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Tunisie - L'union des démocrates face aux intérêts partisans

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Le « Grand parti du Centre », dénomination provisoire de la fusion des partis progressistes, a tenu son premier grand meeting à Tunis, samedi 11 février 2012, au Palais des Congrès. Dès 15h, la grande salle du Palais était déjà remplie et les principaux leaders des partis de l’opposition font leur entrée, de même que les personnalités indépendantes ayant annoncé leur adhésion à cette grande formation centriste. Le meeting avait pour objet de présenter les orientations de ce grand parti en formation et ses ambitions, mais a également laissé entrevoir des désaccords persistants entre différentes parties.
Mohamed Louzir, président d’Afek Tounes, est souriant. Il se dit confiant quant à cette initiative d’union des forces progressistes, « dans la continuité du travail effectué par Afek, et qui donne de l’espoir pour les échéances à venir, par la formation d’une force politique capable de constituer l’alternance ».
Interrogé également par Business News, Issam Chebbi, membre du PDP, affirme quant à lui que la seule manière pour les partis dits progressistes de réussir face aux conservateurs, est d’unir leurs forces. « Nous avons appris de nos erreurs et de notre échec lors des précédentes élections. Nous avions un grand problème de communication, nous sommes en train de travailler sur cela, car l’union des partis ne suffit pas, il faut que notre message touche le plus grand nombre », affirme M. Chebbi.
Concernant les discussions en cours avec Ettajdid et le PTT, notamment, Issam Chebbi dit espérer que celles-ci aboutissent à un accord, car il n’est dans l’intérêt de personne que ces partis restent divisés. Il ajoute notamment que ces négociations doivent se faire sans autres considérations que celles de l’intérêt du pays, faisant allusion à la démarche d’Ettajdid qui pourrait constituer une manœuvre politique. Sur le sujet d’une alliance avec les partis «destouriens», «elle n’est pas à l’ordre du jour», même si elle n’est pas totalement écartée.

Le meeting débutera par l’allocution de Yassine Brahim, président exécutif du parti Afek Tounes, suivi de Saïd Aïdi. Ces deux anciens ministres du gouvernement de Béji Caïd Essebsi, lancent un appel à l’actuel gouvernement, jugeant que des mesures immédiates doivent être prises face à la crise économique à laquelle la Tunisie fait face, proposant des actions concrètes et applicables immédiatement, capables de relever un tant soit peu la situation du pays.
« Nous n’espérons pas l’échec du gouvernement, au contraire, car son échec sera celui de la Tunisie, nous demandons à ce qu’un programme soit mis en place et qu’il nous soit communiqué ». Saïd Aïdi ajoute que lorsqu’il avait été appelé pour intégrer le gouvernement de transition, trois semaines seulement avaient été nécessaires, au sein de son ministère, pour établir un programme viable et qui a donné des résultats. Il souligne à maintes reprises que les aides ou les investissements étrangers, qu’ils proviennent du Qatar ou de l’Europe, étaient les bienvenus, «à condition que ces derniers respectent la souveraineté de la Tunisie», insiste-t-il.
Les deux anciens ministres seront suivis de Youssef Chahed, jeune leader du Parti républicain dont le discours a porté sur la nécessité d’intégrer la jeunesse aux prises de décisions et aux réformes qui seront engagées. Enfin, le leader du Parti démocrate progressiste monte en scène. Son discours a changé, plus modeste, moins «autosuffisant». Ahmed Nejib Chebbi fait aujourd’hui preuve d’humilité et son discours sera dirigé vers les classes défavorisées, vivant dans les quartiers populaires. Seule ombre au tableau, son arrivée sera marquée par les slogans des « Jeunes démocrates progressistes », la section jeune du PDP. « Liberté, identité, justice sociale », scandent-ils à plusieurs reprises, un slogan jugé déplacé et démagogique de l’avis de plusieurs observateurs, qui considèrent que « s’accaparer un thème d’extrême droite, qu’est l’identité, contribue à faire le jeu des conservateurs, imbattables sur le sujet ».

Ahmed Nejib Chebbi saluera également la présence de Riadh Ben Fadhel, porte-parole du PDM et de Khemaïs Ksila, démissionnaire d’Ettakatol. Ce dernier a affirmé à Business News son intention de créer un mouvement, qui sera fondé le 20 mars prochain et qui réunira de nombreux autres démissionnaires d’Ettakatol mais également d’autres personnalités, notamment des militants des droits de l’Homme. « Nous créons ce mouvement dans le but de réunir tous les courants démocrates. Cette démarche s’inscrit dans la démarche d’unification des forces progressistes, vers laquelle elle converge, et nous envisagerons certainement, à terme, de joindre cette union ».
Notons enfin que parmi les membres de l’ancien gouvernement de transition, plusieurs personnalités rejoindront ce grand parti unifié, parmi lesquelles Faouzia Charfi, du Mouvement « Perspectives », Abdelaziz Rassaâ, Elyes Jouini, Slaheddine Sallami, auxquelles s’ajoutent Kamel Snoussi, président du Stade tunisien, ainsi que trois autres petits partis créés après le 14 janvier, de tendance progressiste.
Avec l’allocution d’Ahmed Nejib Chebbi s’achèvera ce meeting, qui, de l’avis d’une grande partie des participants, sera une réussite et redonnera l’espoir de voir naître une force politique capable de faire le poids avec les conservateurs, mais qui a encore beaucoup de chemin à faire pour dépasser les petits intérêts partisans et gagner en crédibilité.
À la sortie du Palais des Congrès, les discussions sont enflammées. Riadh Ben Fadhel, représentant du PDM, est pris à partie par un citoyen. « Vous devez dépasser vos désaccords et entrer avec le PDP et Afek, il y a va de votre propre intérêt et celui de la nation, sinon tout le monde va vous en vouloir, vous devez assumer vos responsabilités ».
Un militant indépendant du PDM ayant rejoint la fusion entre Ettajdid et le PTT, nous explique : «Nous avions réussi à réunir les leaders de nos différents partis et étions parvenus à un accord. L’organigramme du nouveau parti avait été établi, avec le pourcentage dévolu à chaque formation en fonction de son poids électoral. Il était donc logique de donner la primauté au PDP et ce qui a été fait. Pour ce qui est des différences idéologiques, nous avions mis en place des commissions pour discuter du programme de chacun et étions arrivés à la conclusion que ceux-ci se rejoignaient dans 90% des cas et que les différences restantes étaient minimes et ne sauraient freiner ce processus d’unification». M. Charfi ajoute cependant que le principal problème est d’ordre juridique. Le PDP, après avoir consulté ses militants, informe qu’il ne pourrait y avoir fusion que si celle-ci se fait au sein du Congrès du PDP, tout en gardant le Visa du parti. « Le problème avec cette décision est que le visa d’un parti est nominatif, et que même s’il y a un changement de nom et statut de ce nouveau parti, juridiquement il appartiendra toujours à M. Chebbi, et cela, Ettajdid ne l’accepte pas ».
Ettajdid aurait donc réussi à obtenir de ses militants que leur parti, le plus vieux en Tunisie, soit dissout au profit de ce nouveau parti unifié, cette dissolution se fera lors du prochain congrès. Les militants d’Ettajdid considèrent qu’un pas a été franchi de leur côté et selon eux, pour dépasser ces différends, et que « la balle est dans le camp du PDP ». Riadh Ben Fadhel se plait ainsi à faire une comparaison footballistique : «On ne peut pas demander à un clubiste de porter le maillot d’un espérantiste, et vice versa. Pour l’intérêt de la nation, nous devons se défaire de ces maillots et porter celui de la Tunisie».
«Chacun doit faire des concessions, que ce soit Ettajdid ou le PDP, la balle est dans leur camp, mais s’ils ne parviennent pas à un accord, personne ne leur pardonnera», lance un des participants du meeting, à la sortie. De plus, l’aile «centre droit» constituée par le PDP, Afek Tounes et le PR aurait tout à gagner à trouver un accord avec le « centre gauche » d’Ettajdid et du PTT, qui bénéficie d’un fort soutien syndical, de l’avis de nombreux observateurs.
Pendant que les partis progressistes argumentent, pour des histoires de visa, de partis et d’égos, Wajdi Ghenim, prédicateur islamiste radical, fait le plein à la Coupole.
Monia Ben Hamadi
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