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Les hommes d'affaires face au gouvernement : je t'aime, moi non plus!

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Les Journées de l’entreprise se sont tenues du 6 au 8 décembre à l’hôtel El Mouradi à Sousse.
La grand-messe n’a pas dérogé à sa règle : présence massive des hommes d’affaires, intervenants et débats de très haut niveau et maitrise parfaite de l’organisation qui a bien gagné en maturité. Reste la question essentielle : à quoi tout cela sert-il si, en face, le gouvernement ne parle pas le même langage que le milieu des affaires ?
Il y a des scènes qui ne s’inventent pas. Les Journées de l’entreprise 2012 ont offert leur lot très révélateur. La présidente de l’Utica Wided Bouchamaoui qui fut présentée comme la première dame de la Tunisie, et qui rappelle à l’ordre le ministre chargé de l’économie pour éteindre son téléphone portable en plein speech.
Indissociables, les milieux des affaires et politiques ont besoin l’un de l’autre. Sur la tribune de la conférence, on s’embrasse et on s’enlace. Dans les coulisses, on tacle.
Reste que dans le milieu des affaires, on n’oublie pas le Hamadi Jebali qui déclarait, il y a peu, que « le capital est lâche » ou quand ils ont été épinglés par cette phrase en dialecte tunisien familier « rijel el aâmayel » (« les hommes qui font des bêtises », au lieu de « rijel el aâmel » : « Les hommes d’affaires ») ou encore cette liste d’hommes d’affaires interdits de voyage.
Aux journées de l’entreprise, le ton a changé et on faisait face à un Hamadi Jebali amical, tendant la main, appelant les hommes d’affaires à sa rescousse. Il ira même jusqu’à cette confidence, entre les lignes et implicite, où il a tenté d’expliquer qu’il n’avait pas vraiment les mains libres à cause de son …parti !
Reste que le message a du mal à passer. Aussi bien sur le fond que la forme, voire même le timing. Le même jour, Hamadi Jebali donnait une interview à « Echarq Al Awsat » pour dire que le mal de la Tunisie réside dans son élite…
Pour la forme, aussi bien son discours que celui de Ridha Saïdi étaient en langue arabe, ce qui a du mal à passer dans un milieu qui a toujours été francophone. Abderrahman Ladgham, ministre en charge des dossiers de la corruption et la bonne gouvernance, l’a bien compris… Et puis le fond du discours de Hamadi Jebali (mais aussi de M. Saïdi) est loin d’être orienté vers les hommes d’affaires. C’était un B to C au lieu d’être un B to B. Plutôt un cours théorique de faculté ou dirigé vers les masses que concret.
Il ne fallait donc pas se leurrer, quant à la volonté politique concrète et efficace, et se rabattre plutôt sur l’essentiel, à savoir l’investissement.
Celui-ci a été le leitmotiv meublant les panels et les tables rondes. Le propos est de piocher une réelle et tangible solution aux manquements du code d’incitation aux investissements de 1993 afin de hisser de plus belle les projets d’investissement demeurant en attente voire absent de la scène économique tunisienne.
Ainsi, de nouvelles réformes sur la série de 64 amendements du Code, ce qui a conduit des spécialistes du domaine à établir des propositions pour un nouveau code d’incitation aux investissements. Un projet qui a été présenté, justement, à la 27ème session des Journées de l’entreprise.
Les chiffres traduisent fidèlement le fâcheux constat quant au décollage de l’investissement en Tunisie : le niveau des investissements privés reste plutôt bas avec une part de l’ordre de moins de 60% des investissements totaux et moins de 15% du PIB. Ces chiffres sont produits par la BAD (Banque Africaine de Développement) au titre de l’exercice 2012.
Depuis l’instauration du premier code d’investissement en 1993, les investissements locaux et étrangers n’ont pas décollé. Des incitations d’ordre fiscal, économique et politique notamment n’ont pas graissé les rouages des mécanismes de l’investissement à bon escient. Les acteurs du secteur économique ont, ainsi, pris conscience de la nécessité d’opérer des réformes sur le Code de 1993 afin de pallier les limites reconnues unanimement, à juste titre.
Les reproches faits à l’encontre du code de 1993 sont multiples, il y a le manque de visibilité pour les investisseurs, la complexité de la réglementation jugée trop rigide ainsi que la dichotomie creusant un fossé entre les régions off-shore et on-shore. Des décennies durant, le code d’investissement a été vendu en tant que véritable livre des secrets pour la promotion des investissements de tout bord. Or, l’on s’accorde à dire, actuellement, que ce "livre" est manifestement un recueil de textes hétérogènes dont l’objectif est d’attribuer des avantages à l’adresse de projets d’investissement dans des zones géographiques ou des secteurs économiques spécifiques.
Dans son discours Hamadi Jebali, chef du gouvernement tunisien, a souligné l’importance grandissante de la mise en place de structures fiables et efficaces pour la relance des investissements. Car, selon le chef du gouvernement, ce n’est qu’à la suite de cette manœuvre, qu’il devient possible de construire un modèle économique à succès. En outre, lorsqu’on se permet de lire entre les lignes du mot de M. Jebali, il est facile de deviner une part, assez considérable, de son désarroi quant aux impasses dans lesquelles se trouve l’économie nationale depuis la révolution, eu égard à l’état des lieux désastreux de plusieurs secteurs et structures économiques.
Le chef du gouvernement, n’a pas hésité à lancer un appel au secours au parterre des chefs d’entreprises, hommes d’affaires et banquiers, un cri pour dire clairement : « J’ai besoin de votre soutien, votre aide et votre compréhension pour aller au-delà de cette phase critique et superbement délicate ». Nous ne saurons si ce joli parterre d’opérateurs économiques a bien reçu le message du chef du gouvernement.
Car, avec tous les risques que comportent aujourd’hui le secteur des investissements et par surcroît un climat d’affaires et politique souffrant d’absence de sécurité, il n’est pas évident pour les hommes d’affaires et les chefs d’entreprises de s’engager sérieusement et avec d’importants moyens. Cela relèverait du suicide économique.
Et puis il reste encore une plaie à recoudre, celle de la disparité régionale. Substantiellement, les régions de l’intérieur souffrent encore, même dans la Tunisie postrévolutionnaire, de manque criant d’investissement et de projets liés au développement économique régional. D’ailleurs, cela va sans dire, que c’est au cœur de ces régions, que le taux de chômage, et essentiellement chez les jeunes diplômés, reste le plus élevé.
Par ailleurs, il est utile de rappeler, qu’avant 1993, la Tunisie n’était pas dotée d’un code d’incitation aux investissements. Il s’agissait surtout d’établir une batterie de textes disparates offrant des avantages à caractère limité.
Alors, il devient plus qu’urgent de passer à l’action et au plan B. Des réformes de fond sont, incontestablement, indispensables à élaborer. Oui, mais, il ne s’agit pas uniquement de textes théoriques, le passage à la phase pratique est plus important encore que ces textes en soi.
Le moment s’impose donc pour se demander où cela mène que d’organiser des manifestations où des paroles, belles ou critiques, coulent à flot, et qu’ensuite tout s’achève sur une certaine note d’optimisme pour un lendemain meilleur. Un lendemain qui, visiblement, tarde à arriver.
Nizar BAHLOUL - Nadya B’CHIR
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