Administration tunisienne : les PME en parlent et pas qu'en bien !
L’administration tunisienne a toujours été vivement critiquée par les citoyens en général et les entrepreneurs en particulier. Les réseaux sociaux n’arrangeant rien à l’affaire, de plus en plus de bavures, de manquements, de scandales font désormais, en quelques heures, le tour de la toile obligeant les directions à prendre des mesures souvent hâtives et ponctuelles pour redresser la situation et sauver une image déjà bien ternie.
Du point de vue des entrepreneurs, l’administration, qui représente un des piliers de l’environnement d’affaires, reste souvent perçue comme un obstacle et ce malgré les nombreux projets de réformes annoncés ces dernières années. Ils considèrent, en effet, que les formalités administratives sont longues et alambiquées. Une règlementation abusive rend la tâche des entrepreneurs bien compliquée et leur fait perdre du temps et évidemment de l’argent. Cela induit, irrévocablement, au découragement de l’investissement voire même à la corruption.
C’est dans ce cadre que le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise et la Konrad-Adenauer-Stiftung ont organisé ce mercredi 23 mars 2016 à l’Hôtel Paris aux Berges du Lac, un petit-déjeuner débat sous le thème : Classement des Administrations Tunisiennes, quelle perception des Jeunes dirigeants?
Le CJD a lancé, à travers ce débat, la première édition du Classement des administrations tunisiennes, un rendez-vous qui sera renouvelé chaque année pour évaluer l'évolution de chaque administration.
Partant de la conviction que la reforme de l’administration est aujourd’hui la mère des reformes, le débat a été axé sur les stratégies à mettre en place dans le cadre de la réforme afin de rétablir la confiance entre l’administration et l’entreprise, rendre efficace et simplifier les processus internes de prise de décision et des formalités dans l’administration, professionnaliser l’administration afin qu’elle devienne le partenaire de l’entreprise et qu’elle soit orientée sur la satisfaction et la performance des entités économiques.

Avant de lancer la discussion entre les jeunes dirigeants d’entreprise et les représentants des différents ministères présents, le président de SIGMA conseil Hassan Zargouni, a présenté le classement des administrations tunisiennes à travers une évaluation des services publics par les PME.
Les résultats ont été obtenus par un sondage récent effectué sur cinq cent PME dont l’effectif se situe entre 10 et 200 salariés et réparties sur les différents gouvernorats du pays. «C’est la première fois que les services publics sont évalués par les administrés, que sont dans ce cas-là les chefs d’entreprise » a souligné Hassan Zargouni. Il a précisé que l’enquête s’est basée sur trois variables : d’abord l’importance des administrations pour les PME, ensuite la fréquentation des administrations par les PME et enfin la satisfaction des PME à l’ égard des administrations.
La première variable a pu démontrer que parmi la liste des organismes publics qui ont été jugés « très importants » pour les différentes PME sondées, 90% des entreprises ont nommé la Recette des finances et la CNSS, près de 80% ont estimé qu’il s’agit de la STEG et du Registre du commerce, 70% ont cité le bureau du contrôle des impôts et les douanes, et près de 57% la BCT et le tribunal.
La seconde variable, a posé, quant à elle, la question suivante : En tant que PME, parmi ces administrations quelles sont celles que vous avez contactées pendant ces douze derniers mois pour bénéficier de leurs services en assisté ?
Le classement a été le suivant : près de 96% des entreprises ont répondu avoir contacté la Recette des finances, la CNSS et la STEG, 89% le Registre du commerce, 80% les municipalités et les bureaux de contrôle des impôts, 75% les douanes, 72% le tribunal et 46% la BCT et l’ANETI.
Le classement donné par la variable satisfaction des PME à l’ égard des administrations a pu montrer que globalement 60% des entreprises sont satisfaites des prestations des administrations, alors que 36% d’entre elles sont insatisfaites. Néanmoins il est important de noter que la tendance n’est pas aussi positive, dans la mesure où, seulement 7% des entreprises sont très satisfaites alors que 14% d’entre elles, soit le double, sont totalement insatisfaites. Aussi les chiffres ont indiqué que le taux de satisfaction est plus important chez les industriels que chez les entreprises de service.
« Il faut regarder les chiffres de plus près » a expliqué Hassen Zargouni, « les standards internationaux stipulent que dans le cas du B to B, le taux de satisfaction globale doit dépasser 80%, celui des très satisfaits doit être au-delà de 20% et des pas du tout satisfaits ne doit pas dépasser 5%. Nous sommes donc globalement en deçà des normes internationales en la matière » a-t-il souligné.
Enfin, le classement des entreprises les plus satisfaisantes a placé en première place le Registre du commerce, dans la seconde place les centres d’affaires et en troisième place la BCT. Les administrations jugées, en revanche, comme étant les moins satisfaisantes sont la STEG, le tribunal et les municipalités, en première position, suivies par la BFPME et les Douanes.
A l’issue de cette présentation, les représentants des différents ministères ont expliqué que l’administration, consciente de ses lacunes, tend à se réformer mais manque d’occasions pour communiquer sur les réformes qu’elle entreprend. Ainsi, le ministère des Finances a été le premier à lancer des réformes pour simplifier les procédures fiscales et douanières.
La représentante du ministère de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Olfa Souli, a annoncé que son département est en train de mettre en place un processus participatif pour simplifier les procédures administratives qui règlementent les activités économiques. Ce processus, a-t-elle expliqué, vise à faire participer les administrés (citoyens et entreprises) dans les réformes de l’administration, dans la mesure où ce sont eux qui sont plus à même de relever ses lacunes et d’émettre des propositions pour son développement. Ainsi, précisé la représentante, le ministère va vers une institutionnalisation de ce processus pour prendre les décisions d’ordre public.
Certains représentants, ont, par ailleurs, expliqué que l’administration est elle-même en souffrance et manque de moyens pour pouvoir présenter aux administrés un service de la qualité attendue.
Les entrepreneurs ont jugé, pour leur part, que l’administration tarde à appliquer les réformes, surtout en ce qui concerne le numérique. Ils ont estimé que nombreux problèmes peuvent être résolus en numérisant nombreuses procédures qui restent encore tributaires du travail des agents des administrations et des déplacements incessants et lassants des administrés et en instaurant l’administration à distance.
Le directeur du Centre national de l’informatique, Sofiène Hmissi, a précisé que l’administration fait partie des objectifs du plan national stratégique en matière de numérique.
« Nous sommes convaincus que la solution c’est la numérisation, malheureusement l’administration est régie par des lois et des règlementations qui datent des années 60 alors que tout a changé depuis » a-t-il précisé ajoutant que l’heure n’est plus à la simplification mais à une transformation de l’administration par le numérique, notamment pour éradiquer la corruption.
L’administration tunisienne, d’après ses représentants, semble suivre le chemin de la modernisation et est parfaitement consciente de ses insuffisances. Néanmoins, par manque de rapidité, de communication ou peut être de volonté de la part de ceux qui s’y trouvent, elle peine à accélérer le processus de modernisation et de développement et à impulser efficacement l’investissement en se transformant d’un obstacle à un réel appui et un levier de compétitivité dans l’environnement des affaires.
Myriam Ben Zineb