Forum du futur : Point de politiques pertinentes et viables sans une vision sociétale commune !
Ce n’est un secret pour personne, la Tunisie traverse une étape difficile et décisive sur les plans social et économique. Après la révolution et les espoirs qu’elle a suscités quant à une amélioration de la situation économique, le désenchantement a été d’autant plus ressenti. Le pays étant aujourd’hui face à un besoin urgent de trouver un accord sur un projet socio-économique répondant aux attentes des Tunisiens, l’Association tunisienne des économistes, en coopération avec le Forum des études économiques, a organisé un forum national portant sur tous les grands choix économiques et sociaux, nécessaires pour asseoir un climat propice à une reprise.
Le Forum du Futur qui se tient les 24 et 25 février 2016 se déroule en la présence de plusieurs intervenants et invités de renoms. Outre Mohamed Haddar, président de l’Association, on citera, les principaux acteurs et intervenants, notamment Mustapha Kamel Nabli, Anouar Ben Khelifa, Sofiane Ghali, Habib Zitouna, et Mongi Boughzala.
L’accent a été mis au cours de ce forum sur un nombre limité de grandes problématiques qui conditionnent la capacité de la Tunisie à réaliser un développement durable et rapide, et ce compte tenu des principaux facteurs humains, institutionnels et politiques, qui influent sur le rythme du processus de développement.
Se basant sur une approche participative et interactive, ainsi que sur des études préparées au préalable, il a été procédé au cours de cette rencontre à l’examen de différents axes : Quelles sont les réformes et les procédures à mettre en œuvre pour que le développement puisse répondre au mieux aux exigences et profiter à toutes les couches sociales et à toutes les régions.
Quelles politiques poursuivre pour que le développement puisse générer des emplois convenables et répondant suffisamment aux besoins, notamment au profit des jeunes, des femmes et des régions défavorisés.
Quelles sont les réformes qu’il faut prioritairement entreprendre au niveau des institutions de l’Etat, plus particulièrement de l’administration, en vue d’améliorer le niveau de sa contribution au projet de développement, de valoriser ses prestations, de bonifier sa gouvernance et d’accroitre sa capacité à faire face à la corruption. Telles sont les questions examinées et tant d’autres, pour tenter de répondre et de trouver des solutions à la situation précaire que traverse le pays.

Perspectives de croissance économique et choix fondamentaux économiques et sociaux
Pour l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, la Tunisie n’a pas réussi à percer le plafond de croissance économique de 5% sur le long terme, d’autant plus que depuis la révolution la situation s’est détériorée et le taux de croissance a été proche de zéro en 2015. La question de la croissance économique est devenue cruciale pour l’avenir du pays.
Mustapha Kamel Nabli explique que si nous n’arrivons pas à augmenter la productivité du travail, le taux de croissance global du PIB restera dans la marge de 2-3,5% par an. Ce taux restera en deçà de ce qui est nécessaire pour répondre aux aspirations des tunisiens, ce qui nécessite de relever le taux de croissance de la productivité du travail bien au-delà de 2% par an. Ceci montre la nécessité de donner la priorité, pendant la prochaine phase, à deux types de réformes.
Le premier est relatif à l’insertion de groupes sociaux qui n’ont pas été intégrés suffisamment dans le marché du travail pendant la période passée, à savoir les femmes et les jeunes. Le deuxième aspect est relatif aux réformes dans le domaine de l’éducation et de la formation pour faciliter l’insertion de ces catégories sociales et régionales dans le marché du travail et l’amélioration de la qualité de la main d’œuvre et du capital humain en vue d’une plus forte croissance. Toutes ces questions posent la question du marché du travail et des réformes nécessaires pour améliorer sa performance, y compris celle des relations de travail.
Par ailleurs, l’ancien gouverneur de la BCT estime que l’investissement et l’accumulation de capital constituent un premier facteur qui permet d’augmenter la productivité du travail.
« L’expérience comparée montre que le succès en termes de croissance économique exige des taux d’investissement beaucoup plus élevés, pouvant atteindre 36% ou plus. Ces mêmes expériences nous suggèrent que le secteur privé a toujours été le moteur essentiel de cet investissement, avec une part atteignant les 80% du total de l’investissement, et un taux d’investissement du privé dans le PIB atteignant 28-30%, alors que ce taux est resté dans la limite de 14-15% en Tunisie », relève-t-il.
Pour lui, la prochaine étape nécessite non seulement le retour du taux l’investissement au niveau d’avant la révolution (soit 24-25% du PIB) mais son accroissement de 10 points pour atteindre 35% du PIB ou plus, ce qui permettra une augmentation de la productivité du travail de 1,5 à 2 points. « Le secteur privé doit jouer le rôle essentiel dans cette augmentation, en même temps que l’investissement public qui doit aussi atteindre 8-10% du PIB », a-t-il souligné.
Des défis qui posent ainsi plusieurs questions de réformes, en l’occurrence concernant la délimitation du rôle du secteur privé, qui doit être essentiel dans le processus du développement du pays, mais également en ce qui se rapporte à la réforme du secteur financier et de sa capacité à financer l’investissement.

Pour une économie plus inclusive et équitable en Tunisie
Le président de l’Association tunisienne des économistes, Mohamed Haddar relève pour sa part que l’inclusion des jeunes, des femmes et des régions ainsi que l’équité sociale et régionale supposent un système productif qui crée suffisamment de richesses et d’emplois.
Docteur Haddar a fait savoir que le système fiscal et de dépenses publiques permet aussi une correction des inégalités à travers une fiscalité juste et équitable et des transferts sociaux ciblés.
Par ailleurs, le système de protection sociale permet de protéger les citoyens de certains risques tels que le chômage, la maladie, la vieillesse, la vulnérabilité et la marginalisation, affirme-t-il.
Et de souligner : « En Tunisie, c'est l'absence de réformes ou leur superficialité qui a été le grand handicap aux progrès de l'inclusion et de l’équité. Il est paradoxal que les politiques et programmes n'aient subi pratiquement aucune remise en cause sérieuse depuis une longue date, alors que le contexte a évolué depuis fort longtemps ». De ce fait, M. Haddar attire l’attention que la Tunisie a gardé un système de transferts inefficient et une répartition inéquitable de la charge fiscale, expliquant qu’un certain nombre de choix fondamentaux sont à définir et qui détermineront dans quelle mesure les objectifs d’inclusion et d’équité peuvent être atteints.

Le Forum du Futur dans sa première édition a réuni, de par l’importance des sujets évoqués, plusieurs dirigeants de partis, d’institutions bancaires, de députés, d’anciens ministres ou d’universitaires. Le principal message qui ressort de cette première journée est qu’en Tunisie démocratique, la stabilité du pays ne pourrait être garantie sans inclusion et sans justice sociale. D’autre part, la réalisation d’un taux de croissance acceptable est tributaire de la volonté politique de mettre sur les rails des réformes profondes et souvent, il est vrai, difficiles.

Ikhlas Latif