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Tunisie – Le temps des assassinats politiques
19/10/2012 | 1
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Tunisie – Le temps des assassinats politiques
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La troïka au pouvoir enregistre, en neuf mois seulement, son premier assassinat politique. Bien qu’il n’en soit pas le commanditaire direct, le gouvernement porte une sérieuse responsabilité de l’assassinat de Lotfi Nagdh, coordinateur général du parti Nidaa Tounes à Tataouine dans le Sud du pays.
Un communiqué conjoint signé par les organisateurs de la manifestation, ayant conduit à l’assassinat, atteste clairement l’implication de deux des trois partis de la troïka dans cette affaire qui a mal tourné.
La réaction précipitée du ministère de l’Intérieur qui donne une version erronée des faits, celle des administrateurs de pages Facebook du parti au pouvoir qui ont ravivé les foules ou encore les communiqués incendiaires de ces ligues de protection de la révolution (elles-mêmes protégées par le pouvoir) laisse peu de doute sur le tournant très dangereux que prend la vie politique en Tunisie.


« S’ils récupèrent le pouvoir, ils nous remettront en prison ». « Si on perd les élections, nous sommes foutus ». Il s’agit là des deux principales phrases répétées ces dernières semaines dans les milieux salafistes et islamistes en Tunisie.
Le 23 octobre 2012 est la date du 1er anniversaire de la tenue des élections ayant porté les islamistes au pouvoir. A leurs côtés, on retrouve deux partis connus pour leur laïcité, mais qui ne pèsent plus grand-chose depuis un bout de temps. Ettakatol est complètement disloqué et le CPR a été fortement infiltré par les franges islamistes, au point que le terme laïcité est devenu tabou en son sein.
L’élection, selon les textes de loi qui l’ont organisée, prévoit un mandat d’un an, au maximum, aux élus pour rédiger une constitution et, en théorie, passer le pouvoir. Il n’en sera rien pour une raison toute simple : la Constitution n’est pas prête.

Ce retard a profité à la naissance et à la montée en puissance d’un parti, Nidaa Tounes, présidé par l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi. A ce jour, ce parti représente la principale force d’opposition en Tunisie et l’unique capable de battre Ennahdha et ses alliés. Mieux encore, il est en négociations poussées avec deux autres partis, Al Joumhouri et Al Massar, pour faire front commun aux prochaines élections prévues l’été prochain.
En revanche, la troïka au pouvoir a été fortement affaiblie durant cette année de gouvernance marquée par les promesses non tenues et le manque total de maîtrise de la situation. La troïka a manqué terriblement d’expérience et a été fortement handicapée par les divisions internes en son sein, mais surtout au sein du parti vainqueur, Ennahdha, partagé entre ses franges dites modérées qui cherchent à séparer le religieux du politique et faire valoir la primauté de l’Etat et ses franges dures qui veulent instaurer la Chariâa islamique dans le pays et en finir avec 50 ans de laïcité camouflée.

Sachant qu’il est difficile de gagner les prochaines élections par les urnes, la troïka au pouvoir a imaginé une série de stratagèmes pour contrer ses adversaires politiques. Elle a fait miroiter, au début, la bannière judiciaire contre Kamel Morjane avec une affaire de passeports diplomatiques livrés à la famille de l’ancien président Ben Ali après la révolution. Morjane s’est calmé tout de suite pour se concentrer sur ses dossiers judiciaires et éviter la prison dont les portes s’ouvrent aux uns et pas aux autres.
On a ensuite imaginé un projet de loi pour exclure de la vie politique, pendant cinq ou dix ans, tous ceux qui ont participé aux différents gouvernements de Ben Ali. L’objectif étant de vider le parti Nidaa Tounes de ses principaux éléments. La tactique n’a pas eu un grand effet vu que Béji Caïd Essebsi a pris soin de ne faire appel qu’à des personnalités n’ayant pas travaillé sous l’ancien régime.
Si un projet d’exclusion, contraire à toutes les pratiques internationales en la matière, voit le jour, cela affaiblira peu le parti, mais affaiblira davantage la troïka au pouvoir qui se permet de changer les règles du jeu à la veille du match.

Depuis quelques jours, on joue une nouvelle carte, la guerre psychologique et la diabolisation systématique. Les membres de la troïka au pouvoir boycottent désormais tout débat télévisé ou radiophonique auquel participe Nidaa Tounes prétextant la présence de personnalités de l’ancien régime en son sein. Hypocrisie totale puisque la troïka renferme, elle-même, en son sein des personnalités de l’ancien régime et les exemples sont nombreux. Nidaa Tounes, mais aussi Al Joumhouri et Al Massar, se font un malin plaisir de rappeler, nommément, cette hypocrisie à chaque occasion.
Pour calmer les esprits et trouver une porte de sortie à cette crise, l’UGTT, principale centrale syndicale en Tunisie, a organisé un congrès pour un dialogue national rassemblant l’ensemble des parties. Ennahdha et le CPR ont cependant refusé d’y participer, envenimant encore davantage la situation.

En parallèle, leurs milices qui se cachent sous les bannières de « comités de protection de la révolution » organisent régulièrement des marches soi-disant pacifiques de protestation contre le retour des anciens à la vie politique. Dans les faits, ces marches sont de la pure provocation : on sabote les rencontres de Nidaa Tounes, on met le feu dans les locaux de ce dernier, on insulte ses militants, voire on agresse physiquement certains de ses dirigeants. Le député de Nidaa Tounes, Brahim Gassas en a été victime il y a quelques jours à Kélibia.
Ces mêmes « comités de protection de la révolution » sont cependant aux abonnés absents lorsque la troïka nomme des RCDistes à des postes stratégiques de l’Etat ou des entreprises nationales ou quand elle use des manières fortes de Ben Ali pour faire taire les protestations, comme on l’a vu à Sidi Bouzid ou à Gafsa.
Ces provocations et ce sentiment d’impunité ont fini par mener de la manière la plus naturelle au dérapage fatal : l’assassinat.
C’était le jeudi 18 octobre avec Lotfi Nagdh mort sous le lynchage d’une meute. Neuf blessés se trouvent en ce moment à l’hôpital (dont deux dans le coma) et … zéro personne en prison !

En réaction, les membres et sympathisants de la Troïka ont joué la fuite en avant. Le ministère de l’Intérieur qui parle de crise cardiaque et l’absence de blessures, alors que les photos et les témoins directs disent que Lotfi Nagdh est mort lynché. Des ministres qui défendent ces comités de protection de la révolution, un conseiller du président de la République (hier défenseur des droits de l’Homme) qui précise que le défunt a provoqué le premier ses assaillants et les multiples pages des réseaux sociaux proches du régime qui insultent (à visage couvert) l’opposition et Nidaa Tounes.
Et, partout dans ces pages, on promet l’escalade et on rappelle aux siens que si les laïcs ou les RCDistes reviennent au pouvoir, ils risquent, eux, de nouveau la prison.
Pour que cette date du 18 octobre 2012 ne soit pas un tournant noir et dramatique dans l’Histoire de la Tunisie, il faudrait un appel au calme immédiat de la part du président d’Ennahdha Rached Ghannouchi (que Caïd Essebsi accuse d’être indirectement responsable de cet assassinat) et de la part du chef du gouvernement Hamadi Jebali. Il faudrait également que ces milices, qui se cachent sous le nom de comités, soient dissoutes dans les tout prochains jours et que la Troïka accepte franchement et définitivement le jeu démocratique et ses règles.

Raouf Ben Hédi
19/10/2012 | 1
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