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Des Sukuks islamiques et un Chariâa Board pour rafistoler l'économie tunisienne
18/07/2013 | 1
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Des Sukuks islamiques et un Chariâa Board pour rafistoler l'économie tunisienne
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Hier mercredi 17 juillet, à 16h retentissante à l’hémicycle, le projet de loi sur l’émission des Sukuks islamiques par l’Etat a été adopté. L’envie est pressante de dresser un constat à propos du déroulement de la séance plénière de vote : bâclé qu’il a été le vote des articles du projet de loi.
C’est que le patron des Finances, Elyès Fakhfakh a bien souligné la chose : « nous sommes pressés de voter l’émission des Sukuks, nous avons déjà perdu suffisamment de temps et nous avons plus que jamais besoin de cet instrument de financement pour secourir l’économie nationale.» Eurêka !
Les Sukuks islamiques représentent une véritable bretelle d’accès à la sphère de l’investissement en empruntant le marché international et, pour le grand bonheur de nos grosses têtes au pouvoir : cet instrument est 100% halal car conforme à la Chariâa. Qu’est-ce donc les Sukuks islamiques ? Quel est leur rôle dans le rafistolage de l’économie nationale ? Et quels revers d’une médaille aussi brillante ?


Ferjani Doghmane, président de la commission des Finances et de Planification au sein de l’Assemblée nationale constituante avait déclaré, il y a quelque temps, que son parti Ennahdha renferme une belle poignée de projets islamistes qu’il fera voter pour l’intérêt du peuple. Le projet de loi sur l’émission des Sukuks islamiques par l’Etat adopté hier en faisait partie. Les Sukuks, fleuron de l’industrie financière islamique, sont une illustre et éminente alternative pour combler les besoins de financement de l’Etat ou encore des opérateurs économiques. Une alternative à la spécificité qu’elle est conforme aux préceptes de la Chariâa. De fait, les Sukuks islamiques sont un instrument financier fort apprécié par les investisseurs du Golfe. Et cela tombe, justement, à pic car nos amis du Golfe, du Qatar, précisément, lorgnent depuis un moment de posséder des projets d’investissement sous nos cieux. Et alors quoi de mieux que de les convoiter par des Sukuks islamiques ?

Cet outil de financement n’est pas une nouveauté ou une trouvaille toute fraîche mais la Tunisie vient tout juste de décider d’y recourir eu égard à ce que représente cet instrument sur le marché international. Tenez : en 2011, le marché global mondial des Sukuks a clôturé avec un montant record d’émission de 85 milliards de dollars. Quant au premier trimestre de l’année 2012, ce même marché a enregistré un volume de nouvelles émissions de l’ordre de 40,5 milliards de dollars. En l’espace de 5 ans, le nombre des pays, de par le monde, émetteurs de Sukuks a quasiment doublé : il est passé de 10 à 19. La Tunisie est le troisième pays du continent africain après le Maroc et le Sénégal à s’intéresser à cet instrument de financement.

Le mode de fonctionnement des Sukuks et leur fiabilité intéresse davantage l’Occident. Une émission de dette avec la particularité de ne pas exiger un taux d’intérêt au préalable. Ainsi, les investisseurs recevront des versements à occurrence de la rentabilité du projet financé et partageront le profit comme la perte donc les risques du projet en question.

A jeter un œil sur les articles 9 et 10 de la loi des Finances 2013, l’on y voit clairement que l’Etat envisage d’émettre des Sukuks de 1000 millions de dinars avec une garantie de 3000 millions de dinars. Cette manœuvre (garantir à 3 fois la taille de l’émission) prouve que l’Etat anticipe une dégradation probablement forte de sa notation risque et agit en sorte d’attirer les pourvoyeurs de fonds internationaux. A ce titre, il est légitime de se poser la question suivante : quel type de projets fera-t-il l’objet de l’émission des Sukuks ? Est-ce la remise sur pieds des entreprises de l’ancien président et sa famille et confisquées par l’Etat et qui sont mal gérées à défaut de la compétence des gestionnaires judiciaires? Ou est-ce encore une ruse pour contourner une éventuelle privatisation des entreprises publiques ou semi-publiques ? Nous ne tarderons pas à avoir la réponse, si bien qu’elle sera transparente !

Toujours dans le chapitre du mode de fonctionnement, mais cette fois sur le plan de la forme. Un Chariâa Board sera constitué selon les articles 27 et 29 du projet de loi, ce conseil composé de trois membres pour un mandat de trois années sera nommé par le ministre des Finances, en l’occurrence Elyès Fakhfakh dont le ministère hébergera, a priori, le Chariâa Board pour l’ensemble des émissions de Sukuks pour la même période du mandat.
Soulignons, que les membres du Conseil seront recrutés sur la base de leurs compétences théologiques c’est-à-dire « Fikh Al Mouamalet », en d’autres termes, il n’y aura aucun représentant expert de la Banque Centrale de Tunisie, un expert du Conseil du Marché Financier et encore moins du Premier ministère en vue de la constitution d’un comité qui soit plus étendu en matière de compétences. Parce qu’il est au su de tous qu’un théologien versant dans Fikh Al Mouamalet ne décline pas forcément des connaissances relevant du secteur financier en Tunisie. De ce fait, dans un souci de favoriser Al Ijtihad et une interprétation plus appropriée des textes tenant compte des spécificités de la réalité du terrain, les Cheikhs de la Chariâa Board, tout en préservant leur indépendance, devront être cadrés.

Autre inconvénient, et ce n’est sûrement pas le dernier, la comptabilisation des Sukuks. Car en Tunisie, les experts comptables ignorent les procédés de comptabilité de ce type d’instruments et la norme comptable nationale actuelle ne l’a pas prévu. Encore une faille dans le projet de loi sur l’émission des Sukuks islamiques et comme ils disent « ce qui est caché est encore plus grave !»

Ezzedine Belkhouja, président directeur général de la Banque islamique, Zitouna Bank (anciennement propriété de Sakher El Materi gendre de l’ancien président Ben Ali) et qui est la plus importante institution de finance islamique en Tunisie, a déclaré récemment que la loi sur l’émissions des Sukuks doit porter mention sur la possibilité pour les banques d’émettre des Sukuks et ce, dans l’article 5 de la loi. En effet, ce dernier stipule que seuls l’Etat, les entreprises publiques, les entreprises privées, les institutions et les collectivités locales sont autorisés à émettre des Sukuks. Ezzedine Belkhouja a ajouté, en outre, qu’il est impératif de créer une société de gestion des obligations, étant donné que la partie qui émet les Sukuks ne peut pas à la fois assurer leur suivi.

Le marché international a réalisé, entre l’an 2011 et l’an 2012, un taux de croissance spectaculaire de l’ordre de 54%, au même moment où les banques de la finance classique sont en train de faire face à une rude crise : leur taux de croissance n’a été que de 30%. Selon certaines prévisions, le marché des émissions de Sukuks a un potentiel d’atteindre un niveau record à hauteur de 123,4 milliards de dollars. L’on pourrait déduire que si le « plan » des Sukuks islamiques fonctionne en Tunisie, on pourrait réellement prétendre à un joli rabibochage de l’économie nationale. Néanmoins, habitués à la mauvaise gestion et les plans souvent foireux, les gouvernants actuels ne risquent pas trop de nous étonner.

Nadya B’CHIR
18/07/2013 | 1
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