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Débat d'Al-Massar : L'inclusion économique passe par le développement de l'économie sociale et solidaire
10/11/2015 | 19:58
6 min
Débat d'Al-Massar : L'inclusion économique passe par le développement de l'économie sociale et solidaire

 Le parti Al-Massar et la fondation Rosa Luxemburg ont organisé jeudi dernier un dîner-débat sur le thème : « Quel modèle de développement pour la Tunisie solidaire ? ». Le débat a été marqué par la précieuse intervention de Radhi Meddeb, entrepreneur et expert économique. La Tunisie, soutient-il, a besoin d’un modèle économique qui soit inclusif. Cela passe par le développement du secteur de l’économie sociale et solidaire.

 

L’expert a commencé son intervention en rappelant les principales conclusions d’un rapport sur le développement humain dans le monde arabe, publié par le PNUD en 2002. D’immenses progrès ont été réalisés dans cette région du globe en termes d’espérance de vie, de mortalité infantile ou de taux d’alphabétisation, indique le document. Toutefois, selon le PNUD, il y a trois domaines où le monde arabe n’a pas suffisamment progressé, à savoir la liberté de « la voix », la lutte contre la pauvreté et la création d’opportunités économiques. « Sur ce dernier point, quand on regarde le développement de la croissance, un constat est clair : les richesses se sont créées dans la proximité du pouvoir, sur des situations de rente et de privilèges », a détaillé Radhi Meddeb.

 

Après la révolution, la Tunisie a réalisé un immense exploit dans le domaine des libertés. En revanche, sur le plan économique les résultats étaient en deçà des attentes. « Economiquement, nous n’avons pas avancé d’un iota. Au contraire,  la situation s’est dégradée dans bien des cas. Il suffit de regarder la hausse du chômage pour le constater », a-t-il indiqué.

 

Selon les chiffres de l’INS, le chômage était à 13% en 2011. Il est passé à environ 19% après la révolution avant qu’il ne se stabilise, aujourd’hui, à 15,3%. « Même la baisse de 19% à 15,3% était une catastrophe, parce qu’elle a alourdi de manière indue l’administration et le secteur public. 150 mille personnes ont été embauchées dans la fonction publique pendant les années de la Troïka », a-t-il indiqué. L’administration tunisienne tourne actuellement avec 650 mille salariés. Un chiffre considéré comme énorme par plusieurs institutions internationales. Si l’on fait une comparaison avec des pays de taille équivalente et de niveau de développement similaire, le nombre d’employés dans la fonction publique devrait être aux alentours de 250 mille, affirment les mêmes institutions.

 

Les grands équilibres macro-économiques ont été également touchés après la révolution. Le déficit budgétaire a grimpé passant de 1% sous Ben Ali à 8% du PIB en période actuelle. Il en est de même pour la balance commerciale. Ainsi, le taux de couverture des importations par les exportations est passé d’à peu près 80% à environ 65%. « Nous exportons peu et nous importons tout », s’est désolé Radhi Meddeb. Autre point négatif, le déficit courant qui s’est fortement creusé après le 14 janvier. « En 2010, nous étions à 153 jours de réserves de change, sans compter les 2 milliards de dollars qui représentaient l’essentiel de l’argent obtenu après la cession de Tunisie Telecom. A présent, nos avoirs en devises sont autour de 113 jours et nous n’y sommes que par les emprunts extérieurs », a-t-il expliqué.

 

Ces emprunts, enchaîne-t-il, coûtent cher à la collectivité nationale et sont, pour une grande partie, utilisés pour couvrir des exportations de biens de consommation ou pour payer les salaires des fonctionnaires. « C’est ainsi que nous sommes tombés dans le piège de l’endettement », a-t-il poursuivi.

 

La situation sociale n’est pas rose non plus. Le pays ne donne l’illusion de tenir socialement que par « la démocratisation de la corruption et la généralisation de la contrebande ». La contrebande n’est pas un phénomène nouveau. Mais, il a pris, depuis la révolution, une dimension incontrôlable. Son ampleur se confirme par la taille de l’économie parallèle qui représente aujourd’hui 50% du PIB national, voire plus. Par ricochet, la fraude fiscale a augmenté vertigineusement.

 

« Que faut-il faire ? », s’est interrogé l’économiste. « La solution, répond-il, c’est de nous remettre au travail, nous remettre à produire et à exporter ». Mais, il faut que le modèle change, car l’organisation actuelle a montré ses limites. Faire de la croissance ne suffit pas. « La croissance n’est pas le développement. La croissance n’a pas empêché la révolte et la révolution », a-t-il souligné.

 

Selon Radhi Meddeb, la clé du succès économique et social se trouve dans le mot « inclusion ». Il faut que la croissance soit inclusive. « En termes plus simples, cela signifie que tous les Tunisiens, quel que soit leur sexe, région ou âge, puissent être partie prenante au processus de création de richesse », a-t-il clarifié.

 

La solution ne passera pas uniquement par l'emploi. La structure économique actuelle ne permet pas de créer autant d’emploi qu’il en faut pour résorber le chômage et combler le besoin en matière d’inclusion. Au meilleur des cas, le maximum d’emplois qu’on peut créer, pour chaque point de croissance, ne dépasse pas les 20 mille postes.

 

Alors pour réaliser cette « inclusion », l’expert suggère un modèle où l’initiative économique sera démocratisée. Cela nécessitera la création d’un tiers secteur, à savoir l’économie sociale et solidaire (ESS), « qui doit se développer en parallèle avec le secteur public et le secteur privé et n’aura pas fonction de remplacer ni l’un ni l’autre, mais de les épauler ».

 

Dans bien des situations, l’ESS est le modèle économique le plus adéquat pour répondre à des besoins que ni le public, ni le privé ne sont en mesure de satisfaire. Classés comme peu rentables, certains projets à utilité publique n’attirent pas les investissements privés et ce sont, des fois, délaissés par l’Etat qui, faute de moyens, il y tourne le dos.

 

De plus, ce secteur, testé dans plusieurs pays développés, a déjà fait ses preuves en matière de création d’emploi. En France, 9 emplois nouveaux sur 100 sont le fruit de l’ESS. Dans les pays scandinaves, ce taux s’élève à 24%. Quant au Japon, la plus grande société d’assurance est la mutuelle des pêcheurs.

 

Si en Tunisie, l’employabilité de ce secteur passait de 1% à 5%, cela permettrait la création de 120 mille emplois nouveaux. Cela ne mettra pas certainement fin au chômage, mais contribuera de manière significative à cet effort.

Jusque-là, notre économie demeure incapable de répondre aux aspirations des Tunisiens en matière d’équité économique et de développement. La manière dont est gérée notre économie n’a pas changé. Le modèle en place est le même que celui d’avant la révolution. Celui-ci ne permet pas de satisfaire les besoins de la Tunisie nouvelle, même en réalisant de bons chiffres de croissance. Ainsi, il faudra innover de nouvelles méthodes. L’économie sociale est solidaire pourra aider en cela.

 

Elyes Zammit

10/11/2015 | 19:58
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Commentaires (9)

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Slaheddiine
| 11-11-2015 14:15
Amina, voici un extrait du journal le Monde par lequel vous pouvez découvrir dans le concret et dans le réel ce qu'est une entreprise d'économie solidaire et sociale.
Bonne lecture et au plaisir de vous lire.
Slaheddiine

http://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/11/25/je-ferai-carriere-dans-l-economie-sociale-et-solidaire_4529220_1698637.html

Amina
| 11-11-2015 12:02
J'ai lu cet article avec la plus grande attention mais j'avoue avoir besoin de quelques explications, et je remercie d'avance le journaliste qui accepterait de répondre à ces deux petites questions que je vous soumets cordialement, je pense qu'un certain nombre de lecteurs aimeraient avoir des éclaircissements.
1-Qu'est-ce que l'ESS, avec un peu plus de précision, j'ai bien lu "tiers secteur" et "économie sociale et solidaire", ces deux jolies formules ne disent pas en quoi cela consiste exactement.
2-Pourrions-nous avoir un ou deux exemples de projets qui n'attirent pas les investisseurs et auxquels l'état est obligé de tourner le dos?

ameur k
| 11-11-2015 11:41
une bonne approche de notre expert qui s'applique singulierement dans les régions mais à condition que l'etat s'y mette en offrant des procedures simplifiées de financement et en assistant les béneficiaires jusqu'à 1 année ou 2 apres le début d'exploitation
l'exemple pratique etant celui de l'association ENDA qui fait du bon boulot pour tous les petits metiers et du quel l'etat peut s'inspirer dans la conception pratique des procédures simplifiées

Ali Zayer
| 11-11-2015 11:02
Le grand préalable de toute réforme économique ne peut passer qu'à travers un effort de réduction du train de vie de l'état, par une refonte du budget de l'état, en réduisant le budget de fonctionnement, tout en redirigeant une partie des économies pour le budget d'équipement.
Concrètement, il faut arrêter les recrutements, réformer la compensation pour enfin la rediriger vers les plus fragiles et privatiser les entreprises publiques tout au moins, dans les secteurs concurrentiels.
Une fois ce préalable réalisé, il faut un choc libéral pour les entreprises économiques qui souffrent d'une législation étouffante, qui passe par une aération et un allègement des procédures administratives.
Tout autre démarche n'est que pure improvisation, en l'absence de ces réformes nécessaires et importer des modèles qui fonctionnent dans des pays très développés économiquement et surtout socialement comme le Japon ou les pays scandinaves, ne peut que rajouter la confusion à la confusion.

khNeji
| 11-11-2015 10:55
Puisque le débat est animé par ce qu'on appelle AL MASSAR ,je pense que SAMIR peut nous proposer un model économique inspiré de la révolution bolchevique!!!

naouel Jabbes
| 11-11-2015 09:03
Le Diagnostic fait est pertinent et réaliste, sauf que les objectifs et les approches pour instaurer l'ESS ne sont pas adaptés.
La vision adoptée est trop classique et les objectifs annoncées sont malheureusement exclusifs et non pas inclusifs: on ne doit pas cantonner l'ESS aux zones et aux secteurs sociaux ou économiques qui ne sont pas attractifs pour l'état ni pour le privé: cet objectif est l'annonce d'un secteur ECONOMIQUE mort-née. L'ESS est un concept pour aborder l'économie et le social différemment. Malheureusement MR Radhi Meddeb montre ses limites dans ce domaine car ce qu'il présente est la vision de l'UTICA et non celle de l'ESS comme elle se doit. l'ESS se construit par les gens qui veulent y adhérer et n'attend rien de l'Etat à part un cadre législatif inclusif et un traitement égal en termes d'incitations, aux autres secteurs favorisés comme par exemple les sociétés d'export ou le secteur du tourisme. Les ONG devront faire un travail de terrain dans le sens de la création des institutions de l'ESS, voilà ce qu'il faut, pas plus, et vous allez voire le résultat.

Nephentes
| 11-11-2015 08:51
Vous avez en effet mis en avant une possible solution macro-économique au développement du chômage et du secteur informel qui gangrènent notre société.

Une solution vraiment efficace et porteuse de croissance.

Mais en Tunisie comme dans le reste des sociétés arabes se pose toujours et encore le problème des mentalités.

Des mentalités qui au niveau tant local que national, posent des problèmes de viabilité de la répartition des pouvoirs à l'échelle locale, entre institutions de soutien et d'accompagnement, coopératives, et Etat.

Dans notre pays en effet se pose le problème du passage d'une ECONOMIE FEODALE SEMI-MAFIEUSE à une économie de marché régulé.

l'Economie Solidaire suppose une réelle démocratie participative,une réelle autonomie des entrepreneurs solidaires et surtout une véritable politique de DECENTRALISATION de la part de l'Etat.

Où voyez vous en Tunisie les conditions de ce dialogue et de responsabilisation des agents administratifs locaux ?

Pourra t on dans notre contexte construire les dynamiques locales fondées sur un compromis responsable qui sont INDISPENSABLES pour l'élaboration
d'un projet commun à tous les acteurs ?

Des acteurs divers et aux intérêts parfois contradictoires, appelés non seulement à cohabiter mais à TRAVAILLER ensemble ?

Comment également extirper les populations locales, notamment en zones frontalières, du système de l'économie de contrebande, si fructueuse ?

Comment enfin laisser les entreprises associatives évoluer naturellement vers un développement qui les rendra non seulement acteur économique mais également facteur de régulation socio-économique au niveau de leur territoire, face au centralisme crétin de notre administration ?

Tout ceci nécessite une intense campagne de sensibilisation et de formation de l'ensemble des acteurs,associée à une véritable politique de décentralisation.

L'Etat doit donc cesser d'être otage de l'oligarchie mafieuse qui gouverne effectivement ce pays.

Néanmoins l'expérience vaut d'être tentée

HAtemC
| 10-11-2015 23:53
Vous nous prenez pour des cons ... HC

Slaheddiine
| 10-11-2015 22:25
Elyes Zammit je me dois de vous exprimer tous mes remerciements pour le remarquable compte-rendu de cette soirée.

Le monde arabe accuse en effet un retard considérable dans le domaine du respect des libertés publiques et privées, dans le domaine de la très grande pauvreté et bien sur dans le domaine entrepreneurial, c'est à dire l'esprit d'entreprendre dans les règles de l'art.
Je ne voudrais pas remettre une couche sur le marché noir, ce marché parallèle et la fraude fiscale qui condamnent toute perspective d'évolution.

La réussite de l'économie solidaire et sociale en Europe tient pour une partie qu'elle est très soutenue par les pouvoirs publics par les subventions et d'autre part, la vitalité de l'économie solidaire et sociale est dirigée, managée par des personnalités exceptionnelles à l'échelon des pays.
A cela s'ajoute, le respect des lois et des règles sociales, fiscales, économiques et juridiques.

L'économie solidaire et sociale en France représente près de 2,5 millions de personnes au travail et rapporte à l'économie nationale pratiquement 56 milliards d'euros par an.

Toutes choses égales par ailleurs, dans la société tunisienne, il est possible de créer près d'un demi million d'emplois directs, vous imaginez 500.000 personnes qui sortent du chômage et qui entrent dans la vie active comme vous et moi, cela est possible, à la condition de faire le nécessaire dans le marché parallèle, c'est à dire, neutraliser ce secteur nuisible à l'économie nationale et le remplacer par l'économie solidaire et sociale.

Mais comment éduquer une population au civisme, au respect de la loi quand la loi est bafouée et quand des grosses légumes de la société ne peuvent justifier de leur fortune colossale et qui mènent un train de vie de nababs, sans être inquiété par l'épée de la loi ?

L'économie solidaire et sociale s'épanouit dans les pays où la bourgeoisie créatrice de richesses accepte de mettre fin à la misère et à l'inégalité par une participation significative.
Ici en Tunisie, la bourgeoisie dans son ensemble n'arrive pas à concevoir la fin de la misère et la réduction des inégalités criantes qui poussent au terrorisme. Le choix des grands bourgeois tunisiens, des grosses fortunes tunisiennes est de laisser propager la misère et les inégalités de crainte qu'elles perdent leurs privilèges.
Nidaa et Ennahdha ont veillé au grain que les pauvres restent dans les réserves de pauvres et que les riches continuent à s'engraisser. Là est peut-être la tragédie du monde arabe et plus singulièrement celle d'un pays aux potentialités énormes comme la Tunisie.