ADN, la pomme de discorde entre ministère et CNI
Depuis l’annonce de création de l’Agence de développement numérique (ADN) en début 2018, beaucoup d’encre a coulé. Un bras de fer a été entamé entre le ministère des Technologies de l’information et de l’Economie numérique et le syndicat de base du Centre national de l’informatique (CNI) relevant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et il continue jusqu’à cette heure. Chacun campant sur ses positions et estimant qu’il est dans son bon droit. Retour sur une affaire polémique.
«Je suis pas ici pour le poste, j’ai la conviction que je peux faire quelque chose, car nous avons les moyens. D’où la naissance de l’Agence de développement numérique». C’est ce qu’a confié le ministre des Technologies de l’information et de l’Economie numérique Anouar Maârouf dans une réunion organisée récemment avec quelques médias influents de la place, dont l’objectif était d'expliquer le projet ADN.

L’idée de l’agence lui est venue suite à son entrée au gouvernement et l’Etat des lieux qu’il a constaté : une lenteur d’exécution des projets TIC due notamment à une bureaucratie accrue mais pas seulement. Selon le diagnostic établi, les lenteurs constatées sont dues au fait qu’il y avait plusieurs intervenants mais que le ministère n’avait pas la légitimité d’imposer son avis aux autres. Autre problème, celui du fonds TIC, dont les ressources proviennent essentiellement d’une taxe de 5% sur le chiffre d’affaires des opérateurs imposée pour le développement du secteur. Le hic, c’est que cette somme d’environ 200 millions de dinars par an est versée dans fonds spécial du trésor, très difficile à utiliser niveau paperasse. Pire, ce fonds est utilisé pour couvrir le déficit de plusieurs entreprises publiques et non pas pour l’objectif pour lequel il a été créé.
Enfin, ces projets réclament des experts capables de les gérer et non des agents normaux de l’administration.
L’ADN viendra ainsi remédier aux lacunes constatées. Elle aura pour mission d’accélérer la mise en œuvre des projets dans la transformation numérique notamment ceux liés à la digitalisation de l’administration ainsi qu’à l’amélioration de l’infrastructure du numérique dans les régions. Elle pilotera les programmes du ministère : elle gardera les avantages du public en ayant la célérité du privé. Elle sera une société de gestion pour le compte de l’Etat, avec un budget alloué annuellement, une légitimité horizontale et une flexibilité notamment dans les appels d’offres, capable de s’offrir les meilleures compétences et les meilleurs experts du marché pour une durée déterminée, celle de leur mission ou contrat, et pour un prix attractif correspondant au prix du marché.
L’agence aura le statut d’un établissement public à caractère non administratif (EPNA), avec une vingtaine de personnes fixes maximum, le reste étant des consultants recrutés au besoin et pour une durée déterminée.
Pour sa part, le syndicat de base du (CNI) crie au scandale ! Pour lui, tout ceci est une manœuvre sordide pour le dépouiller de son rôle, d’où son refus catégorique de la décision du Conseil stratégique de l’économie numérique de lancer l’ADN. Il estime que cette agence est «un organe parallèle qui vise à le dénuer de sa mission principale» qui vient occulter «le rôle crucial qu’il joue dans la mise en place et le développement de la majorité des projets numériques nationaux et des infrastructures».
Pire, le CNI estime que la nouvelle structure sera «une menace à la survie des entreprises sectorielles publiques dans le domaine des TIC» et représente «une tentative de spolier les données personnelles et sensibles sécurisées par ses soins».
Le centre accuse le ministère d’être «responsable de la tension du climat social qui a engendré le blocage de la réalisation de certains projets numériques».
Pour protester contre la mise en place de l’agence, les agents du CNI ont organisé plusieurs mouvements de protestation. Au cours de la semaine dernière, c’est le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi qui est venu à leur rescousse, en appelant à la nécessité de protéger cette institution des tiraillements politiques. «Le CNI ne sera pas instrumentalisé dans des calculs politiques, de quelque partie politique que ce soit», a-t-il indiqué en opposant une fin de non-recevoir à la décision de créer l’ADN.
A tout ceci, Anouar Maârouf répond que l’ADN ne peut pas être une structure parallèle au CNI, vu que sa mission et ses objectifs sont plus larges : «le scope des deux structures n’est pas le même et elles n’interviennent pas à la même phase», explique-t-il. L’ADN aura ainsi comme rôle notamment de concevoir, de superviser et de faire le suivi des projets alors que le CNI fera l’exécution, étant un fournisseur de solutions techniques pour l’Etat. Concrètement, l’ADN exprimera les besoins de l’Etat et ses divers services, consultera des consultants et experts pour la mise ne place d’un cahier de charge et d’une stratégie, et le CNI fournira la solution commander. Le CNI sera, donc, un centre de service de l’Etat.
S’agissant de la protection des données, le ministre rappelle que ces données sont la propriété de l’Etat et non pas du CNI et qu’il n’est pas normal qu’une seule partie détienne, les solutions techniques, les données et codes d’accès. Il souligne aussi que si le centre a fait correctement son travail , il n’aurait pas peur pour l’intégrité et la sécurité des données qu’il détient.
En outre, Anouar Maârouf dénonce un système archaïque et un «bidouillage». En effet, les systèmes Amen, Insaf, Adab, ne sont pas faites selon les standards internationaux. Seuls les ingénieurs du CNI peuvent en comprendre le fonctionnement, ce qui est très grave. Il dénonce aussi une prise en otage des projets de l’Etat et des citoyens, notamment celui des actes de naissances à distance dont le lancement était prévu il y a quelques mois.
M. Maârouf révèle enfin un point important : si son intention était de nuire au CNI ou de le dénuer de sa mission, le ministère ne lui aurait pas alloué un budget de 40 millions de dinars en 2018 pour se développer. Bien au contraire, il est important de développer le CNI étant un maillon important de la chaine.
Le bras de fer entre le ministère des Technologies de l’information et de l’Economie numérique et le CNI se poursuit. Les deux parties ne trouvent pas de terrain d’entente, le tout au dépend du bon fonctionnement de certains projets et au dépend des citoyens, qui au final sont les vrais otages de tout blocus.
Imen NOUIRA