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Moncef Marzouki : L'invention d'un président, l'illusion d'une démocratie

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« Ce livre est le récit de ma détermination, en tant que citoyen tunisien devenu Président, en tant qu’opposant passé par la prison et l’exil avant d’entrer au palais de Carthage, à participer à l’invention d’une démocratie du XXIème siècle », peut-on lire à la fin de l’introduction de l’ouvrage de Marzouki.
La popularité en décrépitude du président de la République a eu raison du comité d’accueil réservé par les Tunisiens de France à la présentation de son livre à Paris, le 12 avril. Mais ce que les Tunisiens reprochent à Marzouki aujourd’hui, ce n’est pas tant le fait d’avoir « gaspillé le temps de son mandat présidentiel » en rédigeant un ouvrage de 180 pages, mais c’est surtout l’image d’un opposant qui se retrouve lourdement entachée par l’exercice du pouvoir. Une image que Marzouki essaie, dans son livre, de redorer. Retour sur un essai aux tonalités à la fois autobiographiques et préélectorales.
Il paraît que si Moncef Marzouki est encore président de la République, c’est grâce à l’absence de journalistes venus l’accueillir lors de son retour d’une visite au sud de la Tunisie. En effet, ce jour-là, une lettre de démission, rédigée à la hâte dans l’avion militaire présidentiel, devait être lue à la presse, suite au scandale qu’a suscité l’affaire Baghdadi Mahmoudi.
Mais il n’en a rien été. Les prises de position irréfléchies et irraisonnables feront tout le portrait de ce président dans un ouvrage dans lequel il a essayé de se brosser un portrait « à part ».
Un ouvrage aux tonalités autobiographiques dans lequel Moncef Marzouki, face à une popularité en pleine agonie, tente de redonner vie à ce militant des droits de l’Homme et opposant au régime de Ben Ali qu’il était. Une image enfouie désormais sous son burnous présidentiel. Ce livre, venant comme une tentative de salut d’un président en mort politique, se présente, dès les premières pages comme une totale déception. Des mots comme « activisme politique », « implication », « militantisme », « militant des droits de l’homme », jonchent les 180 pages de cet ouvrage dans lequel Marzouki apparaît comme un "président-providence" pour la Tunisie » se comparant à des modèles tels que Mandela, Nasser ou Gandhi. « Je cherche à être un pont au sein de cette société divisée », affirme-t-il. Sans pour autant apporter de réels éclairages sur les problématiques secouant le pays aujourd’hui, Marzouki souhaite que la Tunisie évolue politiquement comme la démocratie chrétienne des années 60, en Europe. Rien que ça !
Dans cet essai, qui ressemble à s’y méprendre à une ébauche de programme électoral, l’homme justifie son « inaction », par une réelle volonté de bien faire. Faute d’actions concrètes, Marzouki expose de nombreuses solutions pour réussir la transition démocratique. Si sa vision de la transparence se résume à « une cité administrative où les immeubles seraient en verre », d’autres bonnes idées font pourtant leur apparition : une loi qui permet de protéger les dénonciateurs des dysfonctionnements au sein des institutions étatiques et la mise en place de mécanismes de lutte contre la corruption…
Mais ce livre a également été une occasion inespérée pour Marzouki de se justifier face aux nombreuses décisions et « bourdes » qui lui sont reprochées. En défendant son alliance avec Ennahdha, il présente, à demi-mot, « l’islam politique » comme l’unique alternative aux peuples arabes pour se débarrasser de l’image selon laquelle ils seraient « inaptes à vivre en démocratie ». Les divergences avec le parti Ennahdha se résumeraient, selon Marzouki, à quatre points essentiels : « l'égalité entre hommes et femmes, l’abolition de la peine de mort, l'adoption et la liberté de changer de religion ».
Une alliance avec le parti islamiste qui ne date pas d’hier, et qui trouverait son origine, selon ses dires, dans le « rôle fondateur » de la déclaration de Tunis 2003, et que seuls les « vrais démocrates » ont accepté de signer. Son parti, le CPR, serait, à l’entendre, l’unique composition politique à avoir vraiment voulu « être indépendante du pouvoir », qualifiant ainsi tous les autres partis d’inoffensifs. Marzouki serait donc l’un des « rares » à avoir résisté sous la dictature de Ben Ali et les autres partis, existants à l’époque, ne seraient que des collaborateurs. En effet, de nombreuses références ont été faites aux trois partis de la Troïka, Ennahdha, le CPR et Ettakatol, en fonction du poids que Marzouki leur accorde sur la scène politique. D’autres formations politiques se sont trouvées, cependant, entièrement occultées de ses analyses.
Des discours diviseurs, on en rencontrera de nombreuses traces dans l’ouvrage de Moncef Marzouki. La société tunisienne, selon ses dires, serait partagée entre partisans de la Troïka au pouvoir et extrémistes, à la fois laïcs et islamistes. Une vision des choses qui réduirait ainsi la révolution tunisienne à un simple schéma binaire, qu’un président de « tous les Tunisiens » devrait pourtant dépasser.
La presse est également dans son collimateur. Al-Jazeera, citée à six reprises, a été glorifiée comme étant « cet outil extraordinaire venu du Qatar » devenu « son arme de communication [sous Ben Ali] ». Les médias tunisiens, en revanche, cités une bonne quinzaine de fois, sont considérés comme abritant la « contre-révolution ». On retrouvera des qualifications telles que « médias de la propagande », « journalistes peu professionnels », « argent sale », etc. Marzouki s’étonne même d’entendre que la liberté d’expression soit menacée en Tunisie.
Paradoxalement, Marzouki se considère comme « l’homme du compromis » et présente la Tunisie comme une famille où on se déchire et on se réconcilie. On retrouve, dans cet ouvrage, un Moncef Marzouki « enfermé dans une tour d’ivoire », comme s’amuse à le qualifier son ancien conseiller Ayoub Messaoudi. Il glorifie ses achèvements et se pose comme un héros, un "président-providence" au courage certain : « en présentant ma candidature [contre Ben Ali], j’avais brisé un tabou », « je voulais me mettre au service des gens », ou encore, « je voulais l’attaquer là où ça faisait mal » peut-on lire. Il se pose aussi en victime décrivant son calvaire dans les geôles du ministère de l’Intérieur et les années où il fut « espionné en permanence » et aurait même échappé à de multiples tentatives d’assassinat….
Mais cet ouvrage, loin de glorifier un président en manque de popularité, contient de nombreuses erreurs et omissions, poussant cependant au questionnement. Moncef Marzouki annonce que la révolte du bassin minier a commencé en 2006, et non en 2008, et n’hésite pas à affirmer que Habib Essid, dont il s’étonne de la nomination au gouvernement Jebali, serait un ancien ministre de l’Intérieur, alors qu’il n’en a été que le chef de cabinet.
Des amalgames lourds de sens figurent également. Dans la page 68 de cet ouvrage, il affirme que les événements de la place Mohamed Ali auraient opposé Ennahdha et l’UGTT alors qu’en réalité, il s’agissait d’affrontements entre la centrale syndicale et les Ligues de protection de la Révolution. Faisant ainsi un rapprochement entre deux entités que nombreux qualifient d’indissociables. D’autres amalgames ont été faits à l’adresse de l’opposition qualifiée de « conglomérat d’anciens destouriens ».
Marzouki revient aussi sur l’assassinat de Chokri Belaïd et sur « l'imposante manifestation qui a accompagné le cortège funéraire », en omettant de préciser que la présidence était persona non grata lors de cet événement national…
« Dans ce domaine, comme dans d’autres, je reste un militant des droits de l’homme », assure Marzouki à l’adresse de ses détracteurs occidentaux, et notamment français, auxquels il semble dédier cet ouvrage et dont il regarde la démocratie, avec « un œil émerveillé et jaloux, mais critique en même temps ». Le simple choix d’une maison d’édition française et non tunisienne a suscité une réelle polémique. Des critiques qui laissent transparaître une déception générale face à une figure symbolique de Ben Ali qui n’a pas su redorer l’image présidentielle, ni réinventer la figure du leader qu’il a souhaité devenir. Si Moncef Marzouki regrette son manque de prérogatives et se positionne au-dessus de la mêlée tentant de mettre l’accent sur « tout ce qu’il a à offrir », cet essai semble tout avoir de l’imposture, à l’heure où les discours démagogues et les livres ne comptent plus aux yeux de ceux qui attendent des actes… Et si Marzouki croyait réellement à ce qu’il avait écrit ?...
Synda TAJINE
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