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La détermination des juges face à l'obstination de Habib Khedher
15/01/2014 | 1
min
La détermination des juges face à l'obstination de Habib Khedher
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Dans tous les pays démocratiques dignes de ce nom, il y a trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire, en plus du quatrième, l’information, qui sont liés entre eux.
Et si la lutte a toujours existé entre le pouvoir législatif et celui exécutif, selon le système politique adopté entre le parlementaire et le présidentiel, le pouvoir judiciaire est totalement indépendant des deux tout en y étant lié par l’application des lois qui en émanent
.

D’ailleurs, toute démocratie qui se respecte tire sa force de l’indépendance de la magistrature et de l’application rigoureuse des lois. Ne dit-on pas justement que le juge n’obéit qu’à une seule autorité, à savoir celle de la loi ?
Pour le cas de la Tunisie, une des tares qui sévissaient depuis l’indépendance du pays et qui empêchaient l’instauration de la confiance et le respect des droits de l’Homme, n’est autre que cette dépendance de la magistrature de l’appareil exécutif, d’où l’existence d’un certain nombre de juges qui appliquaient scrupuleusement les « consignes et les directives » ouvrant la voie à tous les dépassements, les injustices et autres corruptions possibles.
Et malgré cela, Bourguiba et Ben Ali, quand ils s’adressaient au président de la Cour de Cassation, ils utilisaient le titre de « Monsieur le président… ».

C’est dire que l’une des revendications essentielles à satisfaire après la révolution est bien l’indépendance de la justice. Et on s’attendait à ce que les élus à l’ANC aillent, logiquement, dans ce sens.
Mais c’est compter sans la volonté des députés d’Ennahdha, du CPR et de Wafa qui semblent opter pour un amendement de l’article 103 dans le sens d’assurer une mainmise de l’exécutif sur le judiciaire puisqu’il fait retourner ce corps à la situation prévalant avant la révolution, lorsque le président de la République pouvait, d’un trait, changer le parcours professionnel des juges et faire, ainsi, la pluie et le beau temps de tout un pouvoir, censé être le plus puissant.
En effet, selon cet amendement, adopté en tant que tel mais rejeté après le vote de l’article dans sa globalité, «les nominations aux hautes fonctions judiciaires ont lieu par décret gouvernemental sur proposition du ministre de la Justice et ces fonctions sont définies par la loi.»

La question qui se pose dans l’état actuel des choses est la suivante : pourquoi cet attachement, voire cette obstination des représentants desdits partis, dont en premier lieu le mouvement islamiste d’Ennahdha, à vouloir limiter, à tout prix, l’indépendance du pouvoir judiciaire au profit de celui exécutif ?
Pourtant les dirigeants de ces partis, qui avaient souffert de cette situation et de cette dépendance des juges aux gouvernants de l’exécutif, aussi bien sous l’ère Bourguiba que celle Ben Ali, devraient être les premiers à garantir une justice neutre et objective et qui n’obéit qu’aux textes de loi et à leur conscience. A moins que ces partis ne soient tellement sûrs de gagner les prochaines élections et de rester aux commandes du pays qu’ils tiennent à maintenir le pouvoir judiciaire sous « leur coupe » comme ils l’ont fait durant ces deux dernières années.

Ainsi, Habib Khedher, rapporteur de la Constitution, qui est allé jusqu’à menacer les magistrats qu’ils sortiront perdants d’un éventuel bras de fer, estime qu’on ne peut pas octroyer une carte blanche à des juges « qui avaient prouvé, par le passé, leur dépendance et leur corruption », selon ses propres termes, d’où la nécessité de garder un certain contrôle de la part de l’exécutif d’après sa thèse, tout en citant les exemples de pays démocratiques, tels les Etats-Unis d’Amérique, la Grande Bretagne et la Finlande, où les magistrats sont nommés par l’exécutif.
Or, en suivant cette logique, et en se basant sur l’existence probable d’un certain nombre de juges corrompus, il faudra renvoyer, aux calendes grecques, la moindre réforme du secteur qui demeurerait, alors, dans l’état où il se trouve, sans oublier que M. Khedher a été formellement démenti par Ghazi Gheraïri assurant que les juges sont élus aux USA.
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’un « orateur » nahdhaoui ou CPRiste débite de fausses données pour étayer ses thèses et induire les Tunisiens en erreur.

Or ce qui importe le plus, c’est qu’outre les partis politiques démocrates d’opposition, ce sont les composantes du corps de la magistrature qui opposent la résistance la plus farouche à ces tentatives de leur confisquer leur indépendance sous des prétextes et des arguments frisant le procès d’intention.
Les juges semblent, donc, déterminés à se défendre jusqu’au bout et se montrent, pour une fois et vu les circonstances graves, solidaires face au diktat que veut leur imposer Habib Khedher et ses compagnons d’Ennahdha et du CPR.
Ainsi, l’Association des magistrats tunisiens (AMT), qui dénonce la gravité de l'article 103 et met en garde contre le retour au système de politisation des nominations judiciaires et la mainmise du gouvernement sur le pouvoir judiciaire, a décrété une grève d’une semaine à partir d’aujourd’hui mercredi 15 janvier dans tous les tribunaux et les institutions judiciaires tout en appelant à un rassemblement tenu en ce même jour devant l’ANC à partir de 10 heures.
A rappeler que le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) a appelé, pour sa part, à une grève ouverte à partir du 15 janvier et que l’ancienne présidente de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), Kalthoum Kennou, a également, appelé les magistrats intègres à présenter leur démission collective, en cas, justement, de la persistance du bras de fer lancé par M. Khedher.
De son côté, le bureau exécutif de l'Union des magistrats administratifs tunisiens (UMAT), réuni en urgence mardi 14 janvier 2014, a décidé, en soutien avec les magistrats, et suite à la tentative de certaines parties de consacrer dans la Constitution la dépendance du pouvoir judiciaire au pouvoir législatif, par le biais des nominations judiciaires, d’entrer dans une grève de trois jours à partir du mardi 14 janvier. Cette durée est renouvelable selon l’évolution des discussions à l’ANC concernant le chapitre du pouvoir judiciaire et son respect des normes internationales relatives à l’indépendance de la justice.
Le bureau a appelé, aussi, tous les magistrats administratifs à participer activement à toutes les formes de protestations qui seront organisées.

L’impression qui prévaut actuellement au sein du corps de la magistrature est que la détermination est telle, que la menace de démission collective est envisageable en cas d’entêtement d’Ennahdha et du CPR à faire un passage en force de l’amendement de l’article 103. Ce serait, alors, une première dans les annales de la justice dans le monde.
C’est à se demander si Habib Khedher et consorts sont conscients de la gravité de la situation ! Les observateurs estiment qu’il n’est pas question d’instaurer « la République des juges », mais il n’est pas question, non plus, de réduire ces juges à de simples hommes de main entre les celles du pouvoir exécutif.


Noureddine HLAOUI
15/01/2014 | 1
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