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Tunisie - Ennahdha rampe sur les postes clés de l'administration

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Les nominations se multiplient dans les postes clés de l’administration. Les responsables gouvernementaux justifient ces mouvements par un impératif d’assainissement et d’amélioration du rendement de ces départements. Mais, comme par hasard, il n’y a de compétents que des nahdhaouis, même pas, les membres des deux autres composantes de la Troïka, à savoir les membres du CPR et d’Ettakatol, ce qui a révolté la députée de ce dernier, Karima Souid, qui a critiqué ouvertement le Premier ministre, Hamadi Jebali, concernant les dernières nominations de gouverneurs. Est-ce de l’imprudence chez Ennahdha, ou, plutôt, des choix savamment étudiés?
Pour répondre à une telle question, il est utile d’essayer de comprendre les raisons derrière ces nominations. Pourquoi a-t-on voulu changer maintenant les gouverneurs de Nabeul, Monastir, Bizerte, Zaghouan et Le Kef ? Pourquoi a-t-on également changé les délégués de Kélibia et Bizerte-Sus, dans la foulée de ce remaniement?
Oussama Bouthelja, le chargé de mission au cabinet du ministre de l’Intérieur, a certes avancé, sur Express FM, que «le Premier ministre nomme, sur proposition du ministre de l’Intérieur, les gouverneurs qui servent au mieux le projet politique du gouvernement, car le poste de gouverneur est un poste politique par excellence».
Une réponse qui apparaît logique si l’on se réfère à une phase de mandat parlementaire, sur la base d’un programme électoral quinquennal. Le gouvernement en place amène avec lui son staff régional et local. Or, il s’agit d’une phase transitoire. En plus, le programme d’Ennahdha a proposé d’élire les responsables régionaux. Faute de quoi, ils sont nommés de concert avec la société civile, à l’image des maires. Ils ne sont pas nommés selon le goût du parti au pouvoir.
En plus, il est utile de comprendre les priorités accordées aux changements dans ces cinq régions précisément. Apparemment, il ne s’agit pas d’être sorcier, les décideurs ont visé des gouvernorats où l’opposition est très active, alors qu’Ennahdha y traîne le pas. Vu sous cet angle, le changement à Monastir a coïncidé avec le meeting réussi organisé par Béji Caïd Essebsi le jour même. Ennahdha n’y a pas obtenu un score électoral édifiant. D’où le besoin d’un soutien politique dans l’administration locale pour venir en soutien aux «siens» dans la région.
La même logique s’applique à Nabeul, zone essentiellement touristique, où le gouvernorat joue un rôle important dans l’affectation de plusieurs autorisations d’activités saisonnières. Le gouverneur peut jouer un rôle clé dans le renforcement du parti au pouvoir par un nouveau népotisme. Les nahdhaouis seraient les premiers servis. Quant à la désignation d’un nouveau délégué à Kélibia, il s’agit de calmer l’ardeur des militants de la société civile de cette localité balnéaire très «moderniste».
Pour Bizerte, il s’agit de la première ville où la société civile moderniste s’est emparée de la délégation spéciale de la mairie de Bizerte-ville. Laquelle délégation a réussi à faire des choses malgré les insuffisances matérielles et humaines. La coordination des modernistes a développé une logique de démocratie locale, qui a propulsé l’image de la délégation spéciale. Les citoyens commencent désormais à s’intéresser à leurs problèmes de proximité. Une telle approche ennuie les nahdhaouis car elle permet l’enracinement populaire de leurs adversaires politiques.
Des approches similaires s’appliquent aux gouvernorats de Zaghouan et du Kef. Tous donc sont là pour «servir les intérêts politiques du gouvernement». Allons donc, même s’il s’agit des intérêts politiques du gouvernement, ce changement doit s’accompagner d’un programme, plus riche qu’exprimer «sa bonne volonté de servir tous les citoyens de la région», comme l’a souligné Habib Sithom, le gouverneur nommé de Monastir. Un gouverneur vient avec un projet pour sa région, pas pour comploter avec une frange de la population, contre une autre.
Les autres nominations ont déjà touché les directions générales du ministère de l’Intérieur, Tunisair, la SNCFT, l’Institut national des statistiques, et bien d’autres postes stratégiques, comme le ministère des Affaires étrangères, où de graves différends divisent les diplomates statutaires avec leur ministre nahdhaoui qui veut ramener des personnes extérieures au corps, qui ne peuvent se prévaloir que de leur appartenance politique.
N’oublions pas aussi qu’Ennahdha avait bataillé dur, en vain, pour la prise de pouvoir à la Banque centrale de Tunisie. Aujourd’hui, on remercie le ciel puisque ce parti n’est pas parvenu à sa fin, vu l’importance de la BCT pour les équilibres économiques.
Il est donc clair que le mouvement Ennahdha cherche à exploiter sa présence au gouvernement pour investir les postes clés de l’administration afin de servir ses desseins politiques. Et ce, malgré les négations de Bouthelja, chargé de mission auprès du ministre de l’Intérieur, qui affirme «l’existence de concertations entre les partis de la Troïka», et concernant le gouverneur nommé de Monastir: «son installation se fera quand même, la contestation émane de groupuscules et non de toute la population».
Des propos qui en disent long sur les intentions d’Ennahdha. La députée d’Ettakatol, Karima Souid, a raison de regretter le manque de «transparence et de neutralité politiques» dans les agissements de Hamadi Jebali. «Si la loi d’organisation provisoire des pouvoirs publics accorde au chef du gouvernement Hamadi Jebali le droit de désigner les gouverneurs, ceci doit être fait par rapport à leurs compétences et non pas par rapport à leur appartenance partisane», a-t-elle précisé et son appel concerne toute la société civile qui doit se dresser contre ces dépassements touchant à l’essence même de la nouvelle démocratie tunisienne.
Crédit image : Luis Vazquez/Gulf News
Mounir Ben Mahmoud
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