après, Mohamed Brahmi, député de l’opposition à l’Assemblée nationale, leader du Mouvement Populaire et signataire de la pétition « Tamarrod », est retrouvé assassiné devant chez lui, écroulé après qu’un inconnu lui ait asséné plusieurs balles de sang froid (certains parlant de 11 balles).

Cet assassinat n’est pas sans rappeler celui de Chokri Belaïd, tué avec le même mode opératoire, devant chez lui, le 6 février 2013. Six mois plus tard, la Tunisie n’aura pas attendu bien longtemps et pleure son troisième assassinat politique. Après le lynchage à mort de Lotfi Nagdh, le 18 octobre 2012, ces deux assassinats sonneront le glas d’une série de liquidations d’opposants au pouvoir avec des motifs, encore flous pour l’instant…

Les propos de Sahbi Atig, qualifiés « d’anecdotiques et de métaphores linguistiques » et ayant revêtu une dissonance exagérée au sein de la Troïka au pouvoir et plus particulièrement d’Ennahdha, symboliseront à elles seules le tournant décisif pris par la Tunisie dans le carrefour de la violence. Mais les appels au meurtre vociférés par le député nahdhaoui n’auront été qu’un pavé dans la mare. Alors que le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a déclaré, quelques jours auparavant, que le pays avait atteint des niveaux de sécurité acceptables, les discours haineux, diviseurs et appelant à la violence et même aux assassinats sont, depuis quelque temps, banalisés en Tunisie.

Proférés par des prédicateurs illuminés, par des milices proches du pouvoir ou même sortant de la bouche de députés, leaders politiques et d’opinion, la majorité de ces appels restent impunis, et ignorés par la justice, ce qui fait alimenter davantage la tension ambiante. Le Congrès pour la République et sa sacro-sainte loi d’immunisation de la Révolution ou Ennahdha avec sa prétendue légitimité défendue par tous les moyens, sont en tête du palmarès.

L’opposition est unanime. Les propos de Sahbi Atig ont attisé la foudre de la violence et il serait personnellement responsable de l’assassinat de Mohamed Brahmi. Dans une ambiance tendue et électrique, les manifestants de l’avenue Habib Bourguiba scandent à l’unisson : « Rached Ghannouchi assassin ! A bas le pouvoir ! ». «Ce gang criminel a tué la voix libre de Brahmi», a déploré la veuve du défunt.

Si un lien direct entre cette liquidation politique et le parti au pouvoir ne peut être établi pour l’instant, ni sur les éventuels desseins d’Ennahdha d’assassiner ses adversaires au pouvoir, le scénario reste alléchant à bien des égards. Jawhar Ben Mbarek soutient l’idée selon laquelle Ennahdha aurait bien intérêt à garder les rênes du pouvoir afin de peaufiner sa mainmise sur les rouages de l’Etat et sur les postes clé de l’administration. Selon ses dires, cet assassinat pourrait bien lui servir, et le parti au pouvoir aurait intérêt à ce que les échéances de la Constitution et des élections soient retardées.

Une chose est sûre cependant, Ennahdha est le premier responsable de la recrudescence de la violence à travers des positions, des discours et des décisions qui ne font que scinder le pays en deux en opposant partisans et opposants, religieux et non-religieux. Famille du défunt, proches, opposants et analystes politiques accusent le parti au pouvoir… Les partis de l’opposition se sont réunis dans le local du Front Populaire appelant à la désobéissance civile, à la chute du gouvernement et à la dissolution de l’ANC et pour la création d’un gouvernement de salut national. Une grève générale, à l’occasion des funérailles du défunt, a été décrétée dans tout le territoire tunisien demain.

En ce jour de la fête de la République, date certainement pas fortuite et choisie pour intimider les Tunisiens, le local d’Ennahdha a été incendié, les sièges des gouvernorats attaqués et les manifestants ont appelé à la chute du régime. La sacro-sainte légitimité, en prenant un sérieux coup, résistera-t-elle à la crise ?

Ce troisième assassinat fera l’effet d’un électrochoc en Tunisie s’accordent à affirmer tous les observateurs. Contrairement à l’onde de choc suscitée par l’assassinat de Belaïd qui, six mois plus tôt, a failli provoquer une véritable crise au pouvoir, celui de Mohamed Brahmi risque, quant à lui de torpiller une transition démocratique déjà vacillante et nécessitera plus que jamais une mobilisation. Les alliances politiques et rapprochements entre composantes de l’opposition, annoncés suite au décès de Belaïd, ont été mis à rude épreuve et sont aujourd’hui plus que jamais fragilisés comme en témoigne l’alliance d’Al Joumhouri qui part en vrille.

Le contexte de la mort de Mohamed Brahmi a été marqué par une décrépitude de la popularité du pouvoir, sur fond de soulèvements populaires en Egypte, faisant craindre un effet de contagion. Une situation marquée également par des manipulations et des brouillages politiques au sein de l’Assemblée nationale, du gouvernement et de la présidence. On rappellera l’annonce faite par le ministère de l’Intérieur, hier, selon laquelle les informations complètes sur les motifs, commanditaires et assassins de Chokri Belaïd seraient très prochainement divulgués à l’opinion publique. Rien ne laisse présager que cette annonce est encore d’actualité aujourd’hui…

Elan de désespoir d’un parti au pouvoir en quête de popularité, ou volonté de brouiller les cartes ? Les assassinats arrivent même au sein des plus grandes démocraties au monde, martèle Rached Ghannouchi, dans une logique bien à lui. Après Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, à qui le tour ?... La situation actuelle nécessite, plus que jamais, une totale mobilisation de l’ensemble des acteurs de la scène politique ainsi que la mise en place urgente d’un gouvernement de salut national. Qu’en pense le parti au pouvoir…à la légitimité plus vacillante que jamais ?
25/07/2013 | 1
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